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Livres
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C’est à Cousin de Grainville qu’Elise Gagne a emprunté le personnage d’Omégar, dernier homme sur terre.
Les péripéties du premier « Omégar » se déployaient dans un environnement que l’on peut considérer comme rationnel, avec une intrigue crédible, malgré l’emphase et la boursouflure du style.
Ici, au contraire, le personnage sert de support à l’apologétique. Tout entier dévolu à sa mission, soit la défense et l’illustration de la foi chrétienne, il montre la voie de l’excellence par la pratique de la dévotion et de la vertu. Car ce qui attend le méchant, c’est la fin du monde.
L’œuvre, qui n’est pas un roman mais « une proso-poésie dramatique », c’est-à-dire une épopée théâtrale précédée et entrelardée de poèmes, prend sa source dans « l’Unitéide », œuvre de son mari, Paulin Gagne, cité en tant que « fou littéraire » dans l’excellent ouvrage d’André Blavier.
L’Unitéide est un personnage féminin, l’Eglise incarnée sur terre, missionnée par Jésus lui-même pour asseoir la foi en ce siècle impie :
« L’Unitéide, Eliavas, était, je vous l’ai déjà dit, la personnification vivante de l’Eglise de Jesus-Christ. Tant qu’elle l’a pu, ou, pour mieux dire, tant que Dieu l’a permis, elle a continué l’œuvre du divin Crucifié en ce monde ; moi, je ne suis qu’une sorte de bouc émissaire plié sous le poids des iniquités d’autrui, et chargé de les laver dans les eaux de la pénitence, de la douleur et de l’expiation. »
Le personnage d’Omégar qui apparaît à la fin de ce pesant ouvrage, a inspiré l’épouse de Paulin, qui l’en a extrait pour lui faire vivre une aventure autonome, celle de sa rédemption à la mort de toutes choses.
Le deuxième pilier sur lequel s’appuie l’ouvrage d’Elise Gagne est l’apocalypse de Jean et ses sombres visions. Omégar sera entouré d’une pléiade de personnages représentatifs et symboliques, ou du mal, ou du bien.
Théolinde, l’épouse d’Omégar, est une sainte femme, lui ayant donné deux enfants, Romualt et Nésilda. Les domestiques fidèles font partie de la famille depuis le début : Omégar peut compter sur Babolein et Fabiane pour traquer le démon sous ses divers déguisements.
L’Unitéide, déjà citée, est une figure extraordinaire avec laquelle Omégar s’entretient à plusieurs reprises et qui l’aide dans sa mission. Eliavas, évêque de Provence et directeur de conscience d’Omégar, est aussi son ami. Il lui donne la réplique et l’aide à découvrir son moi profond. Adam, le premier homme est le mentor d’Omégar, Rosaniel, un ange(!), amoureux de Nésilda. Enfin Satan, le tentateur, apparaîtra sous diverses formes, notamment lors du jugement final où seront aussi convoqués tous les saints et les archanges, ainsi que la Sainte Trinité, les rois de France, etc., etc.
Une quantité non moins grande de personnages porteurs de tares sociales ou anti-chrétiens, servent de repoussoir à l’auteur. En vrac, on citera Babylas, le journaliste prétentieux et médisant, Hélémus, le poète médiocre, et Berthas, l’écrivain scandaleux.
Ceux que Dieu vomit, bien sûr :
« Au courroux tout-puissant de la Divinité,
Seule, la noble France a longtemps résisté ;
Mais, se courbant enfin sous l’horrible tempête,
D’un crêpe funéraire elle a voilé sa tête.
Par vingt fléaux divers Hercule terrassé,
Du livre des vivants son peuple est effacé ;
Une trombe de feu s’est ouverte autour d’elle
Et forme un noir volcan d’où la lave ruisselle…
Maintenant sur les bords de ce volcan qui bout,
Une seule famille est encore debout !
Par le glaive divin jusqu’alors épargnée,
Elle attend son arrêt, pieuse et résignée…
Cette noble famille a pour chef Omégar. »
Cette noble famille se réunit en divers lieux, soit à l’Hôtel-Dieu, à Paris, où se réfugient les survivants lors de l’écroulement de la cité, soit dans le domaine d’Omégar, appelé le « Bouton d’or » ou la « Rose d’Or », près de Marseille, soit encore dans les ruines du vatican.
Omégar, qui est enfin arrivé au bout de sa longue route, a connu un destin extraordinaire voulu par Dieu afin qu’il puisse par sa vie, racheter à travers ses souffrances, les péchés des derniers humains. A l’instar du Juif errant, il traverse les millénaires. Très vieux, mais d’apparence mûre, il a connu bien des hommes et fait bien des sottises narrées sans complaisance par l’auteur, mais il n’a jamais perdu de vue sa mission, épaulé par Adam, et malgré les nombreuses tentations à son encontre permises par Dieu à Satan.
Il a vu mourir avant lui –ce qui est logique puisqu’il est le «Dernier Homme »- sa femme Théolinde, sa fille Nesilda, sa bru Néréline, fauchée à la fleur de l’âge, et Romualt, qui, fou de jalousie et sous l’emprise du démon, s’est suicidé; Eliavas même, son quasi-frère, dont Dieu en personne a organisé les pompes funèbres. Les prémisses de la fin de toutes choses apparaissent sans équivoque :
« Les villes, veuves des nombreux habitants qui les peuplaient, ne sont plus que des déserts sillonnés de cendres et de débris ; les plaines et les vallées ressemblent à des ravins profonds qu’une pluie sulfureuse aurait creusés ; le vent impétueux de la colère divine a tout balayé, tout anéanti, depuis le grand chêne jusqu’à l’humble violette, depuis l’aigle superbe jusqu’au timide moucheron. »
Dieu est irrité par ce siècle menteur et pervers, par les immondices que charrient quantité de littérateurs pervers, principaux responsables du mal ambiant, boucs émissaires d’Elise qui les envoient dans les feux de l’enfer :
« Entraînés sur la pente funeste de l’incrédulité, séduits par les dangereux sophismes de cette horde coupable d’écrivains dont les aïeux remontent surtout au XVIIIème et XIXème siècle, ils ont méprisé tous les signes qui leur annonçaient, d’une manière bien évidente pourtant que le triomphe du mal touchait à sa fin ; ils ont redoublé de bravades et de folies, et quand l’heure de la punition a sonné, ils ont osé se plaindre de n’avoir pas été avertis. Les malheureux !
Comment étaient-ils assez dépourvus de raison pour ne pas voir dans le dévergondage des mœurs de la société, dans les révolutions, dans les guerres, dans les pestes et les famines qui fondaient sur eux rapides comme la foudre, des preuves incontestables du courroux de ce maître puissant qu’ils bravaient avec tant d’insolence et d’audace. »
A la « Rose des Vents », Eliavas annonce à Omégar la survenue de la fin. L’agonie de la terre a commencé. D’ailleurs l’Antéchrist règne sur le monde, pourtant puissamment combattu par l’Unitéide.
Nésilda annonce à son père qu’elle est amoureuse d’une colombe qui n’est autre que l’ange Rosaniel. Omégar attend des nouvelles de Romualt se trouvant à Paris, ou plutôt dans ce qui reste des ruines de la ville-lumière :
« A la place où jadis trônait le Panthéon,
Croissent en liberté l’ortie et le chardon,
Ton Louvre colossal, tes vieilles Tuileries,
Ton Luxembourg propice aux douces rêveries,
Ton grand arc de triomphe où le nom des guerriers
Flamboyait entouré d’un cadre de lauriers,
Ta Notre-Dame au front tant de fois séculaire,
Tout cela n’est plus rien qu’un amas de poussière !... »
A l’Hôtel-Dieu encore debout, les rares survivants viennent raconter leurs bienfaits ou leurs exactions, dressant ainsi un tableau des turpitudes morales de la société française de l’époque:
« Les lois ? on les méprise ! Les enseignements que les ministres de l’Evangile laissent tomber du haut des chaires sacrées ? on va les écouter comme un drame o un opéra nouveau, sans en être touché, sans y puiser un seul motif de réformer sa conduite !... Les liens de famille ne sont plus qu’une chaîne usée ; le mariage, une association mercantile; l’autorité paternelle a perdu toute sa puissance; la vieillesse, si respectée dans les premiers âges du monde, est devenue l’objet des plus cyniques railleries ! Prêché par des livres auprès desquels ceux des Balzac, des George Sand, Eugène Sue, des Frédéric Soulié étaient des traités de haute morale, l’adultère ne prend plus la peine de se cacher (…)
Le luxe surpasse toutes les extravagances, toutes les modes ruineuses qu’on lui reprochait si justement autrefois : grandes dames, artisannes, bourgeoises, paysannes même, c’est à qui inventera les costumes les plus bizarres, c’est à qui se livrera aux excentricités les plus monstrueuses pour attirer les regards ! En un mot, le monde n’est plus qu’une vaste succursale de Charenton, de la Roquette, de Saint-Lazare, où la folie, le crime et le vice s’abandonnent sans aucune retenue à des excès qu’ont ignorés Sodome, Gomorrhe, Ninive, Babylone, voluptueuses et coupables cités que la colère divine a réduites en cendres ; »
Perpétue, une bonne sœur et Thaïs, une prostituée, se repentent, et l’une et l’autre. Gaëtan, un jeune noble, reconnaît en Thaïs l’objet de ses désordres. L’abbé Philoxène, un saint homme, a sauvé la vie de Marc, l’oncle d’Omégare. Alors que le fringant Gaëtan est stigmatisé comme symbole de la jeune impiété, d’autres personnages, encore plus lourdement pécheurs, font leur apparition.
Ainsi en est-il de Babylas, le corrupteur des mœurs, rédacteur du scandaleux journal « le Messager des étoiles ». Et Berthas, le critique, en qui Hélémus le poète reconnaît son « assassin littéraire ». Tous mourront dans l’écroulement de l’Hôtel-Dieu, sauf Romualt et Géréline transportés à bord du char de l’Unitéide vers la « Rose d’Or ».
