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  • Omegar Ou Le Dernier Homme

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    Fiche du livre :

    Type : livre

    Auteur : Elise GAGNE

    Parution : 1853

    Thème : le dernier homme, l’apocalypse réalisée


    Sur l'auteur :



    Préambule :

    Omegar ou le dernier homme, proso-poésie dramatique de la fin des temps par Elise Gagne, Didier et Cie éd., 1859, 1 vol. cartonné, in-12 ème , 403pp. couverture muette. drame d’expression française.
    1 ère  parution : 1853
    le dernier homme – l’apocalypse réalisée


    Synopsis :

    C’est à Cousin de Grainville qu’Elise Gagne a emprunté le personnage d’Omégar, dernier homme sur terre.
    Les péripéties du premier « Omégar » se déployaient dans un environnement que l’on peut considérer comme rationnel, avec une intrigue crédible,  malgré l’emphase et la boursouflure du style.
    Ici, au contraire, le personnage sert de support à l’apologétique. Tout entier dévolu à sa mission, soit la défense et l’illustration de la foi chrétienne, il montre la voie de l’excellence par la pratique de la dévotion et de la vertu. Car ce qui attend le méchant, c’est la fin du monde.
    L’œuvre, qui n’est pas un roman mais « une proso-poésie dramatique », c’est-à-dire une épopée théâtrale précédée et entrelardée de poèmes, prend sa source dans « l’Unitéide », œuvre de son mari, Paulin Gagne, cité en tant que « fou littéraire » dans l’excellent ouvrage d’André Blavier.
    L’Unitéide  est un personnage féminin, l’Eglise incarnée sur terre, missionnée par Jésus lui-même pour asseoir la foi en ce siècle impie :
    « L’Unitéide, Eliavas, était, je vous l’ai déjà dit, la personnification vivante de l’Eglise de Jesus-Christ. Tant qu’elle l’a pu, ou, pour mieux dire, tant que Dieu l’a permis, elle a continué l’œuvre du divin Crucifié en ce monde ; moi, je ne suis qu’une sorte de bouc émissaire plié sous le poids des iniquités d’autrui, et chargé de les laver dans les eaux de la pénitence, de la douleur et de l’expiation. »
    Le personnage d’Omégar qui apparaît à la fin de ce pesant ouvrage,  a inspiré l’épouse de Paulin,  qui l’en a extrait pour lui faire vivre une aventure autonome, celle de sa rédemption à la mort de toutes choses.
    Le deuxième pilier sur lequel s’appuie l’ouvrage d’Elise Gagne est l’apocalypse de Jean et ses sombres visions. Omégar sera entouré d’une pléiade de personnages représentatifs et symboliques, ou du mal, ou du bien.
    Théolinde, l’épouse d’Omégar, est une sainte femme,  lui ayant donné deux enfants, Romualt et Nésilda. Les domestiques fidèles font partie de la famille depuis le début : Omégar peut compter sur Babolein et Fabiane pour traquer le démon sous ses divers déguisements.
    L’Unitéide, déjà citée, est une figure extraordinaire avec laquelle Omégar s’entretient à plusieurs reprises et qui l’aide dans sa mission. Eliavas, évêque de Provence et directeur de conscience d’Omégar,  est aussi son ami. Il lui donne la réplique et l’aide à découvrir son moi profond. Adam, le premier homme est le mentor d’Omégar, Rosaniel, un ange(!),  amoureux de Nésilda. Enfin Satan, le tentateur,  apparaîtra sous diverses formes, notamment lors du jugement final où seront aussi convoqués tous les saints et les archanges, ainsi que la Sainte Trinité, les rois de France, etc., etc.
    Une quantité non moins grande de personnages porteurs de tares sociales ou anti-chrétiens,  servent de repoussoir à l’auteur. En vrac, on citera Babylas, le journaliste prétentieux et médisant, Hélémus, le poète médiocre, et Berthas, l’écrivain scandaleux.
    Ceux que Dieu vomit, bien sûr :
    « Au courroux tout-puissant  de la Divinité,
    Seule, la noble France a longtemps résisté ;
    Mais, se courbant enfin sous l’horrible tempête,
    D’un crêpe funéraire elle a voilé sa tête.
    Par vingt fléaux divers Hercule terrassé,
    Du livre des vivants son peuple est effacé ;
    Une trombe de feu s’est ouverte autour d’elle
