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Livres

  1. Type: livre Thème: guerre des sexes, matriarcat, péril jaune et guerre des races Auteur: Jacques CONSTANT Parution: 1910
    Jean Decorail, un jeune homme pauvre et mignon, est sauvé par Andrée Ravière et son amie Raymonde, à bord de leur petit avion personnel atterrissant à cause d’une panne mineure. Pris à bord, réconforté, puis emmené dans l’appartement d’Andrée, Jean deviendra l’observateur privilégié des mœurs de cette nouvelle société bâtie par les femmes qui se sont emparées du pouvoir politique lors de la Révolution de 1950 :
    « On n’ignorait pas que maintenant les femmes étaient électrices et éligibles, qu’elles avaient accès à la plupart des fonctions publiques, mais on en riait sans deviner la révolution économique qui s’élaborait. Il est vrai qu’elle s’accomplissait petit à petit, sans à-coups brusques. Et tandis que la nationalisation du sol et l’établissement des monopoles d’Etat avait déchaîné la guerre civile, le règne féministe s’établissait solidement au milieu de l’indifférence générale. »
    Il rencontrera les responsables féminins qui détiennent les postes-clé. Andrée, aux multiples compétences, parlant six langues, députée, adjointe de la grosse et redoutable Mme Milner, patronne du puissant trust des métaux, sera troublée par Jean. Elle lui permettra de vivre  chez elle au «Splendide Hôtel » pour qu’il se refasse une santé. L’hôtel abrite beaucoup d’autres femmes de premier plan qui toutes se connaissent. Mme Aïdos, par exemple, la directrice de la banque franco-bulgare qui travaille en étroite collaboration avec Mme Milner ; la doctoresse Kibieff ou Jane Symian, la poétesse droguée à l’opium, dont l’usage est licite. En face, le panthéon des hommes, voués aux fonctions secondaires, puisque la république des femmes – idéal utopique des féministes au XIXème siècle - les a asservis et dévirilisés. Ils servent comme agents de liaison ou … étalons pour des dames trop prises par leur travail :
    «Je m’étais laissé dire que ces messieurs des « Maisons closes » en (=«dragées d’Hercule», sorte de Viagra) faisaient journellement usage pour être toujours prêts ! -Jamais de la vie ! (…) On obtient leur virtuosité exceptionnelle grâce à une sévère sélection des mâles, à de très courtes périodes de service suivies de longs farnientes à la campagne, enfin à une hygiène sévère et à une nourriture choisie. Malgré ces précautions d’ailleurs, la plupart de ces pauvres diables n’atteignent pas la quarantaine… »
    Il s’est donc développé un harem d’hommes entretenus, êtres ambigus, dont l’homosexualité s’affiche ouvertement, occupés uniquement à séduire, à se disputer ou à discuter de frivolités :
    « Les hommes, eux, ont endossé l’habit de soirée qui, par un caprice de la changeante mode, copie les costumes chatoyants du XVIIème siècle : pourpoint de soie céladon ou rose, hauts de chausse de satin blanc bordés d’argent ou formant des nœuds, bas de soie, souliers à ponts-levis, canne à rapière, rabat de mousseline bordée de guipure, vaste feutre gris à plumes blanches. »
    Fêtes somptueuses, habillements baroques, stupre, relations sexuelles éphémères, argent facile, défilent devant les yeux de Jean que sa condition provinciale et son état de pauvreté ont protégé jusque là.Très vite, il sera entouré d’un groupe «d’amis », tels que Pierre levée, Roger lemire, Xaintraille ou Luis Diego dit «Louisette», qui se chargeront de le déniaiser:
    «Des hommes en cheveux longs, en grands chapeaux empanachés, en costumes tapageurs, déambulaient à pas lents, le poing gauche à la hanche, la main droite sur une haute canne à pomme d’or. D’un sourire lascif ils aguichaient les femmes aux terrasses des cafés et d’autres, indifférents, adressaient leurs œillades aux deux sexes, car jamais l’homosexualité n’avait fleuri aussi abondamment. »
    Par eux il connaîtra les hauts lieux du Paris «branché» comme le « Cathleya-bar », lieu des rendez-vous interlopes, ou les fêtes décadentes chez Mme Milner, sans que cela aide à le convaincre de céder à Andrée à l’égard de laquelle pourtant il nourrit un tendre sentiment.Les hommes, « les vrais» sont, soit employés à des travaux de force dans les mines ou l’industrie,  et laissés incultes, soit se retrouvent au sein de minuscules groupes d’opposition conservateurs siégeant au Parlement. Le Dr. Lorris est l’un de ceux-ci, qui analyse le marasme économique, l’instabilité internationale et l’affairisme d’état comme amplifiés par le pouvoir féminin lequel a joint aux travers des hommes la volonté de revanche des femmes :