Durant le déplacement, le jeune couple perçoit le chœur des âmes de leurs compagnons défunts reçus malgré tout au paradis tant la mansuétude du Christ est grande; (Quoique Babylas…)
A la Rose d’Or, les événements ne s’arrangent pas vraiment, bien qu’Omégar a la certitude que c’est l’endroit du monde qui résistera le plus longtemps à la dégradation universelle, ce qui donnera le temps à Elise Gagne d’approfondir longuement le passé des principaux personnages. Elle ne nous cachera rien de l’amour éclos entre Romualt et Géréline, des soupçons que Géréline partage avec Nésilda, de la peine qu’elle a ressentie envers Gaëtan qui s’abandonna jadis à la débauche. L’arrivée de Satan déguisé en vieille femme, lequel espère attirer Géréline dans son piège, permettra au lecteur de souffler un peu, jusqu’à ce que Eliavas déjoue le complot.
Puis l’auteur se penche sur le passé d’Omégar. Celui-ci est né à Rochemaure, en Languedoc, en 1770. Nous sommes en 2800. Son enfance souffreteuse de petit garçon chétif rencontrera bientôt les annonces du curé de Candale qui lui prédit un destin exceptionnel. Plus tard, toujours épaulé par Adam (qu’il ne reconnaît pas), il s’éloigne des grands centres urbains, à la vie agitée ; son austérité et son parler-vrai le livrent à la vindicte de ses ennemis à la cour du roi de France ; sa vision de l’histoire, son abjection devant la Terreur, son horreur en face de l’exécution de Louis XVI considérée comme un assassinat, son voyage en Suisse et en Europe avec d’autres émigrés, lui permettent d’accumuler une grande expérience de vie.
Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Son opinion (défavorable !) devant les grands mouvements littéraires de son époque, Romantisme surtout, l’instauration de la République, un voyage en Inde puis dans le monde entier, enfin un retour tardif en France, lui font préférer une installation en une retraite sûre qui deviendra « la Rose d’Or».
Entre temps de si profonds changements avaient affecté son pays qu’il demanda conseil à l’Unitéide. Il confia aussi à Eliavas l’histoire de ses égarements féminins ou comment il a pu être berné par la perfide Mme de Boisgonthier « une nouvelle Armide, un serpent venimeux », en espérant que Dieu lui pardonnerait ce faux-pas. Eliavas le rassure. D’ailleurs d’autres sujets de préoccupation le retiennent, dont notamment, la mort de Romualt dans les ruines du Vatican, dont il ne peut que constater le décès, après son arrivée expresse sur les lieux par ballon dirigeable. En d’ultimes instants de doute partagés par Eliavas, assis devant un décor méditerranéen, après l’agonie de sa fille , Omégar constate qu’il reste le dernier vivant. Autour de lui croule la Terre :
« Le vent hurlait, la nuit d’un lugubre suaire
Recouvrait tous les points de ce vaste hémisphère,
On entendait au loin le bruit sourd des grands monts
Qui roulaient foudroyés dans les gouffres profonds,
Les arbres se tordaient sous l’orage en furie,
Les derniers animaux râlaient leur agonie,
Des blocs de feux, poussés par l’aquilon fougueux,
Tombaient en allumant l’incendie après eux,
La terre s’enfonçait par degré dans l’abîme,
Et l’avide Chaos attendait sa victime… »
Au ciel se prépare le Jugement Dernier, le dernier acte.
En concertation avec David et Isaïe, Saint Jean, la Sainte Vierge et bien d’autres, Jésus déplore la sévérité dont il va faire preuve mais, que voulez-vous, il ne peut se délaisser de sa rigueur et remettre le jugement des iniquités à plus tard : la Terre devra disparaître, Omégar devra être sauvé en dernier, puis, tout étant consommé, la Jérusalem céleste accueillera les âmes méritantes et l’Enfer les corrompues :
« Quand la famille humaine, en deux camps partagée,
Par l’arrêt sans appel tout entière est jugée,
Il (=Dieu) se recueille et fait un geste de la main,
Auxquels les morts-vivants obéissent soudain.
A sa droite, et conduits par la paix et la grâce,
Sur des trônes d’éclairs les élus prennent place,
Tandis que précédés d’un groupe de démons
Aux pieds tors, à l’œil louche, aux impudiques fronts,
Les maudits, exhalant des plaintes sépulcrales,
Prennent le noir chemin des rives infernales.
La haine de son dard aiguillonne leurs pas,
Derrière eux les rochers croulent avec fracas ;
Comme un vaisseau géant, la terre ballottée
Sur les vagues de feu d’une mer agitée
Lutte avec l’ouragan, dont le choc furieux
Tout à tour la rapproche et l’éloigne des cieux »
Si nous avons analysé aussi longuement cet ouvrage d’une rareté extrême, c’est qu’il représente un exemple typique du dévoiement du thème du « Dernier homme », utilisé dans le seul but d’édification morale et pieuse, et considéré comme un brûlot contre les hérétiques de tous poils. Personnage préféré des « Hétéroclites », le « Dernier Homme » souffrira, jusqu’à une époque avancée de son histoire, de cette thématique religieuse et de sa proximité avec l’Apocalypse de Jean. Il lui aura fallu très longtemps pour redevenir enfin le dernier homme sur une terre libérée de l’espèce humaine (Voir à ce sujet « le dernier Homme » d’Atwood ou « le Monde, enfin » d’Andrevon).
Quoique l’ouvrage soit composé en un style soutenu, et bien que sa prose poétique ne nous émeut plus guère, malgré ses interminables digressions, romans dans le roman qui alourdissent l’intrigue – déjà bien lourde en soi – Elise Gagne possède certaines qualités de style, gâchées , hélas ! par sa monomanie anti-sexe et sa haine hystérique à l’égard des littérateurs « pervers ». Son conservatisme politique et son aigreur de n’avoir su percer dans le champ romanesque ne font aucun doute. Ce qui a pour conséquence qu’Omégar, le dernier homme dormira enfin tranquille du sommeil de l’éternité.
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Deux savants archéologues du futur en provenance du phalanstère atlasien universellement connu, sont à la recherche du site de Paris. Denis Zabulon et Jérémie Artémias, descendants de vaillants découvreurs dans l’art de se faire la guerre, traversent en « steam-table le ruisseau qui sépare l’Afrique de l’ancienne France ». Eblouis, ils découvrirent :
« du haut des airs quatre-vingt kilomètres de ruines moussues, lesquelles, d’après leurs calculs, devaient appartenir à l’ancienne capitale de la France, nommée Paris, selon les uns, et, selon les autres, mieux instruits, Parigi ou Lutétia, mot qui signifiait dans une ancienne langue, boue. »
Avec les « aides-famille », ils dressent leurs tentes près des ruines de l’arc de Triomphe. L’approche de la défunte cité est malaisée à cause d’une vaste forêt de lianes, ce qui les mène à un temple grec ou romain. Ils y découvriront une mosaïque que Zabulon date de 1848, soit de la plus haute antiquité. A partir des tronçons de phrases (les restes de l’inscription figurant au fronton de l’église de la Madeleine), qu’il interprète comme « Madeleine a trouvé un mari sous sa maison », il démontre que ce temple était dédié à la vertu domestique. Donc, contrairement à ce que prétendent certains historiens concurrents, les mœurs de cette époque étaient loin d’être corrompues.
Plus loin, ils tombent en arrêt devant une colonne (la colonne Vendôme) où le nom de « Nea Polion » démontre à coup sûr qu’elle avait été érigée à la gloire du général « Nea Polio », celui qui termina la guerre commencée par Germanicus. Elle daterait de 1805 et prouve également que la langue latine était encore usitée à Paris en ce temps-là. Enfin, ils exhumèrent la preuve d’un passé depuis longtemps disparu à cause , notamment, du sage roi Spirigh qui, en 3235, fit incendier tous les livres pour que la terre n’étouffe pas sous leur poids :
« La terre était sur le point de n’être plus habitée que par des livres ; les insectes et les animaux rongeurs qui vivent des papiers imprimés, se multipliaient d’une manière effrayante, et il aurait bientôt fallu que l’homme abandonnât les villes aux bibliothèques et aux vers. Le sage roi Spirigh, le conquérant éclairé des trois parties du monde, a donc rendu un véritable service aux hommes en livrant au feu ces innombrables montagnes de livres, qui ne servaient plus qu’à infecter l’atmosphère ; car ils étaient devenus si nombreux que leur masse formidable décourageait la science et l’instruction. »
Ainsi administrèrent-ils la preuve qu’au XIXème siècle l’on parlait un latin dégénéré sous des rois habillés en César. La découverte d’une statue en bronze (le cavalier de Louis XIV place des Victoires) incite pourtant les deux savants à la prudence. Le personnage est identifié sans erreur possible comme étant une représentation de l’empereur Adrien, mais pourquoi cette perruque ? La seule déduction possible est que :
« les peuples qui ont habité ce pays devaient tous porter d’énormes perruques pour défendre leurs têtes contre une atmosphère toujours humide ou glaciale. »
Car les monuments n’ont pas été détruits par violence, ils ont fondu sous un déluge universel en ce pays de froid, de neige et de glace. La fontaine (de Jean Goujon au Marché des Innocents) leur parle des nymphes et du paganisme puisque le christianisme n’était pas connu à Paris à cette époque. Les ruines de l’ancienne école de Droit, du côté du Panthéon, les confortent en cette théorie :
« - Oh ! s’écria Zabulon, voilà qui est décisif ! regarde à tes pieds, frère Artémias ; ceci est une plaque de marbre détachée d’une muraille de ce monument voisin, élevé autrefois en face du Panthéon. Lisez ces deux mots : JUS ROMANUM. 1853 – Jus romanum ! dit Artémias en croisant ses mains par-dessus son front. En 1853, Paris était gouverné par le droit romain ! Les pères y coupaient la tête à leurs enfants, et l’esclavage n’y était pas aboli ! Grand Dieu, que la terre a été longtemps acharnée dans ses erreurs. »
Ayant engrangé un savoir incomparable, après une escale à « Marsyo » ou « Marsalia », en des ruines disposées en face d’Alger, ils reviennent, triomphants, chez eux. Zabulon, qui appartient à la « Société du Portique des Amis de la Vérité » produit sa prestation devant ses pairs. Il a pu démontrer que les ruines de Paris sont les derniers témoins d’un lieu exécrable :
« Figurez-vous un océan de boue noire, soulevé en vagues énormes par la tempête et subitement glacé dans sa folle insurrection. L’œil a de la peine à distinguer la maison du citoyen de la demeure des rois et des dieux. Une teinte uniforme couvre ces collines artificielles et l’air n’y sonne d’autre bruit que la plainte continuelle des gouttes d’eau sur les feuilles, et le croassement des corneilles qui tourbillonnent dans le brouillard.»