    Et forme un noir volcan d’où la lave ruisselle…
    Maintenant sur les bords de ce volcan qui bout,
    Une seule famille est encore debout !
    Par le glaive divin jusqu’alors épargnée,
    Elle attend son arrêt, pieuse et résignée…
    Cette noble famille a pour chef Omégar. »
    Cette noble famille se réunit en divers lieux, soit à l’Hôtel-Dieu, à Paris, où se réfugient les survivants lors de l’écroulement de la cité, soit dans le domaine d’Omégar,  appelé le « Bouton d’or » ou la « Rose d’Or », près de Marseille, soit encore dans les ruines du vatican.
    Omégar, qui est enfin arrivé au bout de sa longue route, a connu un destin extraordinaire voulu par Dieu afin qu’il puisse par sa vie, racheter  à travers ses souffrances, les péchés des derniers humains. A l’instar du Juif errant, il traverse les millénaires. Très vieux, mais d’apparence mûre, il a connu bien des hommes et fait bien des sottises narrées sans complaisance par l’auteur, mais il n’a jamais perdu de vue sa mission, épaulé par Adam, et malgré les nombreuses tentations à son encontre permises par Dieu à Satan.
    Il a vu mourir avant lui –ce qui est logique puisqu’il est le «Dernier Homme »- sa femme Théolinde, sa fille Nesilda, sa bru Néréline, fauchée à la fleur de l’âge, et Romualt, qui, fou de jalousie et sous l’emprise du démon, s’est suicidé; Eliavas même, son quasi-frère, dont Dieu en personne a organisé les pompes funèbres. Les prémisses de la fin de toutes choses apparaissent sans équivoque :
    « Les villes, veuves des nombreux habitants qui les peuplaient, ne sont plus que des déserts sillonnés de cendres et de débris ; les plaines et les vallées ressemblent à des ravins profonds qu’une pluie sulfureuse aurait creusés ; le vent impétueux de la colère divine a tout balayé, tout anéanti, depuis le grand chêne jusqu’à l’humble violette, depuis l’aigle superbe jusqu’au timide moucheron. »
    Dieu est irrité par ce siècle menteur et pervers, par les immondices que charrient quantité de littérateurs pervers, principaux responsables du mal ambiant, boucs émissaires d’Elise qui les envoient dans les feux de l’enfer :
    « Entraînés sur la pente funeste de l’incrédulité, séduits par les dangereux sophismes de cette horde coupable d’écrivains dont les aïeux remontent surtout au XVIIIème et XIXème siècle, ils ont méprisé tous les signes qui leur annonçaient, d’une manière bien évidente pourtant que le triomphe du mal touchait à sa fin ; ils ont redoublé de bravades et de folies, et quand l’heure de la punition a sonné, ils ont osé se plaindre de n’avoir pas été avertis. Les malheureux !
    Comment étaient-ils assez dépourvus de raison pour ne pas voir dans le dévergondage des mœurs de la société, dans les révolutions, dans les guerres, dans les pestes et les famines qui fondaient sur eux rapides comme la foudre, des preuves incontestables du courroux de ce maître puissant qu’ils bravaient avec tant d’insolence et d’audace. »
    A la « Rose des Vents », Eliavas annonce à Omégar la survenue de la fin. L’agonie de la terre a commencé. D’ailleurs l’Antéchrist règne sur le monde, pourtant puissamment combattu par l’Unitéide.
    Nésilda annonce à son père qu’elle est amoureuse d’une colombe qui n’est autre que l’ange Rosaniel. Omégar attend des nouvelles de Romualt se trouvant à Paris, ou plutôt dans ce qui reste des ruines de la ville-lumière :
    « A la place où jadis trônait le Panthéon,
    Croissent en liberté l’ortie et le chardon,
    Ton Louvre colossal, tes vieilles Tuileries,
    Ton Luxembourg propice aux douces rêveries,
    Ton grand arc de triomphe où le nom des guerriers
    Flamboyait entouré d’un cadre de lauriers,
    Ta Notre-Dame au front tant de fois séculaire,
    Tout cela n’est plus rien qu’un amas de poussière !... »
    A l’Hôtel-Dieu encore debout,  les rares survivants viennent raconter leurs bienfaits ou leurs exactions, dressant ainsi un tableau des turpitudes morales de la société française de l’époque:
