Sur l'auteur :
(1865-
Préambule :
le Nuage pourpre par M.P. Shiel, Denoël éd., 1972 , coll. "Présence du futur", 1 vol. broché, in-
critique in « Fiction » N°230, février 1973
1ère parution: 1901 titre original: the purple Cloud
l’air empoisonné
Synopsis :
Adam Jefferson revient d’un voyage au pôle où il été épargné par la mort qui a frappé l’humanité entière sous la forme d’un immense nuage d’acide hydrocyanique en provenance d’une éruption volcanique (le livre a été édité en 1901 et le désastre du Krakatoa est encore présent dans les mémoires). Il redescend vers le sud en un long périple où la description des cadavres en petits paquets ou en masse attire le romancier par un voyeurisme teinté de sadisme, sur plus de cent cinquante pages:
" Dans les chambres et les escaliers de toutes les maisons, les morts étaient empilés les uns sur les autres et je ne pouvais pas faire trois pas dans les rues sans être obligé d’enjamber des cadavres. J’allai à la prison du Comté. D’après ce que j’avais lu on avait relâché les prisonniers. Pourtant j’y trouvai autant de cadavres que partout ailleurs. Chaque cellule était occupée par au moins dix personnes; les corridors étaient jonchés de visages exsangues et de guenilles venues d’on ne sait quelle foire aux puces.
Dans la cour centrale, c’était un entassement innommable, de chairs éclatées et de chiffons barbouillés de sang. C’était sans doute le résultat de l’explosion d’une chaudière. Près de la fabrique de biscuits, je vis un jeune aveugle enchaîné à un chien que l’ouragan avait projeté contre un mur et laissé là, dans une étrange posture, le bras bizarrement tendu au-
Dehors, il n’y avait pas un espace libre entre les milliers de véhicules. Les morts tapissaient littéralement le pavé de ce quartier de Londres. Et, là encore, l’odeur de pêcher qui -
(...) Je sortis de la gare en larmes, m’attendant presque à retrouver la rumeur de la rue, moi qui étais maintenant habitué à ce grand vide silencieux. Qu’allais-
Au lieu de l’ancienne rumeur, je n’entendais qu’un silence étourdissant qui montai jusqu’au ciel pour se mêler au silence des éternels luminaires qui brillent là-
En face de la ruine universelle, Adam Jefferson se pose le problème de sa propre survie. Certainement désigné par le destin (mais lequel?), lui seul demeurerait sur la terre (mais pourquoi?). En proie à un désespoir sans bornes, sa seule réaction sera destructrice. Afin d’imprimer "sa" marque à "son" monde, il voyage de continents en continents pour brûler, selon son bon plaisir, les villes encore debout:
" Je revins à Vaucaire qu’un mois plus tard, laissant derrière moi des villes en ruine et des forêts en flammes. J’avais incendié Bordeaux, Livourne, Bergerac ".
A Constantinople, l’incroyable se produisit : il rencontra une jeune fille épargnée par le fléau. Allait-
" Quand je la quittais ce soir-
Plutôt expéditif, Jefferson ne connaît pas les affres du désir. Cependant, les choses s’arrangeront d’elles-
Le roman de Shiel est significatif des débuts du genre. C’est l’un des tous premiers romans concernant l’empoisonnement de l’atmosphère. Ce thème aura une féconde pérennité, relancée par Camille Flammarion dans " la fin du monde " où c’est l’approche d’une comète (celle de Halley en 1902) qui déterminera l’empoisonnement du globe. Il sera suivi par la "Ceinture empoisonnée" de Conan Doyle, et d’autres récits comme "le Nuage vert" de Neil. Le romancier insiste sur l’ivresse immédiate du dernier homme livré à ses fantasmes, motif récurrent du genre. Chez lui la description monomaniaque des cadavres et de la décomposition, les sentiments misogynes forcenés prennent une ampleur rarement rencontrée dans d’autres récits. Quoique contestable philosophiquement, Shiel fait oeuvre de précurseur et à ce titre mérite une place particulière dans l’histoire du roman cataclysmique.