    « Puisque grâce à nos discussions, à notre fatigue, disons le mot, à notre veulerie, vous êtes arrivées au pouvoir, vous auriez dû en profiter pour mettre en pratique vos idées, vos théories, votre idéal. Or, qu’avez-vous fait depuis 1972, date des premières élections qui assurèrent la majorité féministe? Rien que pervertir les syndicats ouvriers et les trusts patronaux qui forment le collège électoral. (…) Quand vous voudrez, je vous prouverai que vous vous êtes contentées d’être nos pâles imitatrices. Vous n’avez rien inventé, rien démoli, rien innové ; vous avez rendu vôtres, en les tournant à votre profit, nos lois, notre organisation, notre société telle qu’elle est sortie de la révolution de 1950, parce que vous n’avez pas d’idées originales, pas de théories neuves, pas d’idéal personnel. (…)Allons, il fallait avoir le courage d’avouer la vérité, si peu séduisante qu’elle fût ; les femmes avaient su accroître la misère sociale et l’inégalité. A la dureté masculine, elles avaient substitué un égoïsme plus féroce, une injustice plus criante. L’homme était impitoyable et brutal, la femme était complètement amorale. Son désir exaspéré de paraître, d’éclabousser, de triompher, effaçait chez elle tout autre sentiment, détruisait toute bonne volonté»
    Car la situation intérieure et extérieure de la France est inquiétante. Le racisme sordide introduit de solides clivages dans cette société féminine supposée unie :
    «C’est encore Peau de goudron qui fait des siennes. Cheveux crépus, nez épaté où par la pensée on suspendait un large anneau d’or, lèvres proéminentes, celle qu’on avait baptisé de ce surnom était un remarquable échantillon de la race nègre. Son goût pour les chemisettes claires et les cravates aux couleurs éclatantes joint à une compréhension lente l’exposaient aux farces, quelquefois méchantes, de ses collègues. Elle souffrait d’autant plus d’être leur risée que son orgueil l’empêchait de reconnaître son infériorité intellectelle. Quand Irma lui affirmait « qu’une blanche vaut deux noires », elle discutait âprement et au bout d’un quart d’heure s’apercevait enfin qu’on se moquait d’elle. »
    Les syndicats féministes avec à leur tête Irma Bozérias sont relayés au Parlement par une passionaria, Mme Launey, présidente du groupe des «Bellamistes». Elle dénonce les tripotages électoraux, le détournement des biens publics, les lois sur la propriété d ‘Etat en annonçant une grève dure que devra briser Mme Blanzy la présidente de la république , soutenue par les trusts des métaux, notamment celui de Mme Milner qui signe un traité d’approvisionnement d’armes avec les …Chinois, espérant relancer par là le travail et casser la grève :
    « Le Japon au commencement du siècle, la Chine un peu plus tard avaient prouvé à la vieille Europe que sa supériorité économique n’était qu’un mot. L’émancipation sanglante de l’Indo-Chine et de l’Inde où les jaunes levant le masque avaient audacieusement mis en vigueur la doctrine de Sen-Chou-Chian, «l’Asie aux Asiatiques», avait porté le dernier coup au prestige de la race blanche. Les petits hommes aux yeux bridés s’étaient réveillés soudain de leur nirvana séculaire. Guéris de l’opiomanie qui les engourdissait, galvanisés par la volonté d’empereurs énergiques, ils s’affirmaient les maîtres de l’heure et la guerre sino-australienne n’était qu’une des phases tragiques de ce duel des deux races. »
    Elle charge son adjointe Andrée Ravière, torturée par des scrupules de conscience, de se charger de cette délicate négociation. Les terrains étatisés, l’interdiction de leur transmission par héritage, l’Etat propriétaire de tous les logements fournissent à une nomenklatura féminine d’apparatchiks (es) la possibilité de se goinfrer, au propre comme au figuré. Le Dr. Lorris est conscient que la race blanche se suicide, non seulement à cause d’une politique insensée mais surtout par le fait de deux fléaux conjugués qui amplifient le désastre : l’abandon du rôle de mère par les femmes et le refus de faire des enfants. Elles les confient à des «Maternités nationales», sortes d’orphelinats d’état où , en grandissant, ils apprennent la haine et l’amertume de la solitude. Comme les multiples fonctions des femmes ne leur permettent plus de consacrer du temps à engendrer, elles se livrent au plaisir sans arrière-pensée en absorbant des abortifs ou en se faisant stériliser. Jean, en compagnie des «ruffians » est soigné, pomponné, poudré, prêt à un emploi qu’il condamne au grand malheur d’Andrée :