Ce qui explique le paganisme de ses habitants qui auront vécu « à l’ombre de la mort et de l’erreur ». Les savants se félicitent de vivre à leur époque, si lumineuse, si agréable, comme ils le chantent par cent mille voix reprises en refrain:
« Frères, chantez ! voici les temps prédits ;
Dieu, sur la terre, a mis le paradis. »
Une nouvelle peu connue d’archéologie fantaisiste rejoignant les textes du Dr. Mettais (An 5865), de Henriot (Paris dans 3000 ans), de Béliard (Découverte de Paris), de Bonnardot (Archéopolis) et, plus récemment, de Mc Aulay (la Civilisation disparue) ou de Waydelich (Mutarotnegra). L’impact sur le lecteur en est toujours aussi fort et la leçon évidente, incitant à la prudence dans le cadre de la restauration historique basée sur des ruines pénétrées de mystères.
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Deux âmes terrestres s’entretiennent de leur passé. En un long monologue, Eiros explique à Charmion comment fut détruite la Terre dans sa rencontre avec une comète ; comment celle-ci, d’abord considérée comme inoffensive par la science qui n’avait jamais rencontré dans l’histoire de l’humanité une comète aussi dangereuse, suscita l’admiration, avant de générer la panique.
Elle n’était ni plus grosse ni plus rapide qu’une autre, sa courte queue composée du gaz le plus rare ne pouvait causer de dommages. D’ailleurs les théologiens, se référant à l’Apocalypse, prétendaient que la Terre ne pouvait être détruite que par le feu. Mais son approche, par « son gigantesque manteau de flammes claires, toujours étendu à tous les horizons », créa une émotion « radicalement nouvelle ».
Enfin lorsque l’humanité apprit que le gaz cométaire allait vider l’atmosphère terrestre de son azote, elle exprima de la terreur en face « d’une combustion irrésistible, dévorante, toute-puissante, , immédiate : Je serai brève,- brève comme la catastrophe. Pendant un moment, ce fut seulement une lumière étrange, lugubre, qui visitait et pénétrait toutes choses. Puis, - prosternons-nous, Charmion, devant l’excessive majesté du Dieu grand !- puis ce fut un son, éclatant, pénétrant, comme si c’était LUI qui l’eût crié par sa bouche ; et toute la masse d’éther environnante, au sein de laquelle nous vivions, éclata d’un seul coup en une espèce de flamme intense, dont la merveilleuse clarté et la chaleur dévorante n’ont pas de nom, même parmi les Anges dans le haut Ciel de la science pure. Ainsi finirent toutes choses. »
Cette courte nouvelle, écrite en 1839 et sans doute inspirée à Poe par la chute de météorites de 1831, apporte les arguments scientifiques en faveur du danger cométaire, arguments que développeront plus tard Verniculus, Griffith, Rey-Dussueil ou Camille Flammarion. Baudelaire lui-même dut être impressionné par elle, puisqu’il conçut le projet d’une : « fin du monde – Un roman sur les derniers hommes- les mêmes vices qu’autrefois - Distances immenses… - les dernières palpitations du monde, luttes, rivalités » ainsi qu’un poème en prose sur ce thème qui ne vit jamais le jour. L’esthétique baudelairienne de la «nouveauté » ne pouvait qu’être sensible à l’ouverture de la palette émotionnelle proposée par « la modernité » de Poe.
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«A GRAINVILLE
«Infortuné, qui, vaincu par l’adversité, succombas sans espoir et presque sans nom en laissant un ouvrage plein de génie, accepte l’hommage sincère de l’homme qui a essayé de compléter ce que le malheur ne t’avait pas permis de perfectionner ou d’achever. Il a cherché à monter dans tout son jour le diamant que tu as trouvé, l’œuvre que tu as crée. Il a pu ajouter quelques cordes à ta lyre, mais l’instrument était sublime, et son mérite, ici, s’il en a un, ne sera jamais que l’ombre du tien. » (Envoi ouvrant « le dernier Homme » par Creuzé de Lesser)
Creuzé de Lesser, polygraphe et poète, eut connaissance de l’œuvre de Cousin de Grainville. Stupéfié par sa radicale nouveauté, ému du sort injuste fait à son auteur, et désireux d’ajouter sa contribution au mouvement romantique, il entreprit l’écriture d’une épopée en suivant, au plus près possible, la trame du « Dernier Homme » de Grainville. Cette imitation versifiée du roman fut explicitement proclamée par de Lesser (voir l’envoi liminaire), contrairement à ce que firent plus tard et Elise Gagne, et Flammarion.
Il ne s’agit donc en aucun cas d’un plagiat.
De Lesser pensait notamment que les vers épiques resserreraient l’action. Il garda aussi les mêmes figures emblématiques que sont Dieu, la Mort, Adam, le Génie de la Terre, etc. en modifiant parfois leur distribution. Ce sont surtout les relations entre Sydérie et Omégare qu’il rendit plus étroites, pour les faire coïncider avec le « pathos » de l’amour romantique.
Le poète se désespérait que l’œuvre de Grainville restât ignorée de son public malgré la réédition qu’en fit Charles Nodier, réédition elle aussi discrète et méconnue. Sachant que le Français « n’avait pas la tête épique », De Lesser aligna dans sa composition certaines nouveautés surtout après le Livre III, trouvant la fin du roman moins puissante que le début. Il y mentionna, et pour la première fois dans la littérature française, la théorie des arches stellaires :
« Ormus, par le péril constamment agrandi,
Ouvrit un vœu plus noble, un projet plus hardi :
« le soleil nous trahit aussi bien que la terre ;
Mais tout n’est pas perdu, dit-il, tant qu’on espère.
Eh bien ! abandonnons, par un heureux conseil,
Cette terre flétrie et ce pâle soleil.
D’un univers vieilli quittons l’antique sphère,
Et cherchons dans l’espace une nouvelle terre,
Sous un soleil nouveau dont les feux triomphans
Vont régénérer l’homme, heureux de ses enfans,
Ces astres que la nuit nous montre sur nos têtes,
Offrent à notre destin mille demeures prêtes.
Car, éloignés en vain, par un art précieux,
Nous les voyons de près, nous les touchons des yeux,
Et pouvons reconnaître à toutes les distances
Les Eden merveilleux de ces déserts immenses.
D’innombrables esquifs, vaisseauxaériens,
Du départ en tous lieux vous offrent les moyens,
Et tout le genre humain, immense colonie,
Peut s’élever bientôt , dans les cieux réunie.
Je sais ainsi que vous que, d’un air trop subtil
Il faut dans ce voyage affronter le péril ;
Mais déjà Philantor, par son art admirable,
A su rendre aux mortels le ciel moins redoutable.
J’y joindrai mes efforts ; et, comme sur les mers
On porte une eau salubre au sein des flots amers,
Ainsi nous pourrions tous, par une heureuse audace,
Munis d’un air vital, franchir un long espace
Jusqu’au jour qui verrait le genre humain vainqueur
Respirer librement sur un sol bienfaiteur.
Naviguons dans les cieux vers ces terres fécondes,
Venez, venez choisir dans le peuple des mondes.
Vous voulez, en fuyant reculer vos revers :
Bravez-les désormais, et changeons d’univers. »
Il magnifia également par des tableaux puissants, les derniers instants de la terre, comme dans cette description de la destruction de notre lune :
« A l’occident lointain, des jours l’astre brillant
Disparaissait : soudain du lointain orient
S’avance une clarté plus vive que l’aurore,
Et qui croît par la nuit, et qui s’accroît encore.
Un vaste feu, du ciel semble le vêtement ;
La terre réfléchit l’éclat du firmament ;
Tout paraît enflammé, même la froide plante ;
Et tout homme paraît une flamme vivante.
L’homme, à ce redoutable et pompeux appareil,
Croit voir sur l’horizon naître un nouveau soleil,
Ou croit voir, en ce feu dont la clarté l’inonde,
La flamme universelle où périra le monde.
La lune, en s’approchant des mortels malheureux,
Seule causait ce trouble, hélas trop douloureux.
Elle se lève enfin, et sanglante, et farouche,
Présentant aux mortels une effroyable bouche…
Ouverte, et d’où le feu jaillissait par torrens.
Alors des animaux les cris sont déchirans ;
Et leur prince lui-même, abjurant le courage,
L’homme, contre la terre a caché son visage.
Presque seul, Philantor ne trembla pas comme eux ,
Et sur la lune encore osa lever les yeux.
Lorsque d’un œil tranquille il l’a considérée,
Il dit que d’un volcan la lune est décorée.
Observant l’incendie, en observant la fin,
Il annonce aux mortels le ciel rendu serein.
« Regardez, leur dit-il ; mais, dans l’immense arène,
De vos antiques nuits ne cherchez plus la reine.
Cet astre a terminé le cours de ses travaux.
Il a péri. Sa cendre est rendue au chaos,
Et doit, un jour lointain que rien ne nous révèle,
Former les élémens d’une terre nouvelle. »
Voilà donc, entre autres, quelques- unes des raisons qui nous ont fait nous étendre aussi longuement sur cet auteur.
Aujourd’hui, l’épopée de Creuzé de Lesser est inaccessible, oubliée, enterrée, comme l’est le roman qui lui a donné naissance. L’épopée n’est plus au goût du jour et il est vrai que le lecteur moderne ne peut se sentir à l’aise dans l’air stimulant des hauts sommets alors qu’il a pris l’habitude d’avaler la soupe épaisse de la médiocrité littéraire dont les médias, à longs traits, l’abreuvent constamment.
Bref, les mauvaises habitudes ont la vie dure et, avec la mutation rapide de notre langue, le moment n’est plus très loin où nos contemporains, non seulement ne comprendront plus ce qu’à voulu dire Creuzé de Lesser, mais n’arriveront même plus à en déchiffrer le poème.
Dors en paix, ô Dernier Homme, dans le cimetière littéraire français !
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Dans cet ouvrage (en deux volumes) seul un mince fragment du texte est consacré à la fin du monde proprement dite.
