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  • La Cite Rebâtie

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    Fiche du livre :

    Type : livre

    Auteur : Emile SOLARI

    Parution : 1905

    Thème : menaces climatiques, Adam et Eve revisités


    Sur l'auteur :

    (1873-1961) Ecrivain. Peu de choses sur cet auteur, petit-fils du sculpteur provençal Philippe Solari, ami de Cézanne et filleul d'Emile Zola. la tête figuré ci-dessus provient d'une sculpture de Cézanne.


    Préambule :

    La Cité rebâtie par Emile Solari, Librairie universelle éd., 1907, 1 vol. cartonné, in-12ème, 313 pp. couverture muette. roman d’expression française. notice bibliographique in " le Bulletin des Amateurs d’Anticipation Ancienne " N°25, 1 er  trim. 2001 et N°36, déc. 2005
    1ère parution: 1905
    menaces climatiques – Adam et Eve revisités


    Synopsis :

    Clément Robert, l’explorateur célèbre, réunit sur sa terrasse montmartroise une brochette d’invités divers, parmi lesquels le peintre Georges Renaud, le commercial Paul Tisseur, son excellence Tsé-Thou, le fermier Mathieu Dughoy ainsi que des femmes et d’autres amis, pour fêter dignement son départ en Asie. L’ambiance est enjouée, les cocktails actifs et Clément montre à ses hôtes les objets qu’il prendra avec lui pour ce voyage aux confins des zones habitées.
    Sur une immense barque pratiquement déjà montée sur la terrasse, sont disposés des monceaux de victuailles, des vêtements, des semences, et même un moteur dernier cri. Bien lui en a pris de se préparer avec une telle minutie, car durant cette même soirée, avec une rapidité inouïe, leur vint l’annonce que la moitié du monde se trouve déjà engloutie par les eaux et que le déluge se rapproche des côtes européennes.
    En toute hâte ils se préparent au pire, certaines autres personnes ayant pu les rejoindre sur la terrasse. Grâce au sang-froid  de Clément, leader naturel, vingt-neuf personnes prendront place dans la barque lorsque la terrasse, s’effondrant sous les eaux, la lancera au-dessus des toits de Paris noyé:
    "Un fracas effroyable ébranlait le ciel. La foudre, au loin, tombait sur la tour de fer, sans relâche , éclairant le désastre d’une lueur continue dont l’intensité variait. Sous ces reflets  livides et farouches s’étendait l’immensité des eaux dont les vagues avaient des reflets d’épée tirées au clair de lune. Les toits du Louvre ne se voyaient plus, ni Saint-Germain, ni la Madeleine, ni l’Opéra, ni l’Institut. A droite on distinguait encore la basilique blanche de Montmartre et les cônes de ses toitures byzantines. Un drame effroyable devait se passer là-haut, parmi la multitude refoulée. Devant eux les passagers voyaient briller les ors des Invalides, dont la lanterne, la flèche et la croix se montraient encore. A gauche le Panthéon dressait au-dessus des flots son dôme noir. Et c’était tout, on n’apercevait plus, ça et là, que quelques points obscurs, épaves ou sommets de monuments. "
    Ils manquent de peu les gargouilles de Notre-Dame, les piliers de fer de la tour Eiffel, pour finalement dériver vers le Sud. En branchant le moteur auxiliaire, leur vitesse augmente et ils passent quelques journées éprouvantes sur la mer qui a recouvert la région lyonnaise, le Languedoc,  se confondant avec les eaux de  la Méditerranée.
    Leur réserve d’eau épuisée, ils atterrissent sur une côte rocheuse. L’Arabe qui les accueille leur fait comprendre qu’ils ont mis les pieds en Algérie. Celui-ci, dernier rescapé de ce côté-ci de la Méditerranée, avec ses deux filles, s’agrégera au groupe. La terre qu’ils viennent d’atteindre est devenue une île mais des cultures subsistent encore, ainsi que quelques fermes susceptibles d’enrichir le clan. Sous l’énergique commandement de Robert Clément devenu leur chef de fait (et plus tard leur Président à vie), ils entreprennent de recoloniser ces quelques maisons abandonnées, embryon " de la cité rebâtie " .
    La micro-société s’organise selon le principe de la duplication: on refait du neuf sur le modèle de l’ancien, en reconstituant avec les moyens du bord ce qui existait jadis pour le bien de tous. Grâce aux compétences et à la polyvalence de Clément Robert  (il s’y connaît en repérage de minerai de fer, en domestication d’animaux, en semis et cultures végétales, en architecture, etc.), la petite société se cimente dans la bonne humeur.