    « La toilette du jeune ruffian était terminée. Après l’avoir massé, épilé, la doctoresse avait examiné la denture, mesuré la sensibilité des réflexes, présidé au nettoyage de la chevelure. Elle n’avait pas volé ses deux louis quotidiens. »
    Il voudrait vivre de sa plume en composant des poésies. Aidé par la jeune femme, une relation de Mme Herbert, il rencontre la Directrice du journal « l’Universel » qui lui fait abandonner de suite ses illusions :
    « Elle expliqua que les vers étaient une très belle monnaie ancienne qui n’avait plus cours. Quant à la prose, elle comportait deux catégories : celle dont la publication était payée par l’auteur et celle dont la publicité rémunérait tous les frais. Tel roman célébrait l’efficacité des pilules Finck ou de la pâte dentifrice Luna, tel conte vantait les charmes des randonnées accomplies à l’aide des avions Bérault. L’habileté consistait à tourner la réclame de telle façon que le lecteur fût dupe et n’aperçût pas le bout de l’oreille. »
    Profitant d’un voyage d’affaires de sa protectrice, Jean s’écarte d’Andrée, veut disparaître de sa vie. Il pense se réfugier chez un homme marié, son vieil ami Victor où il expérimente le drame de la sujétion masculine :
    « Mon pauvre Jean, voilà le seul moment de la journée où je suis tranquille. D’ailleurs ce n’est pas encore terminé. Avant de me mettre au lit, il faudra que je cire les chaussures de la mère et des enfants. Et demain comme chaque jour, je serai le premier levé. Je dois m’occuper de Tutur et d’Euphrasie qui vont à l’école, les laver, les habiller, préparer leur petit déjeuner. Dès qu’ils sont partis, je songe au chocolat de ma femme. Ah ! quelle existence!-De galérien, appuya Jean. Je ne la supporterais certainement pas. »
    Ce qu’il voit l’horrifie à tel point qu’il échouera dans la rue, avec les clochards. Andrée, de retour de son voyage, est désespérée. Elle aime réellement Jean qu’un sordide fait divers lui permettra de retrouver. «Louisette», pour un collier de perles, a assassiné son vieil ami Roger Lemire et s’apprêtait avec deux comparses à cambrioler l’appartement de Mme Milner. Les policières arrêteront à temps les suspects et, effectuant une rafle dans les environs,  elles prendront par hasard Jean dans leur nasse qui sera reconnu et sauvé par Andrée. Alors que l’Australie tombe définitivement dans les griffes de l’empire jaune qui étend sa domination sur le monde occidental, Jean et Andrée reviennent de voyage de noce. Enceinte, elle a démissionné de sa fonction, heureuse enfin de s’affirmer pleinement femme, au grand effroi de son ami Raymonde :
    « Elle en souffre, elle aussi, de s’être façonné comme ses contemporaines une âme masculine, d’avoir étudié la métaphysique et la physiologie, d’avoir plongé dans le gouffre glacé du raisonnement où l’on ne trouve en fin de compte que la négation, où l’on erre entre ces deux pôles contradictoires : la matière qui est peut-être aussi de l’esprit, l’esprit qui est sans doute de la matière !
    Ah ! comme elle les envie, les grand’mères futiles, préoccupées de la coupe d’une robe,  de la couleur d’une écharpe, de la forme d’un chapeau ou simplement absorbées par les soucis du pot-au-feu quotidien ! »
    «Le Triomphe des Suffragettes» reste un livre d’actualité avec des accents et des préoccupations contemporaines. Se situant dans la vieille lignée du thème du « matriarcat » et du « féminisme », Jacques Constant, endossant les oripeaux de l‘utopie socialisante pousse la simulation jusqu’à la charge pour constater – mais n’est-ce pas encore un fantasme mâle -  que des femmes au pouvoir agiraient encore plus mal que des hommes. Non seulement elles n’élimineraient pas la guerre, dont les féministes trouvent l’origine dans « la politique du mâle », mais n’en finiraient plus avec des jeux de pouvoirs exacerbés par leur nature féminine. Un brûlot féroce, parfois jusqu’à la caricature, mais une description minutieuse et des intuitions justes, font de ce roman un travail d’entomologiste éclairant les rapport entre les sexes. A méditer, même aujourd’hui !