L’auteur met en scène un moraliste le jeune Brémond qui s’entretient avec diverses personnalités significatives de la société française en 1830, ce qui sert de prétexte à une critique virulente du gouvernement Guizot. Peut-être est-ce par là, à travers un glissement sémantique, qui part de l’idée de « la fin d’une société » ou de la « fin d’un régime », qu’il en est venu à évoquer la comète de 1832, porteuse de catastrophe, ce qui n’émeut d’alleurs pas plus que cela ses contemporains. Avec beaucoup de sang-froid il décrit les conséquences d’une collision de la comète avec la terre, un déluge universel censé noyer toutes les parties basses du monde :
« Hâtez-vous, mes amis, car une fois la fin du monde venue, si l’un de vous réchappe à la catastrophe, les eaux auront enseveli les bases de ces immenses monts, et ce qui restera des Alpes, modeste îlot, élèvera sur le front de la mer quelques insignifiantes aiguilles. Le Mont-Blanc sera une autre butte Chaumont, et sur son sommet dépouillé de neiges on cultivera des laitues. »
Brémond se retire donc dans les Alpes, à « Chamouny », où déjà se pressent des cohortes apeurées. Il y découvre Sara, le grand amour de sa vie, une « quackeresse » psycho-rigide qui ignore ce jeune homme que l’amour abêtit. La comète et ses désagréments seront donc les bienvenus, Brémond s’imaginant représenter le futur couple primitif avec Sara pour compagne :
« Tout à coup un bruit épouvantable, un bruit de cent tonnerres répétés par d’innombrables échos, se fit entendre; le ciel, tout de feu, sembla s’ouvrir, comme pour laisser tomber les astres qui y sont attachés ; les Alpes émues s’agitaient avec un craquement terrible, jusques dans leurs bases ; des milliers d’ouragans se heurtaient dans l’air, et de longs mugissements s’échappaient des plus profondes entrailles de la terre…Que se passait-il dans cette tempête suprême ? Aucun être humain ne le pourrait dire ; il faudrait une voix de prophète inspiré par une pensée divine, car aucun être humain ne l’a pu voir. Quand le jeune homme revint à lui, il avait la face contre terre, les membres sanglans ; sa pensée était frappée d’un long et terrible engourdissement. Il se leva, hâletant ; il voulut porter ses regards vers la vallée, et ses regards rencontrèrent un Océan, dont les vagues immenses semblaient défier en hauteur ce qui restait des Alpes. Et Sara !… Sara avait disparu.»
En conclusion que reste-t-il aussi de notre thème dans cet ouvrage cité par Versins et dont le caractère mythique (car introuvable) a enflammé les imaginations ? En réalité fort peu de choses sinon une belle idée que les successeurs de Rey-Dussueil reprendront avec davantage de sérieux.
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"Le Dernier Homme" est historiquement le deuxième roman traitant de ce thème, le premier étant "le Dernier Homme" de Cousin de Grainville (1805). Il s’agit d’une oeuvre importante, de par la qualité de son auteur, créatrice de "Frankenstein", et des éléments romantiques qui se retrouveront désormais à la base de l’oeuvre cataclysmique: poésie des ruines, agonie de la nature, héros démesuré, destruction et mort de l’espèce, pérégrinations dans le monde..
L’oeuvre est divisée en trois livres distincts. Le premier présente les héros de l’histoire et développe les liens qui les unissent. Le deuxième montre l’éclosion de l’épidémie de peste. Le troisième insiste sur les voyages du dernier homme.
Y sont présents de nombreux archétypes qui deviendront stéréotypes dans les romans ultérieurs: description des ruines et des cadavres, ivresse de la liberté et de la possession totale des biens de ce monde , interrogation métaphysique devant la cruauté du destin , multiplication de la nature végétale et animale enfin libérés de la tutelle humaine.
Le récit, de pure science-fiction, est daté: il débute en 2073 et s’achève une vingtaine d’années plus tard. Il s’ouvre sur les personnages de Perdita, soeur du narrateur, et de Raymond, le héros, libérateur de la Grèce, conducteur de l’Angleterre menacée par la peste, en fait le sosie de Lord Byron . Adrian est le fils de la Comtesse de Windsor et deuxième ami du narrateur. Il prendra la relève de Raymond, après la disparition de celui-ci, pour conduire les derniers rescapés anglais hors de leur pays frappé à mort, jusqu’à un retour en Grèce supposée épargnée par le fléau. Idriss est la soeur d’Adrian, épouse du narrateur. Enfin Evadné est une jeune Grecque amoureuse de Raymond.
Ces personnages sont des héros romantiques, êtres excessifs par nature et entiers dans leur jugement. Raymond possède un caractère sauvage, indomptable. Il est irascible et partial. Adrian, le futur roi d’Angleterre est fantasque, chimérique, et fin politique. Il fait penser au roi fou, Louis II de Bavière. Perdita , Evadné , Idriss, se montrent des femmes indomptables et les meilleurs soutiens des héros.
Le premier livre place les personnages dans leur décor. Il s’agit de la campagne anglaise, du château de Windsor; l’Angleterre future restant soumise à la royauté et la technologie n’y faisant aucune apparition. L’oeuvre est truffée de références littéraires et philosophiques, de rappels quant à la situation politique au début du 19ème siècle.
Raymond s’affirme comme leader naturel ; il remporte légalement le pouvoir en battant son opposant Ryland, le populiste. En façonnant une nouvelle constitution, il apprend par Evadné le triste sort de la Grèce pliant sous le joug turc. N’écoutant que son courage, le Protecteur - c’est son titre - part libérer la Grèce. Il vole de victoires en victoires mais bute sur Constantinople. Il fait le siège de la ville, si longtemps qu’une épidémie de peste s’y déclare, ravageant tout. Ses amis lui recommandent de repartir. Lui, au contraire, force l’entrée de la ville mais saute sur une poudrière. Le héros n’est plus et le fléau se propage.
Les compagnons de Raymond retournent en Angleterre, autant pour fuir l’épidémie que pour assurer la succession du Protecteur en la personne d’Adrian. Les nouvelles ne sont pas bonnes: la Peste progresse et dévaste tout sur son passage. Elle menace l’Angleterre au moment où d’autres signes de destruction se manifestent dans le monde comme si le septième sceau de l’Apocalypse était brisé:
" le 20 novembre, Adrian et moi chevauchâmes une dernière fois à travers les rues de Londres. Elles étaient désertes et envahies par les herbes folles. Les portes ouvertes des maisons vides grinçaient sur leurs gonds; une végétation exubérante et une saleté dégoûtante avaient envahi leurs marches. Les clochers muets des églises s’élevaient dans un ciel libre de toute fumée, les églises étaient ouvertes mais personne ne venait plus prier devant les autels, la moisissure et l’humidité avaient déjà endommagé leurs ornements. Les oiseaux et les animaux domestiques désormais sans maîtres, avaient fait leurs nids et installé leurs tanières dans des lieux consacrés. Nous passâmes devant St Paul. Londres, qui avait étendu ses faubourgs dans toutes les directions, avait un peu délaissé son centre, et beaucoup de ce qui masquait autrefois ce vaste édifice avait disparu. Sa masse pesante, sa pierre noire et son dôme imposant lui donnaient l’apparence non pas d’un temple mais d’une sépulture. Au-dessus du portique il me sembla lire le Hic Jacet de l’Angleterre.
Nous poursuivîmes notre route vers l’est, tenant les propos graves et solennels qu’inspirait l’époque. Nous n’entendions aucun pas d’homme, ne rencontrions aucune forme humaine. Des troupes de chiens délaissés nous croisaient; et de temps à autre un cheval sans bride ni selle trottait vers nous;(...) Si tout était désert, rien n’était en ruine. Et ce mélange de bâtiments intacts et de résidences luxueuses, encore pimpantes, contrastait avec le silence macabre des rues désertes. "
Le pays se transforme: le commerce s’arrête, les villes sont abandonnées au profit des campagnes, l’immigration est interdite, les dissensions politiques se font jour, la guerre civile éclate.
Dans le troisième Livre, les bouleversements sociaux atteignent leur maximum. Il reste peu d’Anglais. L’agriculture est abandonnée. Londres ne compte plus qu’un millier d’habitants. En 2096, Adrian, le Protecteur, a décidé d’aller vers le Sud, via les Alpes, avec sa famille et la dernière tribu de ce qui constitua jadis le peuple anglais. Talonné par la peste, en dépit de l’air pur des sommets, il se dirige vers l’Italie:
" (A Venise) algues et monstres marins étaient abandonnés sur le marbre noirci; le limon salé défigurait les oeuvres d’art incomparables et les goélands s’échappaient par les vitres cassées. Au milieu des ruines impressionnantes de ces monuments édifiés jadis par des hommes de génie, la nature affirmait sa prééminence, et le contraste rehaussait sa beauté. Les eaux radieuses frissonnaient à peine, et leurs ondulations légères étaient autant de miroirs dans lesquels se réfléchissait le soleil. "
Durant le voyage, le groupe se désagrège: les uns disparaissent, les autres se laissent séduire par les accents d’un faux prophète. Idriss meurt. Adrian dépérit, puis meurt à son tour. Le narrateur, dans la ville déserte de Rome, restera le "dernier homme":
" J’employais mes matinées à monter à cheval et à chasser dans la Campanie. -Je passais de longues heures dans les diverses galeries- je contemplais chaque statue, et je me perdais en rêveries devant maintes Madones ou nymphes superbes. Je hantais le Vatican, où m’entouraient des oeuvres de marbre d’une beauté transcendante. Chaque divinité de pierre était possédée par une joie sacrée, et par l’éternelle fécondité de l’amour. Elles me regardaient avec une froide suffisance, et souvent j’éclatais en reproches contre leur suprême indifférence -car elles avaient forme humaine, et la beauté divine de l’homme se manifestait dans chaque partie de leur corps. Le travail parfait de l’artiste créait l’illusion du mouvement et de la couleur. Souvent, à moitié par ironie amère, à moitié dans l’intention de me leurrer moi-même, je serrais contre mon corps leurs proportions glacées, et m’insinuant entre Cupidon et les lèvres de sa Psyché, j’embrassais le marbre stérile ".
Après avoir usé de sa liberté toute neuve, il consigne par écrit la saga de l’espèce humaine et la confie aux anfractuosités d’un rocher. C’est là, dans une caverne que l’auteur, Mary Shelley, affirme avoir découvert le manuscrit à son époque, ce qui renvoie notre époque à un futur antérieur à l’époque du roman.
