Synopsis : Curieux récit que "l’Agonie de Cosmopolis". Il s’agit bien de la fin d’un monde, mais d’un monde à part, celui de l’entre-deux guerres et de la Démocratie chrétienne avec la prise de pouvoir en France par un gouvernement communiste. Cosmopolis, c’est Marseille et l’Etang de Berre, région totalement industrialisée dans un futur hypothétique proche. Le lecteur y fait la connaissance d’affameurs ploutocrates, Godseels et Bassano, des fourreurs multimillionnaires. Sans scrupules et sans respect pour la vie humaine, ils exploitent les ouvriers harassés et malades:
«Je m’affirme partisan du plus fort, là où je ne puis l’être moi-même... La dernière faute, la plus récente fut de permettre au monde ouvrier de s’organiser. Le mal une fois fait, nous avons essayé de museler l’ogre, en ne tolérant que les groupements qui se moquaient de l’ordre social. Ne pouvant vaincre de force, nous avons manoeuvré, cassant les reins aux faibles , aux syndicats des curés et des pasteurs protestants... opportunisme louable , mais dangereux. Nous comptions sans les mâchoires de l’ogre fortifiées par nous. Le voici qui rompt sa muselière ; le grabuge commence, gare à la casse, Godseels... la peau humaine est fragile..."
Heureusement, Lucile, la femme de Godseels, et sa fille Ida, sont différentes. En véritables "anges de la miséricorde", elles s’emploient à soigner les victimes aux visages rongés par le cancer dû au travail prolongé près des cuves d’acide :
«Ils pénétrèrent dans le taudis... Sur un sol boueux de terre battue, un grabat où une forme cadavérique râlait, expectorant ses poumons. Un gamin de six ans à moitié nu, allait du grabat à un berceau où se lamentaient deux enfants, distribuant les tisanes préparées, le matin, par le père.» « (...)
Au lit voisin, c’est une jeune arabe emmaillotée de toile , de la tête aux pieds, voilée, invisible. La bête lui a dévoré les seins, puis le visage. A travers le suaire, un sifflement douloureux monte, descend comme le vent méchant d’une houle.... un peu plus loin, une vieille italienne pleure à sanglots convulsifs; elle n’a plus de jambes et le monstre tenace lui ronge le bassin... Elle joint, tord ses mains nouées, rabotées par les acides où, depuis des années, elle plongeait peaux de lapins, de taupes , de zibelines et de chats sauvages , dans les ateliers homicides de Godseels.»
Elles sont rejointes dans leur vocation par Christian, le médecin des pauvres , que la jeune Ida aimerait bien aimer si cela ne la détournait pas de sa bonne inclination. A côté de ces héros, taillés à l’emporte-pièce, et de quelques "bons ouvriers", tout dégoulinant de bons sentiments, se dressent les "bandits", tous pervertis par les idées sinistres et anti-cléricales d’Anatole France. Il s’agit d’une part des capitaines d’industrie dont l’argent est le seul dieu , anti-chrétiens, cela va de soi, et de l’autre des "métèques", les Noirs, les Chinois et les Arabes, représentant des forces du mal, communistes et anarchistes.
Si-Hassen, l’Arabe, qui a fait ses études en France, devient le chef incontesté des révolutionnaires. En compagnie du Juif Michely et du Grec Wolf, il fomente la révolte qui aboutira à la chute de Cosmopolis. Il tue, assoiffé de haine, en compagnie de Doucèn, la jeune maîtresse arabe qu’il a arrachée à Godseels, tous ceux qui tombent sous sa main, en une mise en scène théâtrale et abominable :
«Soudain , les hauts-parleurs installés à tous les carrefours, reliés à l’acropole de Notre-Dame de Miséricorde , où Si-Hassen , chef du Conseil du peuple et de la tchéka , tient son quartier général, assisté de Doucèn, apportent le communiqué quotidien: "Aujourd’hui, à dix-huit heures, exécution , sur la colline, de cent cinquante contre-révolutionnaires. Le service d’ordre sera assuré par deux cents Annamites , deux cents Sénégalais de la première centurie rouge et la deuxième escadrille rouge , commandée par Tchang-Kai-Chek. La liste des condamnés sera affichée, une heure avant l’exécution, au quartier général... On filmera l’exécution.»
Mais il se trompe de cible. Au lieu de s’en prendre aux vrais capitalistes et autres "vipères lubriques", il assassine les prêtres, les gentils ouvriers, les bons ingénieurs, les vrais chrétiens qui acquièrent de ce fait le statut de martyrs. Après avoir mis Cosmopolis à feu et à sang en compagnie du chinois I-Chang, Si-Hassen sera à son tour puni de ses idées impies et immolé sur l’autel de la révolution anarchiste. Quant à Wolf et Michely, ils périront brûlés vifs dans l’incendie qui ravage la cité de Marseille, véritable Nuit de Walpurgis, entraîné par leur soif inextinguible d’argent :
«Des millions de tonnes d’essence, de pétrole, roulent vers l’Etang de Bolmon, l’Etang de Berre, vers Marseille par le canal du Rove, vers Port-de-Bouc, et la pleine mer par le défilé de Caronte. L’immense nappe de feu avance, dans des tourbillons de fumée noire et rouge, submergeant tout . La précieuse conque, où dort la mer intérieure, n’est plus qu’un cratère hurlant, plein de flammes jusqu’aux bords.
Les vaisseaux ancrés dans les ports, les flottilles de pêche flambent, éclatent, mêlent leurs détonations à celles des usines, docks et poudrières gorgés de matière inflammables et d’explosifs. Une pluie de pierres, de cendres, de liquides corrosifs tombe du ciel, mêlée à des blocs de cuivre, d’acier, de fonte, arrachée aux vaisseaux et aux réservoirs dynamités".
Apuré par cette fin du monde communiste, le christianisme triomphera: «(Le prêtre) songe à Lucien Belin, à ce groupe de jeunes ouvriers catholiques, qui seront là , demain ; qui réchaufferont sa vieillesse prématurée à la flamme de leurs jeunes enthousiasmes... Le froment de mille vies , ils le portent dans leur coeur. Un goéland monte de l’Etang de Berre, le frôle de son aile ... Et il sent, en son âme, une grande aile palpiter, l’emporter , lui aussi, vers les cités renaissantes de l’Etang; une large joie vivante monte dans son coeur rajeuni , renouvelée tous les matins : l’invincible optimisme, l’indestructible espérance qui, depuis vingt siècles , à travers toutes les calamités , toutes les agonies , garde l’Eglise toujours jeune. "
L’Agonie de Cosmopolis est un ouvrage apologétique, un brûlot contre les athées et incroyants de toute sorte installés dans les idées anti-cléricales d’Anatole France (L’auteur lui en veut beaucoup!) Il dresse dos à dos communistes et métèques, le parti de l’étranger qui sape les fondations de la France, fille aînée de l’Eglise. En un style d’une grande férocité, en un délire paroxystique, l’auteur charrie toutes les idées haineuses, racistes et xénophobes qui traînent dans la mentalité de l’époque. Continuateur de Lamennais et du christianisme social, Bessières lutte pour l’instauration d’une société ouvrière menée paternellement par des chrétiens riches et éclairés. Un roman singulier qui détonne par sa virulence dans l’ensemble des oeuvres-catastrophe de l’entre-deux guerres.