Synopsis :Un décor de futur proche. Une Amérique écologique qui a déserté les grandes villes, laissées à l’abandon. Halloway, héros en marge, s’envole avec son planeur solaire pour atterrir dans l’ultime cité, au-delà du fleuve. La ville ressemble à un personnage du conte de la Belle au Bois dormant :" Pour la première fois, en pilotant le planeur au-dessus du pont, Halloway vit les voitures, des centaines de véhicules poussiéreux, alignés le long des quais, garés dans les rues vides sur leurs pneus à plat. Des routes immenses s’étiraient partout, avenues de béton et d’acier qui se mouvaient, telle une sculpture serpentine, au travers d’intersections complexes. "
Il y fait successivement connaissance avec Olds, un garçon noir, génial et muet, féru d’électronique, avec Buckmeister, vieil architecte fou, avec Stilmann, dernier prisonnier d’une ville déjà moribonde, inquiétant dans ses agissements , avec Miranda, la fille de Buckmeister, désireuse de rendre la ville aux fleurs et à la jungle. Le projet de Halloway s’élabore peu à peu: redonner à la ville son faste d’antan, ne serait-ce que pour un temps limité et grâce à l’ingéniosité d’Olds. La Cité présente un caractère idyllique au départ:
"Des pigeons en très grand nombre avaient pris possession de la ville silencieuse et Halloway aurait presque pu se croire au milieu d’un vaste sanctuaire pour oiseaux. Des milliers de sansonnets s’étaient rassemblés parmi les sièges d’un stade sportif déserté. Des générations de pinsons et de corbeaux avaient fait leurs nids sur les balcons des bureaux et les banquettes des voitures ouvertes."
Soucieux de secouer l’inertie de la Cité, chaque personnage suit son idée. Pour Buckmeister, il s’agit d’élever une statue à la défunte modernité électronique:
"A moins de cinq cents mètres, sur une plazza, entre deux immeubles de bureaux, Halloway trouva une seconde pyramide. De loin, on eût dit un bûcher funéraire en métaux de récupération : des centaines de machines à écrire, des télex et de photocopieuses pris dans les bureaux de la plazza élevaient un monument à la mémoire des générations d’employés et de secrétaires qui avaient travaillé là. D’étroites terrasses s’étageaient les unes au-dessus des autres et l’entassement des machines à écrire formait d’ingénieuses colonnes baroques . Des plantes grimpantes aux couleurs éclatantes, clématites griffues, chèvrefeuilles aux fleurs rose et jaune, s’entortillaient autour des colonnades de métal et les vives couleurs de leurs pétales illuminaient ce mémorial de rouille."
Olds, n’a qu’un seul désir, celui de voler dans les airs. Il remettra en état le planeur d’Halloway en lui adjoignant un moteur. Stilmann, obsédé par la rage de détruire, vide les devantures de ses mannequins, les écrase et en parsème les rues. Chaque personnage renforce l’obsession de l’autre. Olds travaillera aussi pour Halloway, remettant en état de marche électrique un quartier entier de la Cité. Une vie factice renaît:
"Un après-midi, en rentrant de l’aéroport avec un petit tour pour Olds, il sut qu’il avait réussi. Il s’approchait d’une intersection à cent mètres du commissariat, lorsque les feux passèrent du vert au rouge. Riant tout haut à l’idée de respecter ce signal solitaire dans une cité déserte qui comptait dix mille carrefours et dont il était le seul agent de la circulation, il s’arrêta néanmoins et attendit que les feux reviennent au vert. Un principe important était en jeu".
C’est au nom de ce même principe que les casinos reprennent vie, ainsi que les éclairages publics, les ascenseurs des immeubles d’habitation. Stilmann parcourt la ville ressuscitée en tous sens avec sa voiture. Peu à peu, pourtant, le jeu se détraque. D’autres marginaux, attirés par le bruit de la ville morte, viendront la repeupler pour y jouer aux gendarmes et voleurs. La mort par accident d’automobile d’un piéton improvisé décidera Olds à tout saboter.
Poursuivi par Stilmann et sa bande de mauvais garçons, il s’envolera vers l’Ouest dans le planeur motorisé d’Halloway. Et l’Ultime Cité retombera dans le silence:
" Il contemplait avec ravissement la blancheur crayeuse des vieilles assiettes brisées, aussi éclatantes que celles de la glace concassée, les voies ferrées abandonnées avec leurs locomotives couvertes de mousse, la beauté sans tache de ces déchets industriels produits de techniques et d’imaginations bien plus riches que celles de la nature, plus splendides que n’importe quelle prairie arcadienne. Au contraire de ce qui se passait dans la nature, la mort était absente de ce paysage-ci. "
Nouvelle ambiguë, surréaliste, étrange. Du meilleur Ballard. L’auteur tend à faire de la mort industrielle un lieu esthétique d’une baroque et désespérante beauté.