Ce récit possède pour le lecteur moderne des lenteurs, dues au développement des descriptions romantiques et au pathos qui s’en dégage. Il revivifie cependant en les réactualisant les thèmes déjà notés par Cousin de Grainville avec son personnage Omégar.
La quasi-totalité de ceux-ci seront repris par le roman cataclysmique moderne, à savoir, la poésie des ruines, la cité privée d’humains en proie au végétal et à l’animal, la désagrégation sociale, la montée des sectes religieuses, l’ivresse de la possession totale, le mythe du bon berger conduisant son peuple vers une nouvelle Arcadie, la description réaliste de l’épidémie et ses conséquences atroces, le thème de la culpabilité humaine. Aucune oeuvre du genre n’ira plus loin que celle-ci, en démontrant ce que le roman apocalyptique devra au Romantisme. Autant que le "Frankenstein ", " le dernier Homme " est le testament littéraire de Mary Shelley.
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Dans les ruines de l’antique Palmyre, le narrateur rencontre un esprit céleste qui lui conte les destinées d’Omégare et de Sydérie, le dernier homme et la dernière femme. Dans sa vision, il aperçoit l’ange Ituriel rencontrer un Adam vieilli à qui il fait voir une terre proche de sa fin. Adam en est stupéfait et attristé :
" Il se lève promptement, et jette autour de lui ses regards avides. Le soleil commençait sa carrière. De quel étonnement le père des humains est frappé, lorsqu’il voit les plaines et les montagnes dépouillés de verdure, stériles et nues comme un rocher ; les arbres dégénérés et couverts d’une écorce blanchâtre, le soleil, dont la lumière était affaiblie, jeter sur ces objets un jour pâle et lugubre. Ce n’était point l’hiver et ses frimas qui répandaient cette horreur sur la nature. Jusque dans cette saison cruelle, elle conservait une beauté mâle, et cette vigueur qui promet une fécondité prochaine, mais la terre avait subi la commune destinée. Après avoir lutté pendant des siècles contre les efforts du temps et des hommes qui l’avaient épuisée, elle portait les tristes marques de sa caducité. "
Puis, il l’emmène en terre de France auprès d’Omégare où il aura pour mission de lui annoncer la fin de toutes choses puisqu’il est désormais interdit au dernier homme d’enfanter avec Sydérie, la dernière femme. Adam, en la voyant, est tout ému :
" Pendant cet entretien, le père des hommes avait jeté les yeux sur Syderie. Les charmes de sa figure, sa modeste retenue, ses cheveux blonds qui flottaient sur ses épaules, la noblesse de sa taille légère et majestueuse, lui rappelaient une épouse chérie dont il ignorait le sort dans le séjour des ombres. Eve avait, comme Syderie, la fraîcheur du printemps de l’âge, et surtout la même pudeur aimable et touchante, lorsqu’à son réveil Adam la vit à ses côtés pour la première fois. Cet heureux instant se retrace à sa pensée avec des douleurs vives. Il s’attendrit et verse des pleurs. "
Omégare évoque son enfance en un passé lointain où déjà la terre était frappée à mort et où régnait la stérilité des femmes:
" Lorsque je vis le jour, l’hymen depuis vingt ans n’était plus fécond. Les hommes avançant tristement vers le terme de leur course, sans être suivis d’une jeune postérité qui dut les remplacer, pensaient que la terre allait perdre en eux ses derniers habitants. Ma naissance fut un phénomène qui causa leur surprise et les transporta de leur joie : ils la célébrèrent par des fêtes. On dit que des femmes accoururent des extrémités de l’Europe pour voir l’homme enfant : c’est ainsi qu’elles me nommèrent. Mon père me prit dans ses bras, et s’écria : le genre humain vit encore ! ô Dieu ! dit-il en m’offrant à l’Eternel, est-ce une erreur qui m’abuse ? cet enfant sera le père d’une race nouvelle. Ce n’est point à moi que tu l’as donné, mais à la terre, mais au monde, dont il devient l’unique espérance ; conserve ses jours, il est à toi, je te consacre mon fils. "
Pourtant, le génie de la terre, qui vit au plus profond du feu central, s’élève contre la décision divine car il ne veut pas mourir. Contactant Omégare, il le supplie de faire un enfant à Sydérie afin d’assurer sa descendance et de permettre le renouvellement de la vie :
" Il n’est plus qu’une seule femme et toi qui pouvez aujourd’hui perpétuer la race des humains. Qu’elle périsse ou que tu meures, la terre va se dissoudre, rentrer dans le chaos , et je suis anéanti pour jamais. Le danger est extrême depuis que les hommes devenus stériles ne donnent plus à la mort de continuelles victimes, sa voracité n’est pas seulement une faim cruelle, elle se jette sur tous les êtres vivants. Cependant si tu pouvais échapper à ses coups, et t’unir par les liens de l’hyménée à la seule femme qui le rendra fécond, tu reculerais le moment de ma perte ; non que je mette un grand prix à quelques jours d’existence, je saurai mourir avec courage ; j’ai reçu des hommes cette leçon si difficile à donner. Mais je suis instruit que l’astre qui doit rallumer les soleils près de s’éteindre descendra bientôt sur notre sphère pour rendre à l’astre du jour sa chaleur et son premier éclat. Alors si la terre n’était pas détruite, elle se ranimerait aux feux nouveaux du soleil, elle se dépouillerait des vêtements de sa vieillesse pour reprendre sa robe brillante du printemps. "
Il lui enjoint de gagner Rouen en Normandie pour rencontrer Idamas qui saura le guider. En cours de route, Omégare fait la connaissance de Policlète habitant une ville immense et vide. Avec Céphise sa compagne, ils se souvenaient de lui :
" Quoi me dit Céphise, vous seriez cet enfant que j’ai vu : j’avais alors vingt ans. Heureux jours qui sont toujours présents à ma mémoire ! Ma mère me conduisit aux fêtes qu’on célébra pour votre naissance. Vous deviez être, disait-on, le sauveur du monde, la tige d’une race nouvelle."
Omégare, poursuivant son voyage vers Rouen, rencontre aussi Palémos, envoyé au-devant de lui par Idamas. Il lui dit que ce grand homme ne pouvait se résigner à voir la terre mourir, surtout en se rappelant sa grandeur passée, et qu’il s’était donné pour mission d’acheminer Omégare auprès de Sydérie, en une terre lointaine, à l’aide d’un immense navire aérien :
" La capitale de la Normandie avait été longtemps un des lieux les plus célèbres d’où partaient les vaisseaux aériens. Il restait encore, dans les magasins nombreux de cette ville, des urnes pleines de ces esprits volatils qui, plus puissants que la voile et plus vite que les ailes des oiseaux, élevaient l’homme au-dessus des nuages. Idamas avait déjà transporté ces urnes sur la place. Déjà l’air subtil qu’elles renfermaient coulait à grands flots dans les flancs du globe qui s’agitait, impatient de s’élancer dans les airs. Je considérais d’un œil avide et curieux un spectacle si nouveau pour ma jeunesse. Le globe surtout fixa tous mes regards. Sur la poupe du vaisseau, ces mots étaient écrits en lettres d’or, «j’ai fait le tour du monde». Sur les côtés étaient peints divers événements dont l’imitation était si parfaite, que tous les personnages semblaient vivre et respirer. Ici l’on voyait de hardis navigateurs franchir les mers australes par la route des airs, descendre sur des montagnes inaccessibles, sur des plages où l’homme n’avait jamais imprimé ses pas, et terminer la conquête de l’univers. Là d’affreux tremblements de terre qui répandaient au loin la terreur, renversaient les villes sur leurs fondements écroulés. Des abîmes s’ouvraient de toutes parts pour engloutir les hommes ; mais ils fuyaient, dans les airs paisibles, la terre irritée. On voyait vers le centre le ciel obscurci par des légions de vaisseaux armés qui se faisaient la guerre. Rien n’était plus terrible que ce spectacle. Les oiseaux épouvantés avaient pris la fuite. Seuls maîtres du champ de bataille, les combattants s’approchaient les uns des autres armés de faux étincelantes pour couper la corde qui tenait les nacelles suspendues, ou, plus perfides, perçaient le globe par le secours de la flèche aiguë, ou du plomb rapide. Les soldats tombaient par milliers comme précipités du ciel par la foudre. Leur sang rougissait la douce verdure des arbres. Leurs membres épars et palpitants couvraient les campagnes et les toits du tranquille laboureur. "
Avec Idamas et ses compagnons ils s’embarquent à destination du Brésil, chez les Américains, toujours à la recherche de Sydérie. Du haut des airs, Omégare put observer à loisir les bouleversements géographiques de l’antique Europe :
" Il nous montre dans le nord la place où fut l’Angleterre, et que l’Océan avait engloutie. Sur la gauche, il nous fait remarquer l’ancienne Hibérie, où le fils d’Alcmène crut poser les dernières colonnes de la terre ; mais il peut à peine nous indiquer ces objets, qui ne font que paraître et s’évanouir. "
Le temps s’allongeant dans le vaisseau aérien, Idamas en profite pour raconter au dernier homme l’histoire des siècles passés et notamment la lutte âpre et gigantesque de Philantor, l’homme qui voulut s’opposer à la décadence. Ce grand savant découvrit le moyen d’allonger la vie humaine et de rajeunir les vieillards. Mais il craignit, en révélant son secret, de livrer la terre à la surpopulation et l’anéantir à coup sûr :
" L’espace de la vie humaine fut réglé par l’Eternel, sur la grandeur du globe et la fécondité de ses habitants ; que si cet ordre était troublé, si les hommes multipliaient leur jeunesse, la terre ne pourrait plus porter leurs enfants trop nombreux, qui s’égorgeraient pour le seul intérêt de vivre. "
Lui seul absorbera le sérum de longévité. Il put ainsi combattre la décrépitude, après s’être longuement retiré dans son temple, dans l’île de la Sérénité. Le temps passe :