    Un prédateur terrible, un lion, ravage les parages en raflant au passage les quelques moutons élevés par les humains. Une chasse est organisée et le fauve impitoyablement éliminé. Au demeurant, avec de la patience, Tisseur apprivoise l’unique éléphant qui hantait ces lieux. Baptisé "Béhémot ", Il deviendra une source d’énergie énorme, un compagnon charmant et un véhicule apprécié.
    L’harmonie utopique qui préside à cette résurrection permet l’émergence des plus tendres sentiments: des couples se forment, l’on se marie, des enfants naissent. Sous la douce autorité paternaliste de Robert Clément, les fondations matérielles étant assurées, il reste encore du temps de disponible  pour la culture et le savoir. Celui-ci est désormais consigné sur du papier (apprêté pour l’occasion), à travers l’imprimerie mise au point par Tsé-Thou, pour servir de dépôt sacré aux générations futures.
    Le cataclysme universel a vraiment dû transformer ces derniers êtres humains puisqu’à aucun moment ils ne s’inquiètent de savoir s’il existe ailleurs d’autres survivants ou de partir à leur recherche. Se sentant bien dans leur île, ils édifient une société selon la morale (celle, bourgeoise de Clément Robert) et en fonction du progrès technologique qui est considéré comme le bien suprême. Cela leur est d’autant plus facile que les vices qui défiguraient habituellement l’homme ancien, leurs sont inconnus: pas de mensonges, de vols, de meurtres, de sexualité débridée, de viols, de jalousie... Parfois..., peut-être..., le fait de boire un petit coup de trop...mais le Président y met bon ordre !
    Tout  se passerait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles s’il n’y avait le Négateur, dont le nom est déjà tout un programme.
    Embarqué avec les compagnons de la première heure, ancien ami de Clément Robert, cet être taciturne s’est transformé en contestataire, prenant systématiquement le contre-pied des arguments développés par le Président. Il ne croit pas à la nécessité de travailler, ce qui est pour lui un esclavage, ni à celle de progresser, ce qui est une aliénation. Anarchiste de service, il développe une thèse selon laquelle le progrès technologique tue la liberté individuelle:
    " Voici l’endroit et l’envers de la chose. On construisait des routes, mais on payait des impôts fabuleux. En un siècle et demi, depuis Louis XV, on avait réalisé beaucoup de soi-disant progrès. Mais croyez-vous que l’on aurait pu retrouver un tact aussi parfait de bonne société que celui répandu à cette époque dans les salons? Où est l’amélioration? Et, d’un autre côté, pensez-vous qu’un homme primitif, partageant ses soins entre sa cabane et ses engins peu compliqués n’ait pas été plus heureux que l’habitant des grandes villes du globe, astreint à mille règles, obligé à de multiples usages, à se vêtir suivant la mode, à se présenter à l’heure au bureau ou devant le contrôle de l’usine? Vous imaginez sans peine une foule de raisons que je ne dis pas. En résumé, devons-nous chercher à nous replonger dans le funeste fatras des complications ou devons-nous plutôt simplifier notre vie en prenant pour modèle les peuples les plus simples que nous ayons connus?"
    A Clément Robert qui tente de le convaincre (avec douceur!) de la fausseté de ses opinions en lui précisant que l’individu s’exalte à se mettre au service du bien social, il répond:
    " La belle avance que vous ayez fait pousser du raisin en plein pays du Nord, si l’estomac repu n’en peut manger! Les spectacles, mais ils détraquaient la nervosité, provoquaient l’insomnie! Les livres, mais ils donnaient la migraine! Les usines, mais elles empoisonnaient l’air, tuaient les ouvriers! Le travail, mais il assommait tout le monde et tout le monde, lié par de chaînes imbéciles, le subissait. Puisqu’un ouragan bienfaiteur nous a presque délivré de ces liens, rompons-les tout à fait, reprenons notre liberté. Regagnons l’ignorance qui dore tout, l’état primitif qui laisse en repos. "