    « Les lois ? on les méprise ! Les enseignements que les ministres de l’Evangile laissent tomber du haut des chaires sacrées ? on va les écouter comme un drame o un opéra nouveau, sans en être touché, sans y puiser un seul motif de réformer sa conduite !...  Les liens de famille ne sont plus qu’une chaîne usée ; le mariage, une association mercantile; l’autorité paternelle a perdu toute sa puissance; la vieillesse, si respectée dans les premiers âges du monde, est devenue l’objet des plus cyniques railleries ! Prêché par des livres auprès desquels ceux des Balzac, des George Sand, Eugène Sue, des Frédéric Soulié étaient des traités de haute morale, l’adultère ne prend plus la peine de se cacher (…)
    Le luxe surpasse toutes les extravagances, toutes les modes ruineuses qu’on lui reprochait si justement autrefois : grandes dames, artisannes, bourgeoises, paysannes même, c’est à qui inventera les costumes les plus bizarres, c’est à qui se livrera aux excentricités les plus monstrueuses pour attirer les regards ! En un mot, le monde n’est plus qu’une vaste succursale de Charenton, de la Roquette, de Saint-Lazare, où la folie, le crime et le vice s’abandonnent sans aucune retenue à des excès qu’ont ignorés Sodome, Gomorrhe, Ninive, Babylone, voluptueuses et coupables cités que la colère divine a réduites en cendres ; »
    Perpétue, une bonne sœur et Thaïs, une prostituée, se repentent, et l’une et l’autre. Gaëtan, un jeune noble, reconnaît en Thaïs l’objet de ses désordres. L’abbé Philoxène, un saint homme, a sauvé la vie de Marc, l’oncle d’Omégare. Alors que le fringant Gaëtan est stigmatisé comme symbole de la jeune impiété, d’autres personnages, encore plus lourdement pécheurs, font leur apparition.
    Ainsi en est-il de Babylas, le corrupteur des mœurs, rédacteur du scandaleux journal « le Messager des étoiles ». Et Berthas, le critique, en qui Hélémus le poète reconnaît son « assassin littéraire ». Tous mourront dans l’écroulement de l’Hôtel-Dieu, sauf Romualt et Géréline transportés à bord du char de l’Unitéide vers la « Rose d’Or ».
    Durant le déplacement, le jeune couple perçoit le chœur des âmes de leurs compagnons défunts reçus malgré tout au paradis tant la mansuétude du Christ est grande; (Quoique Babylas…)
    A la Rose d’Or, les événements ne s’arrangent pas vraiment,  bien qu’Omégar a la certitude que c’est l’endroit du monde qui résistera le plus longtemps à la dégradation universelle, ce qui donnera le temps à Elise Gagne d’approfondir longuement le passé des principaux personnages. Elle ne nous cachera rien de l’amour éclos entre Romualt et Géréline, des soupçons que Géréline partage avec Nésilda, de la peine qu’elle a ressentie envers Gaëtan qui s’abandonna jadis à la débauche. L’arrivée de Satan déguisé en vieille femme, lequel espère attirer Géréline dans son piège,  permettra au lecteur de souffler un peu, jusqu’à ce que Eliavas déjoue le complot.
    Puis l’auteur se penche sur le passé d’Omégar. Celui-ci est né à Rochemaure, en Languedoc, en 1770. Nous sommes en 2800. Son enfance souffreteuse de petit garçon chétif rencontrera bientôt les annonces du curé de Candale qui lui prédit un destin exceptionnel.  Plus tard, toujours épaulé par Adam (qu’il ne reconnaît pas), il s’éloigne des grands centres urbains, à la vie agitée ; son austérité et son parler-vrai le livrent à la vindicte de ses ennemis à la cour du roi de France ; sa vision de l’histoire, son abjection devant la Terreur, son horreur en face de l’exécution de Louis XVI considérée comme un assassinat, son voyage en Suisse et en Europe avec d’autres émigrés,  lui permettent d’accumuler une grande expérience de vie.
    Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Son opinion (défavorable !) devant les grands mouvements littéraires de son époque, Romantisme surtout, l’instauration de la République, un voyage en Inde puis dans le monde entier, enfin un retour tardif en France, lui font préférer une installation en une retraite sûre qui deviendra « la Rose d’Or».