" La terre parvenue à ce haut degré de gloire et de bonheur, éprouva le sort des hommes. Ont-ils atteint la perfection de l’esprit et du corps, le feu qui les animait s’affaiblit. Bientôt succèdent les glaces de la vieillesse et de la mort. Ainsi la terre couverte de la population la plus heureuse, redevenue un second Eden, commença par perdre sa fécondité. L’homme effrayé ne songea plus qu’à sauver sa demeure d’une ruine prochaine. Il porta si loin les efforts de l’art, qu’il sut rassembler la chaleur éparse dans les airs, la concentrer sur les terrains refroidis, qu’il sut ressusciter la vigueur des terres épuisées, et féconder la poussière. Cette lutte de l’art contre les ravages du temps et de la mort, eût peut-être prolongé les jours de la terre, si le plus terrible des événements n’eût pas découragé les hommes et rendu tous leurs efforts inutiles. "
Les hommes mêmes retombent dans leurs ornières habituelles, l’agressivité et la haine refont leur apparition :
" Les hommes tombèrent dans le découragement en voyant des champs baignés de leurs sueurs refuser de produire la ronce stérile ; les uns furieux brisaient les instruments de l’agriculture, les autres désespérés invoquaient la mort. Alors les hommes commencèrent à se regarder d’un œil ennemi. Les lois ne pouvaient plus arrêter le meurtre et le brigandage. On dit même que plusieurs chefs liés par des serments exécrables, formèrent le projet atroce d’exterminer une portion du genre humain ; les poignards étaient prêts ; la nuit qui devait couvrir de son ombre cet horrible massacre, était sur le point d’éclore. "
La lune elle-même, à l’agonie, disparaît du ciel :
" La nature entière, les airs et les nuages, les plantes, les animaux et les hommes paraissaient enflammés. On crut qu’un nouveau soleil allait monter sur l’horizon, ou que le jour de l’embrasement universel était arrivé. C’étaient les approches de la lune qui causaient ce spectacle terrible. Elle se lève, sanglante, avec la forme d’une large bouche ouverte d’où jaillissaient sans cesse des torrents de feu. A cette vue, les animaux épouvantés poussent des hurlements affreux, tous les peuples tremblants attendent la mort, et se jettent le visage contre terre "
Heureusement, un autre grand homme, Ormus, de la race des conquérants, prend la suite de Philantor. Par une série de travaux gigantesques, il espère ralentir la décadence de la terre :
" Les peuples croient aux paroles d’Ormus. A force de travaux, ils détournent le Rhône, la Seine, le Danube, le Gange, l’Indus, le Tanaïs ; ils apprennent à tous les fleuves à couler dans des canaux creusés par leurs mains, et cultivent aussitôt la terre qu’ils ont abandonnée. Les moissons dorées revinrent égayer les yeux de l’homme, et les peuples comblèrent Ormus de leurs bénédictions. C’est alors qu’encouragés par ces témoignages de la reconnaissance publique, ce grand homme osa publier un projet plus vaste, et si hardi qu’il étonne encore mon esprit. Ce n’est point assez, leur dit-il, d’avoir changé les fleuves, les étangs, les lacs en des campagnes fertiles. Vous avez besoin de plus grandes ressources ; je vous ai promis un nouvel univers ; je viens vous le donner. Faites avec moi la conquête de l’Océan ; repoussons loin de nous ses ondes. (…)
Combien de fois des princes n’ont-ils pas resserré le lit de la mer pour agrandir leurs Etats, sans que le ciel ait vengé cette usurpation. Ah ! bien loin de craindre son courroux, je pense au contraire qu’il va seconder nos efforts, et que c’est lui peut-être qui m’inspire ce projet, pour conserver le genre humain dont il ne veut pas la ruine. Enfin la terre vous appartient ; vous l’avez reçue de Dieu ; c’est un présent de sa main céleste ; vous pouvez pour vos besoins et vos plaisirs, abattre des montagnes, combler des vallées, creuser les entrailles du globe ; vous venez de changer le cours des fleuves. Chassez, si vous le pouvez, l’océan de son lit : il est comme les fleuves, sous votre domination, et créez-vous un monde nouveau sur les débris de l’ancien. "
Pour échapper aux deux grands fléaux qui malgré tous ses efforts continuaient de menacer la vie, à savoir, la stérilité de plus en plus manifeste de l’espèce humaine et le refroidissement du soleil, Ormus se réfugie au Brésil dans la Cité du Soleil :
" L’hymen devint stérile ; à peine une grande ville donnait le jour à dix enfants dans une année, les peuples commençaient à murmurer contre Ormus. Nous manquons de postérité, disaient-ils, les enfants qui doivent nous succéder ne seront point assez nombreux pour se nuire. Qu’avons-nous besoin d’un nouvel univers que nous ne pourrons pas peupler !(…) Ormus n’eut pas besoin d’apaiser ces murmures, l’événement le plus imprévu suspendit dans un instant tous les travaux, et les arrêta pour jamais. Le soleil donna tout-à-coup des signes de vieillesse, son front pâlit et ses rayons se refroidirent. Le nord de la terre craignit de périr, ses habitants se hâtèrent de quitter des climats dont la froidure augmentait de jour en jour, ils emportent leurs richesses, et courent à la zone torride se presser sous les regards du soleil. "
Cest dans cette même cité qu’atterrissent enfin Omégare et Idamas. Acueillis froidement par Eupolis, Idamas dut lui expliquer le sens de la prophétie pour qu’Eupolis conduise les Français vers Aglaure, le chef de la nation brésilienne. Celui-ci se réjouit avec son peuple de l’attente que suscite la présence d’Omégare dans la Cité du Soleil.
De partout affluent les jeunes Américaines dans l’espoir d’être choisies par Omégare pour épouse. Le génie de la terre lui-même presse Idamas de dévoiler l’identité de la promise d’Omégare car le temps presse. C’est avec l’aide de la Nature, sous les traits d’une merveilleuse jeune fille, et celle d’Eve comme marraine, que Sydérie devient officiellement la jeune promise. Omégare est sous son charme, attendant avec impatience le jour où, le peuple du Brésil étant réuni, on lui accorderait Sydérie pour épouse. Ce jour arrivé, comme elle était resplendissante, au milieu des autres jeunes filles! :
« Sydérie était la seule qui possédait la flamme des passions; elle ne pouvait la retenir cachée ; l’incarnat le plus vif colore ses joues ; elle pousse des soupirs involontaires ; sa respiration est forte et rapide, des éclairs jaillissent de ses longues paupières abaissées. »
Son émotion est telle qu’à la vue d’Omégare, elle s’évanouit. Forestan, son père, qui descend de la race forte des Tupiques, la plus ancienne du globe à la vigueur originelle, s’élance à son secours. Ormus, exilé dans les ruines de Carthagène, sera pressenti pour bénir leur union. Eupolis part à sa recherche, il l’aperçoit :
« Assis sur les restes d’un amphithéâtre. A ses pieds des colonnes brisées, des statues mutilées sont confusément éparses. A ses côtés et sur sa tête, sont amoncelés, les uns sur les autres, d’énormes débris de rempart, de temples, de palais qui forment des masses effrayantes que l’œil ose à peine regarder. »
Coup de théâtre : Ormus n’est pas d’accord pour sceller cette union car elle serait un prélude à la fin du monde. Passant outre la funeste interdiction, Omégare et Sydérie s’unissent, sans toutefois consommer. Devant le danger de voir tout périr, Eupolis donne un seul ordre : il faut éloigner Sydérie d’Omégare qui sera enfermé dans une haute tour. Tandis qu’Ormus réclame la tête du dernier homme, Forestan fait s’enfuir le couple en direction de l’Europe où ils vivront dans une grotte en attendant des jours meilleurs. Mais toujours Sydérie se refuse à Omégare qui n’en comprend pas la raison. Elle est prête à mourir si le jeune homme la touche. Le trop-plein d’énergie dont fait preuve Omégare le force à adopter toutes les postures du jeune romantique à la Chateaubriand:
« Dès que l’aurore éclaircissait les ombres de la nuit, je fuyais loin de ma demeure, je m’enfonçais dans les forêts, je gravissais les plus hautes montagnes ; je ne revenais qu’après que la fatigue m’avait épuisé. Ce fut par ces efforts magnanimes, que je domptais la plus terrible des passions. Ainsi la main qui veut soumettre un coursier rebelle, le lance sur les sillons que le soc de la charrue a profondément tracés ; il se consume en efforts laborieux, bientôt il blanchit le mors de son écume, la sueur ruisselle le long de ses membres affaiblis, et sa fougueuse ardeur s’amortit. »
Finalement, l’ombre de Forestan viendra à son secours Il inspire à Omégare des songes d’un futur fécond et heureux, et à Sydérie, plus prosaïquement, des scènes peintes décrivant l’acte de chair :
« Si ta pudeur n’ose lui répéter mes ordres, va dans le temple de ce palais ; tu trouveras deux tableaux sous l’autel qui regarde l’orient : expose-les à ses regards. A cette vue, il sentira ses désirs se rallumer, et les tiens lui seront connus. A ces mots, l’ombre de Forestan se précipite dans le sein de la terre, et disparaît. »
Heureusement, Adam, envoyé in extremis par Dieu, sauve Omégar de la folie. L’entraînant loin de Sydérie, vers Paris, il lui raconte comment le génie de la terre, empruntant les oripeaux de tous les personnages précédents, a berné le couple. Dieu ne veut pas de postérité ; elle ne pourrait être qu’une caricature d’humanité dans un monde en perdition :
« Au même instant Dieu permet que le tableau de sa postérité se déploie à ses regards. Il découvre dans une plaine aride, sous un ciel ténébreux, ses enfants d’une forme hideuse, aussi cruels que difformes, se faisant une guerre atroce et perpétuelle ; il les voit assis autour de tables ensanglantées, couvertes des membres de leurs frères, dont ils se disputaient les lambeaux palpitants qu’ils dévoraient.»