    Et Clément Robert de rétorquer :
    " Encore une fois qu’est-ce que l’état de nature? Est-ce la condition du sauvage? Lequel? Celui qui connaît la culture? Celui qui chasse? Celui qui ne sait pas allumer de feu? A quel degré d’ignorance faut-il revenir selon toi pour être heureux? Si nous nous abandonnions, sur cette pente dangereuse, ne vois-tu pas que nous serions à la merci d’un changement de climat, d’une famine, de n’importe quel événement imprévu? "
    Ne pouvant plus supporter la vue d’autres êtres humains avec de telles théories, le Négateur ira vivre seul dans un coin de l’île, en compagnie de son chien, en produisant un minimum d’efforts et en pratiquant la chasse et la pêche.  
    La démonstration voulue par Solari n’en sera que plus convaincante lorsque le Négateur, devenu un être hirsute, sale, abominable, pratiquement incapable de s’exprimer, vêtu de peaux de bêtes, sera confronté à la beauté évanescente de Claire, une lumineuse jeune fille en robe de soie chatoyante (dernière conquête de la civilisation retrouvée).
    Il en tombera éperdument amoureux, allant jusqu’au meurtre pour assouvir sa jalousie, car Claire lui est à jamais inaccessible. Lorsqu’il mettra le feu à l’imprimerie (qui propage les idées mensongères du progrès.), en brûlant du même coup Tsé-Thou, Clément se résigne à se débarrasser du parasite en une dernière chasse à l’homme.
    Agonisant dans sa caverne la haine au coeur et la rage au ventre, il offre une image pitoyable aux yeux de son très ancien ami:
    " Dans le demi-jour, on distinguait mal. La face du Négateur était embroussaillée de poils. Entre eux, la peau se montrait, brune et poussiéreuse. Les yeux s’ouvraient, petits, peu clairs, jaunies par l’envie. Dessous, les peaux de bêtes rajustées avec des tendons couvraient le corps et formaient un ensemble informe, avec lequel se confondaient les bras velus. "
    Ses convictions anarchistes l’ont fait régresser au stade de la bête! De tels faits confirmeront Robert dans l’idée que son approche morale du monde est la seule possible. Le Négateur n’a pu réduire à néant ses efforts, ni inciter les jeunes de la communauté à quitter les lieux en prétextant une nouvelle montée des eaux. L’unique " ennemi " de la Cité étant enfin liquidé, celle-ci poursuit son évolution harmonieuse vers le bien. Les naissances se multiplient à vitesse exponentielle.
    Georges Renaud, devenu  vieux maintenant à l’instar de Robert, décide d’un voyage vers le Nord avec ses deux petits-enfants et l’aide de Béhémot. Sans que le Président puisse l’en dissuader, il se met en route. Les eaux se sont retirées de partout, les terres traversées sont plus ou moins marécageuses, mais ils continuent leur chemin, toujours plus loin, traversant la chaîne des Alpes pour finalement se retrouver devant Paris:
    " -La Bastille! Une seconde place s’ouvrait devant eux. Là, sur le limon déposé, des herbes, des buissons avaient poussé, semés par le vent. Un océan de tiges, à demi jaunies par la maturité, balançaient les épis de graminées sous la brise douce qui soufflait. Au centre de la place, un trou se creusait, la colonne de Juillet avait dû s’effondrer dans le canal ouvert au-dessous d’elle. Les maisons démantelées, rangées en cercle, faisaient comme un décor d’incendie, en découpant le ciel dans les cadres de leurs fenêtres. "
    Pris d’une grande frénésie devant ce spectacle Georges Renaud l’immortalisa avec sa plume. En fouillant les ruines,  les nouveaux explorateurs trouvèrent encore une encyclopédie, trésor inestimable qu’ils s’empressèrent de rapporter. Mais, vaincu par trop d’émotions, l’ancien mourut devant son Paris tant aimé. Alors, les jeunes, pour qui la vraie patrie était leur terre d’Algérie, s’en retournèrent sans regret.
    Ils seront accueillis triomphalement après cinq ans d’absence. La colonie comptait maintenant plus de deux mille personnes  qui maintiendront ferme le cap vers un avenir radieux. Robert Clément, encore vivant quoique centenaire, figure mythique du Père Fondateur, sent au fond de lui descendre la grande paix de la victoire définitive.
    " La Cité Rebâtie " de Solari est un ouvrage qui fait date dans le courant cataclysmique. Par son traitement stylistique, Il se détache de ses semblables, tels que " le grand cataclysme " de Henri Allorge, ou " les buveurs d’océan " de H. Magog. Il se hisse  au niveau du roman de Stewart (le Pont sur l’abîme) dans sa description naturaliste d’une nouvelle société. D’autres aspects comme la description suggestive des ruines de Paris, ou la présence du personnage du Négateur renforcent l’originalité du récit.
    Quelques faiblesses subsistent pourtant autant structurelles - personne ne se soucie d’autres survivants éventuels - que formelles, étant donné que l’unique aspiration vers le bien qui pousse les  nouveaux bâtisseurs est vraiment par trop peu crédible. Une réédition du roman de Solari serait la bienvenue.


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