Synopsis :En ce futur incroyablement lointain où subsistent seulement une poignée de véritables êtres humains, Paul et Virginie se rencontrent. Désireux tous deux de goûter à la vraie liberté, à la vraie vie, aux émotions inconnues, ils ont demandé aux Seigneurs de l’Instrumentalité d’être transformés en Français du temps jadis, qui vivaient à cette époque si archaïque :
« Je fus moi-même le premier, après seize mille ans, à coller un timbre sur une lettre. Je conduisis Virginie au premier récital de piano. L’œil collé à l’oculaire de la machine-à-voir, nous vîmes lâcher le choléra en Tasmanie, et les Tasmaniens danser dans les rues, maintenant qu’il n’était plus question de les protéger. Partout, les choses commençaient à devenir intéressantes. Partout, homme et femme travaillaient avec une volonté farouche à construire un monde plus imparfait. »
Loin de la perfection absolue de l’Instrumentalité, ils pourront ainsi découvrir avec ivresse le sens de la peur ou de l’amour. Mais un doute subsiste : leur liberté est-elle inconditionnelle ou ce sentiment même n’a-t-il pas aussi été prévu par l’Instumentalité ? Sont-ils vraiment libres, c’est-à-dire responsables de leurs actes ou leur nouvelle personnalité est-elle aussi factice que l’ancienne ?
Virginie se souvient d’une vieille machine capable d’opérer des prédictions, l’Abba-dingo, ordinateur ou Dieu, résidant dans les nuages, tout là-haut, au bout du boulevard Alpha Ralpha. Avec Paul, elle veut découvrir la vérité. Croisant C’Mell, la femme-chat (personnage principal dans une autre nouvelle), en compagnie de Macht , un autre homme transformé en quête de sensations fortes, ils prennent le chemin conduisant à l’Abba-dingo, la machine immortelle. Le boulevard Alpha Ralpha, construit en un matériau d’une extrême résistance et qui serpente dans le ciel sans aucun support apparent, est, lui aussi, d’une très grande ancienneté. Des signes d’usure y apparaissent parfois, comme cette brèche que les deux amants éviteront :
« Sur la droite, le boulevard s’élevait en pente abrupte, à la manière d’une rampe. Il disparaissait dans les nuages. Juste au bord de la frange de nuages, il semblait qu’un désastre s’était produit. Je n’en étais pas absolument sûr, mais j’avais l’impression que le boulevard avait été tranché sur toute sa largeur par d’inimaginables forces. Quelque part, au-dessus des nuages, se trouvait l’Abba-dingo, l’endroit où toutes les questions recevaient une réponse… »
Nulle part, au long de leur route, ils ne trouveront le signe de la soumission des êtres et des choses au pouvoir des Seigneurs de l’Instrumentalité, comme s’ils étaient en dehors de leur temps. Les oiseaux, par exemple, sont des vrais oiseaux, aux fonctions télépathiques si primitives que Paul et Virginie ne les comprendront pas.
Arrivés près de l’Abba-dingo ils découvrent ça et là des squelettes blanchis pour lesquels Paul n’a pas de nom puisqu’il en ignore le concept, la mort étant absent de son champ d’expérience. Virginie, par tâtonnement, actionne la machine qui lui dit qu’elle aimera Paul durant toute sa vie, même si celle-ci s’avère être fort courte. Par contre, ce qu’ils n’arrivent pas à déchiffrer c’est que l’Abba-dingo, ancienne station météorologique prévoit également l’arrivée d’un typhon.
Arrachée d’entre ses bras, Virginie disparaît dans la tempête. Paul aura la vie sauve grâce à C’Mell qui le ramène en sûreté. Il se rétablira par les soins d’un médecin-robot, la mémoire remise à neuf par l’Instrumentalité, ayant oublié le goût de la peur et de la mort mais avec au cœur une nostalgie secrète.
Ce joyau littéraire s’insère dans le cycle des « Seigneurs de l’Instrumentalité ». Gordwainer Smith reprend à son compte le roman de Bernardin de Saint-Pierre, faisant de Paul et Virginie les personnages d’une superbe nouvelle dans laquelle, sous la démarche littéraire, percent les interrogations permanentes de l’homme lié à une existence qui le dépasse de toute part.