D’ailleurs, les prémisses deviennent de plus en plus évidentes :
« Déjà des présages terribles l’annoncent. Du fond des cavernes et des antres, il sort des sons lamentables et plaintifs : on entend dans les airs des voix nombreuses qui gémissent ; toutes les feuilles des forêts s’agitent d’elles-mêmes ; les animaux épouvantés poussent des hurlements, prennent la fuite et se jettent dans des précipices. Les cloches ébranlées par une force inconnue, répandent au loin les accents lugubres de la mort : on dirait qu’elles sonnent le trépas du genre humain. Les montagnes s’ouvrent et vomissent des tourbillons de flamme et de fumée. Les flots de l’océan deviennent livides, et sans être soulevés par les vents et les tempêtes, ils mugissent, ils se brisent avec fureur contre les rivages, en roulant des cadavres. Toutes les comètes qui, depuis la création, avaient effrayé les hommes, se rapprochent de la terre et rougissent le ciel de leurs chevelures épouvantables ; le soleil pleure, son disque est couvert de larmes de sang. »
La ville de Paris elle-même s’est effondrée et a disparu de la surface de la terre, seule subsiste la statue de l’empereur Napoléon:
« Paris n’était plus : la Seine ne coulait point au milieu de ses murs ; ses jardins, ses temples, son Louvre ont disparu. D’un si grand nombre d’édifices qui couvraient son sein, il n’y reste pas une chétive cabane où puisse reposer un être vivant. Ce lieu n’est qu’un désert, un vaste champ de poussière, le séjour de la mort et du silence. Omégare jette les yeux sur cette triste étendue, et n’y voyant que des cendres entassées, il dit tout ému : Sont-ce là les restes de cette ville superbe dont les moindres mouvements agitaient les deux Mondes ? Je n’y trouve pas une ruine, une seule pierre sur laquelle je puisse verser mes larmes ; et moi je craindrais de voir périr la terre, ce tombeau de l’homme et de ses établissements !
Tandis qu’il marche enseveli dans ces pensées, il découvre au loin une statue échappée à ses regards. Omégare se demande par quel prodige elle survit entière à tant de monuments plus durables qu’elle, et dont les ruines même ont péri. La route qu’il suivait le conduisait à ses pieds ; il s’en approche, il la contemple ; il juge, aux divers attributs qui la décorent, qu’elle représente un ancien souverain des Français. »
Le dernier jour de la terre vient de débuter. Omégare cessera de lutter contre la volonté de Dieu. Le sort de Sydérie, séparé de son amour, n’est pas plus enviable. Bien que tentant de retrouver sa trace à Paris, elle connaîtra bientôt sa dernière heure. Dieu, pour adoucir sa peine lui fera voir en une ultime vision , comme pour Omégare, le jugement dernier :
« Il voit que Syderie ne survivra point à la fuite d’Omégare, et que la seule femme féconde parmi les hommes va périr. Libre de ses promesses et des lois qu’il s’imposa, Dieu donne le premier signal de la résurrection des morts. Les cieux y répondent par des cris d’allégresse ; les enfers en frémissent ; ses habitants s’enfoncent dans les flammes pour s’y cacher. Des anges placés aux pieds du trône de Dieu, sonnent les trompettes du dernier jour, dont les éclats sont entendus jusqu’aux limites de l’univers.
Aussitôt les corps qui recèlent des substances de l’homme, se hâtent de les rendre. Au nord, la glace se rompt pour leur donner un passage. Sous les tropiques, l’océan bouillonne et les vomit sur ses rives. Ils sortent des tombeaux qui s’ouvrent, des arbres qui se fendent, des rochers qui se brisent, des édifices qui s’écroulent. La terre est un volcan immense d’où, par un nombre infini de bouches, s’élancent des ossements et des cendres.
A l’aspect des tombeaux ouverts, des ossements sortis des entrailles de la terre, des cendres humaines éparses dans les airs, Omégare est oppressé de terreur ; ses cheveux se hérissent, il s’arrête ; il craint de fouler aux pieds la poussière qui lui paraît vivante. Soulevé sans cesse par les mouvements onduleux de la terre, comme s’il voguait sur les flots, et se soutenant à peine, il s’appuie contre un arbre, le serre dans ses bras, ferme ses yeux et se résigne à la mort, ainsi que des navigateurs qui, ne pouvant plus combattre la tempête, et livrant leurs voiles à la furie des aquilons, pâles et tremblants, attendent le flot qui va les submerger ou les briser contre les rochers.
Trois heures suffisent pour l’éruption des dépouilles humaines, tant elle est violente et rapide ! sitôt que Dieu, qui sait le nombre des atomes de l’univers, et dont les regards percent les replis les plus déliés de la nature, voit que la terre a rendu les cendres des hommes, il veut qu’elle se repose. Aussitôt l’océan rappelle sur ses rivages, ses flots débordés et furieux : les vents prennent la fuite, se précipitent les uns sur les autres, et rentrent en grondant dans leurs cavernes. Un morne silence succède à cette tempête universelle ; Omégare y renaît, Omégare ose y descendre, et s’interroger sur lui-même et ses intentions. Fier des réponses qu’il en reçoit, il regarde le ciel avec assurance. Le souvenir d’un Dieu qui règle l’univers, le console. Que les anges sonnent la trompette qui doit réveiller les morts ; que la terre s’écroule, que le soleil et les astres s’éteignent, ses regards en soutiendront le spectacle avec courage ; Omégare est digne d’assister au dernier jour de la terre. »
Pourtant, le génie de la terre, toujours à la recherche du couple, ne désarme pas. Il tente encore, dans ses cavernes, de barrer la route à la fatalité, grâce à la science :
« Il était au centre de la terre dans ses ateliers qu’il creusa de ses mains, et qui joignent les deux pôles. Ce vaste laboratoire est l’abrégé de l’univers ; il y rassembla les instruments des arts, diverses machines dont lui seul connaît l’usage, tous les genres de corps qui couvrent la surface de la terre, ou qu’elle cache dans son sein ; là, sur des tablettes innombrables, il avait rangé des vases d’airain, où lui-même renferma les sucs et les semences des plantes, les esprits volatils des animaux. C’est dans ces lieux que l’infatigable génie combinait, depuis la création, les éléments de tous les corps, qu’il interrogeait la nature, et la forçait à lui répondre. C’est de ces cavernes que sortirent ces découvertes précieuses dont le hasard et l’esprit humain s’attribuèrent l’honneur, et qui furent des présents du génie. Enfin, c’est là que dans un million de fournaises, il nourrissait des feux continuels dont la chaleur repoussait le froid mortel qui s’avançait de jour en jour jusqu’au centre du monde. »
Cependant, même lui sera vaincu par la mort qui s’approche. En un dernier mouvement, il fera voler la terre en éclats:
« La mort ne répond qu’en avançant sur lui : soudain le génie agite ses flambeaux dans sa caverne qui s’enflamme ; l’explosion en est si terrible, que la terre ébranlée, recule sur son orbite. Ses entrailles se déchirent, elle soulève les Alpes, les Pyrénées, et lance ces énormes masses jusques dans les hautes régions de l’atmosphère. »
Si nous nous sommes si longuement penché sur l’œuvre de Cousin de Grainville c’est parce qu’elle est inclassable et originale. Apparentée au romantisme, dont on retrouve la quasi-totalité des thèmes – puissance de l’amour, mouvements du cœur, sentiments d’horreur et d’honneur, poésie des ruines, thématique de l’antique , etc., les descriptions novatrices sont si nombreuses qu’elles font exploser un cadre trop étroit.
En premier lieu, le thème central, celui du dernier homme, dont c’est la première apparition en littérature (si l’on écarte « le Dernier jour du monde », écrit en 1689 et paru chez Louis Rouillard le fils à Paris, plus proche de l’apologétique que du roman). La révolte vaine d’Omégare contre son terrible destin, son impossibilité à vaincre le puissant ennemi – Dieu !- qui a juré la perte de l’humanité, imprègnent l’ensemble de l’œuvre.
Le personnage de Sydérie n’en est pas moins touchant, dont la fragilité est vouée à la destruction. Bien que toute une pléiade de figures allégoriques ou symboliques – le Génie de la terre, l’ange Ituriel, la Nature, Adam, etc..- ou inouïes – Polémos, Idamas, Philantor- suggèrent un attirail romantique aujourd’hui désuet, elles ne sauraient cacher l’originalité profonde de thèmes repris maintes et maintes fois dans le champ de la science-fiction moderne.
En vrac : la terre creuse (le génie et ses feux), la ville utopique (la cité du Soleil), la science modelant les paysages ( l’action d’Ormus), le changement de climat et l’orogenèse (modification des paysages de l’Europe, engloutissement de l’Angleterre), les dangers de la surpopulation, le dépérissement du potentiel génétique des peuples et les mutations (les descendants d’Omégare), la disparition des villes (Paris en ruines), les transports aériens en d’immenses vaisseaux (départ vers le Brésil), l’hibernation et l’immortalité provisoire (Philantor dans le temple de la Sérénité), l’entropie finale et le refroidissement de la terre.
Trop originale pour l’époque, l’œuvre a eu peu de succès du vivant de l’auteur, aujourd’hui encore peu connue et difficile à trouver (un exemplaire subsiste à la Bibliothèque nationale). Pourtant ses épigones, surtout au XIXème siècle, ne se privèrent pas de le copier, sans jamais l’égaler.
Et en premier lieu « le Dernier Homme » de Creuzé de Lesser qui avoue sa dette envers Cousin de Grainville, dans son poème dramatique, et celui de Mary Shelley, dont la puissante personnalité domine le roman. Mais que dire d’Elise Gagne, qui avec « Omégar ou le dernier homme », une « prosopopée dramatique de la fin des temps » lénifiante, ne reconnaît pas ce qu’elle doit à son précurseur. De même « Mada ou le dernier homme » du baron d’Aiguy, « le Dernier homme » de Reboul, ou « la Divine Epopée » de Soumet se veulent originaux alors qu’ils ne sont que des copies, souvent proches du plagiat. Jamais elles n’atteignent la puissance de l’œuvre originale, engoncées qu’elles sont dans un fatras poético-religieux, moralisateur et suranné, basé sur l’apocalypse de Saint Jean.
Elles se donnent toutes une mission de dénonciation et de prophétisme que l’on ne retrouve pas dans le récit de Grainville, pur jeu littéraire. Le seul qui échappe quelque peu à la critique est le roman – bien maladroit par ailleurs- de Camille Flammarion « la Fin du Monde » dans lequel Omégar le héros, se réincarne sur Jupiter selon les principes du spirite Alain Kardec.
Aujourd’hui le thème du dernier homme a fait florès. On ne compte plus les ouvrages qui le pérennisent (ou plutôt nous avons essayé de les recenser dans ce dictionnaire) jusqu’au dernier en date à ce jour, « le Monde enfin » de Jean-Pierre Andrevon. Cousin de Grainville, en deux éditions celle de 1805 et celle posthume – l’auteur s’étant entre temps suicidé ne pouvant supporter son infortune– de 1811, fonde une thématique anticipatrice dont la nouveauté, à elle seule, imposerait l’urgence d’une réédition.