    Entre temps de si profonds changements avaient affecté son pays qu’il demanda conseil à l’Unitéide. Il confia aussi à Eliavas l’histoire de ses égarements féminins ou comment il a pu être berné par la perfide Mme de Boisgonthier « une nouvelle Armide, un serpent venimeux », en espérant que Dieu lui pardonnerait ce faux-pas. Eliavas le rassure. D’ailleurs d’autres sujets de préoccupation le retiennent, dont notamment, la mort de Romualt dans les ruines du Vatican, dont il ne peut que constater le décès, après son arrivée expresse sur les lieux par ballon dirigeable. En d’ultimes instants de doute partagés par Eliavas, assis devant un décor méditerranéen, après l’agonie de sa fille , Omégar constate qu’il reste le dernier vivant. Autour de lui croule la Terre :
    « Le vent hurlait, la nuit d’un lugubre suaire
    Recouvrait tous les points de ce vaste hémisphère,
    On entendait au loin le bruit sourd des grands monts
    Qui roulaient foudroyés dans les gouffres profonds,
    Les arbres se tordaient sous l’orage en furie,
    Les derniers animaux râlaient leur agonie,
    Des blocs de feux, poussés par l’aquilon fougueux,
    Tombaient en allumant l’incendie après eux,
    La terre s’enfonçait par degré dans l’abîme,
    Et l’avide Chaos attendait sa victime… »
    Au ciel se prépare le Jugement Dernier, le dernier acte.
    En concertation avec David et Isaïe, Saint Jean, la Sainte Vierge et bien d’autres, Jésus déplore la sévérité dont il va faire preuve mais, que voulez-vous, il ne peut se délaisser de sa rigueur et remettre le jugement des iniquités à plus tard : la Terre devra disparaître, Omégar devra être sauvé en dernier, puis, tout étant consommé, la Jérusalem céleste accueillera les âmes méritantes et l’Enfer les corrompues :
    « Quand la famille humaine, en deux camps partagée,
    Par l’arrêt sans appel tout entière est jugée,
    Il (=Dieu) se recueille et fait un geste de la main,
    Auxquels les morts-vivants obéissent soudain.
    A sa droite, et conduits par la paix et la grâce,
    Sur des trônes d’éclairs les élus prennent place,
    Tandis que précédés d’un groupe de démons
    Aux pieds tors, à l’œil louche, aux impudiques fronts,
    Les maudits, exhalant des plaintes sépulcrales,
    Prennent le noir chemin des rives infernales.
    La haine de son dard aiguillonne leurs pas,
    Derrière eux les rochers croulent avec fracas ;
    Comme un vaisseau géant, la terre ballottée
    Sur les vagues de feu d’une mer agitée
    Lutte avec l’ouragan, dont le choc furieux
    Tout à tour la rapproche et l’éloigne des cieux »
    Si nous avons analysé aussi longuement cet ouvrage d’une rareté extrême, c’est qu’il représente un exemple typique du dévoiement du thème du « Dernier homme », utilisé dans le seul but d’édification morale et pieuse,  et considéré comme un brûlot contre les hérétiques de tous poils. Personnage préféré des « Hétéroclites », le « Dernier Homme » souffrira, jusqu’à une époque avancée de son histoire, de cette thématique religieuse et de sa proximité avec l’Apocalypse de Jean. Il lui aura fallu très longtemps pour redevenir enfin le dernier homme sur une terre libérée de l’espèce humaine (Voir à ce sujet « le dernier Homme » d’Atwood ou « le Monde, enfin » d’Andrevon).
    Quoique l’ouvrage soit composé en un style soutenu,  et bien que sa prose poétique ne nous émeut plus guère, malgré ses interminables digressions, romans dans le roman qui alourdissent l’intrigue – déjà bien lourde en soi – Elise Gagne possède certaines qualités de style,  gâchées , hélas ! par sa monomanie anti-sexe et sa haine hystérique à l’égard des littérateurs « pervers ». Son conservatisme politique et son aigreur de n’avoir su percer dans le champ romanesque ne font aucun doute. Ce qui a pour conséquence qu’Omégar, le dernier homme dormira enfin tranquille du sommeil de l’éternité.


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