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Pièce de théâtre en deux actes qui offre deux intrigues en parallèle. Celle de Clementina, fille de Fergusson, conjuré anglais, amoureuse d’Alphonse, jeune officier français évadé de prison. Celle de la prise de la place-forte de Douvres, menée par la colonel Houssey, militaire anglais gagné aux idées de la révolution française et secondé par un navire français à la rescousse, annonçant l’invasion (la Descente) de l’Angleterre :
« Peuple Anglais ! qui avez su briser vos fers, apprenez que dans l’instant où une partie de l’escadre Française vient de débarquer, Buonaparte a effectué une descente générale… l’Ecosse et l’Irlande se sont soulevées, et ont réuni leurs forces à celles de la République Française. »
Les conjurés anglais, réunis chez Fergusson, espèrent se débarrasser de l’odieux régime de Pitt et faire triompher les idéaux révolutionnaires. C’était sans compter avec l’immonde traître Murai, qui dénonce les conjurés au commandant du fort de Douvres.
Prêts à être exécutés – y compris Alphonse- ils seront sauvés par le coup de force français. Murai meurt, tué de la main de Houssey. Douvres sera soumise. Clementina épousera Alphonse et le régime anglais, miné de l’intérieur, vacillera sur ses bases lorsque les conjurés, en accord avec les Français, marchent sur Cantorbéry :
« Courageux Anglais ! vous n’êtes plus asservis sous un esclavage honteux… mais il ne suffit pas d’opérer une révolution à Douvres ; il faut encore imprimer ce mouvement à toute la grande Bretagne… Nous venons pour affranchir les mers et rendre l’indépendance aux Nations opprimées. C’est dans Londres que règne la tyrannie ; c’est dans Londres qu’il faut la renverser. »
Une pièce datée et historique relatant l’une des premières invasions de l’Angleterre dans le cadre d’une guerre future. Un tableau brillant et animé, de beaux sentiments teintés d’héroïsme, et cette idée incroyable d’une amitié indéfectible entre Français et Anglais. L’on pouvait encore y croire à l’époque !
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Le dialogue innocent entre une petite fille et son papa expose en filigrane l’horreur d’un état de la société d’après «la dernière guerre », entendez la dernière guerre nucléaire.
Elle a trouvé dans les ruines un livre d’images montrant de bien jolies choses, des dessins sur lesquels elle s’extasie : des petites filles comme elles (rarissimes semble-t-il aujourd’hui), une jolie femme comme l’était sa mère (disparue semble-t-il aujourd’hui) et des arbres verts (qui n’existent plus semble-t-il aujourd’hui). Les réponses tristes de son père, sa pudeur, s’opposent à la gaieté innocente de sa fille et amplifient le malaise ambiant :
« Papa, papa, dis-moi papa, papa, je serai sage
Pourquoi c’est pas comme ça
Comme c’était dans ce livre d’images…
Viens petite Melinda, viens près de ton père
C’est parce qu’ils n’ont rien compris
avant la dernière guerre. »
Une petite chanson qui dénonce de bien grands crimes.
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Trois joyeux compagnons reviennent des Etats-Unis en transatlantique jusqu'au Havre. Fontable, reporter parisien de "la Voix", Jacky, un jeune acteur de cinéma et Jim Horder, ex-matelot de la marine américaine désirent se rendre au plus vite dans la capitale française. Pourtant, le mystère naît et s'épaissit lorsqu'ils n'arrivent ni à téléphoner, les lignes étant toutes coupées, ni à prendre un avion, les départs étant annulés, ni à accéder au train pour les mêmes raisons. En désespoir de cause, ils hèlent un taxi qui les transportera au plus vite jusqu'au siège du journal. Mais une surprise les attend dès leur entrée en ville. Les quatre hommes parcourent rues après rue sans rencontrer âme qui vive, sans croiser d'autres voitures, sans qu'aucune vie urbaine ne se manifeste. Tout Paris semble profondément endormi:
"Après avoir traversé les zones populeuses de la grande banlieue parisienne, plus l'auto qui transportait le journaliste et ses deux compagnons, se rapprochait de Paris, plus elle semblait s'enfoncer dans le désert. Lorsqu'ils eurent franchi les portes de la capitale, les trois amis eurent l'impression de se trouver dans une ville inhabitée, dans une ville morte. Il pouvait être environ midi: il n'y avait pas un passant dans les rues, pas une voiture, pas un chat; toutes les boutiques, tous les cafés étaient fermés, tous les stores baissés, tous les volets poussés... Tout était calme, vide et désolé."
Intrigués, et soupçonnant un événement de taille, même à la rédaction de "la Voix", ils trouvent les collègues de Fontable inertes, hormis Constantin, un vieux garçon de bureau poussé sur la bouteille, qui n'a pu leur expliquer la cause du curieux phénomène. Ils reprennent donc leur périple à travers divers quartiers de la ville jusqu'à apercevoir, dans la rue d'Hauteville, un singulier vieillard, au comportement bizarre, qui, agité et souriant, ausculte certains gisants, leur tapote la poitrine et éclate de rire sporadiquement:
"Glissant le long des murs, il se rapprocha peu à peu de l'homme. Il parvint bientôt à distinguer ses traits: c'était un petit vieillard à barbiche grisonnante, vêtu d'une sorte de redingote, coiffé d'un chapeau noir, et le nez chaussé d'une paire de lorgnons qui tremblaient à chaque pas qu'il faisait. Son costume était élimé, sale, rapiécé, ses souliers étaient éculés, et son pantalon en accordéon. Il portait à la main une paire de gants beurre frais flambants neufs. Il marchait tantôt sur un trottoir, tantôt sur l'autre, et entrait dans chaque maison."
Soudain, une camionnette arrêtée près d'une bijouterie et des hommes qui y chargent diverses caisses font supposer au journaliste d'assister à un vol de grande envergure. Il est aussi témoin de l'enlèvement du vieillard, jeté ligoté au fond de la camionnette. Celle-ci repart, suivie par le taxi, et s'arrête près d'un terrain d'essai à Issy-les-Moulineaux où se trouve un avion prêt à prendre le large. Renvoyant ses amis à Paris pour enquêter sur l'insolite phénomène, Fontable se charge de la surveillance des malandrins.
Dans la capitale, les gens se réveillent brusquement. La police est sur les dents. Elle vient d'enregistrer plus de cinq cents vols commis dans des banques et bijouteries; c'est le casse du siècle! Elle envisage l'hypothèse d'un endormissement généralisée de la capitale par des gaz somnifères. C'est d'ailleurs la thèse qu'avancera notre vieillard, découvert par Fontable dans une maison abandonnée, proche du terrain d'aviation. Toujours aussi agité et au bord de la crise de nerfs, celui-ci lui révèlera être un savant, du nom de Panowski, inventeur d'un narcotique ultra-puissant, qu'il avait mis au point pour éradiquer la guerres en endormant les belligérants sur le champ de bataille;
"Partout, on ne vous parle que de gaz asphyxiants, de rayons qui tuent, ou de bombes microbiennes. La prochaine guerre, Monsieur (...) sera une guerre scientifique: la guerre chimique, la guerre microbienne. Vous imaginez cette chose atroce; grâce à tous les engins, grâce à tous les appareils qu'on est en train de fabriquer, et de mettre au point, tout le monde sera tué avant de s'en apercevoir... la surface de la terre, Monsieur, sera littéralement nettoyée...."
Il était en proie à une exaltation frénétique. Il avait lâché Fontable et, tout en parlant, il marchait de long en large dans la pièce, en poussant des cris gutturaux et en balayant l'espace de ses deux bras".
De retour à son appartement parisien avec le journaliste, le vieillard délirant s'aperçoit qu'on lui a aussi volé sa formule. Mais Fontable soupçonne que Panowski ne lui a pas dit toute la vérité. Le remettant entre les mains de Jacky et allant enquêter du côté de l'Institut, il y apprend que le professeur Panowski y est un parfait inconnu. Par contre, il tombe sur un entrefilet de "la Voix", qui cite un certain professeur Maiserelle comme l'inventeur de "l'électro- narcose". Il se rend au domicile de Maiserelle qu'il trouve ligoté dans son bureau. Celui-ci lui apprend que c'est son procédé qu'ont employé les malandrins, dont Panowski était le complice, dirigés par un certain monsieur "Lechef". N'ayant pu soudoyer le véritable savant, Lechef l'a capturé et a utilisé sa machine pour endormir Paris. Alors que Maiserelle destinait son invention à soulager les malades, Lechef et sa bande y ont vu le moyen de s'approprier les richesses d'autrui.. Quant au vieillard, il a pensé être à l'origine du phénomène d'endormissement, en ayant inventé la formule d'un narcotique imaginaire. Les contorsions ultimes de ce dernier fournissent d'ailleurs à Fontable la preuve irréfutable de la folie dont il est frappé:
"Lorsque Fontable, accompagné cette fois du professeur Maiserelle, retourna rue de la Pompe, la crise de désespoir du "professeur" Panowski était complètement et définitivement passée.(...) Il était retombé dans son absurde rêverie. Il divaguait doucement. Il disait qu'il était le roi, l'empereur, le maître tout-puissant des cinq parties du monde. Il voyait l'univers à ses pieds; l'univers lui offrait des fortunes gigantesques, des milliards et des milliards de francs, de dollars et de livres sterling, pour lui acheter son invention; mais lui, insensible à ce mirifiques propositions, repoussait l'univers d'un geste excédé..."
Ainsi, le mystère s'était éclairci. Panowski fut confié aux mains expertes des neuro-psychiatres. De Lechef et de sa bande de brigands, il n'en fut plus question. Fontable, maintenant célèbre, devint rédacteur en chef de son journal. Et le professeur Maiserelle put reprendre ses travaux en tout quiétude. Quant à ses amis... mais pourquoi, diable, avait-il eu besoin d'amis?...
Un roman pour adolescents qui tient beaucoup de la nouvelle. Un papier épais, une double interligne, des lettres en gros caractères, une intrigue linéaire, un savant fou en prime et une fausse piste, le destinent sans ambiguïté à un public jeune. La seule petite infraction à la morale du roman populaire est que cette fois-ci, le crime a payé: jamais l'on ne retrouvera l'argent du vol! En conclusion, un texte facile, d'un abord agréable, qui devait plaire aux lecteurs de douze ans d'âge.
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