  2. Type: livre Thème: menaces idéologiques Auteur: Emile PATAUD Parution: 1910
    Dans un texte rempli d’humour s’appuyant sur des illustrations en pleine page, Pataud nous offre sa vision du Grand Soir, au cours duquel la bourgeoisie est éradiquée grâce à la C.G.T. qui préconise la grève générale, tandis qu’à l’Assemblée les députés s’agitent vainement :
    « La classe ouvrière vient de réaliser cette grève, alors que certains sociologues, mentors du prolétariat ne la croyaient possible que dans dix mille ans. »
    Les premières mesures seront prises dans le calme ; les ouvriers électriciens et les gaziers arrêtent le travail, suivis par les cheminots. Les communications paralysées, c’est au tour des marins de se joindre au mouvement en «débarquant leurs cargaisons de bourgeois. »
    A cause des abattoirs en grève, du pain uniquement servi dans les « fournils des coopératives ouvrières » et réservés aux camarades syndiqués,  pointe la famine, surtout pour les bourgeois, que les PTT, déjà « aguerri par les luttes précédentes », n’ont pas oublié. La grande vision de l’armée dont :
    « Les soldats préfèrent planter là leurs officiers et se joindre aux camarades », complète le tableau avec « des canons qui ne partent pas toujours dans la direction indiquée, (avec) nombre de culasses (qui) en éclatant, blessent les officiers au ventre…»
    Les frontières sont abolies, les « peuples faisant cause commune contre l’ennemi commun, le Capital. » La société égalitaire enfin mise debout, elle ne repousse cependant pas:
    « Les puissants du monde qui, bien que tardivement, viennent demander leur admission aux syndicats. (…) Une ère de justice, d’amour, de liberté est enfin réalisée. »
    Une évocation naïve de l’utopie communiste d’où sont exclus les problèmes économiques, et dont la réalité a démontré qu’elle n’a pas été historiquement à la hauteur de son idéal.

  3. Type: livre Thème: menaces climatiques Auteur: Marcel ROLAND Parution: 1910
    La France au XXVème siècle. Le journaliste Pierre Delange rend visite à son oncle M. Luzette, à Blois, au moment où la pluie remplace une chaleur et une sécheresse exagérées. D’abord la  bienvenue, celle-ci est maudite en peu de temps :
    « Il pleuvait sans arrêt, sans répit, un rideau brumeux masquant maisons, arbres, rebondissant aux angles des toits, sautant des balcons, dévalant par les ruisseaux des rues en pente jusqu’à la Loire, qui roulait les tourbillons d’une crue incessante. On vivait dans une lumière grisâtre, un demi-jour de cave qui forçait à éclairer  continuellement dans les maisons. »
    La situation qui s’aggrave oblige Delange à regagner Paris par train, dans une ambiance de fin du monde :
    « Un clapotis baignait les roues des wagons sur la voie ruisselante. A travers la crêpe de la pluie, j’entrevis à peine la campagne, mais je la devinais confusément noyée, le sol saturé comme une éponge, les cultures perdues, les vignes submergées, les blés couchés sur la terre molle, les arbres fléchissant sur leurs racines pourries, les ravins devenus torrents, les mares devenues lacs. »
    Disposant d’un appartement solide il s’y réfugie, au 5ème  étage, pour attendre la fin de l’inondation. Mais les rues noyées empêchant toute sortie, et pour ne pas s’ennuyer, il tient un journal minutieux des événements. A partir du 10 juillet, le métro ne fonctionne plus. Tous les occupants des immeubles seront évacués pendant qu’il en est encore temps.  
    Lui, doutant de l’efficacité d’un regroupement, reste obstinément isolé chez lui.  Quelques jours après, un fidèle ami , le poète anarchiste Rambout, bravant les éléments, lui rend une dernière visite. Il prophétise la destruction du monde par un second déluge et lui rapporte des faits qui affecteraient la terre entière. Inquiet, Delange consulte revues et journaux scientifiques qui évoquent les causes du phénomène pluvieux par le déplacement de l’axe des pôles, la fonte des banquises, l’absence de taches solaires, la précession des équinoxes, ou le volcanisme intense :
    « Sur des points nombreux, le noyau encore non solidifié de la terre a subi d’importantes convulsions, traduites soit par des réveils de volcans assoupis, comme l’Etna, le Vésuve, l’Erèbe (aux régions antarctiques), le mont Pelé (à la Martinique), ou depuis longtemps réputés morts, par exemple les cratères du Plateau Central, en France, plusieurs de montagnes d’Arménie, et d’autres de la Cordilière des Andes ».
    L’eau monte toujours dans les rues de Paris, faisant s’effondrer les immeubles les uns après les autres. Soudain Delange, qui se sent bien seul, se rappelle qu’il possède un «éthéro-phone », appareil de communication sans fils. Après de multiples tentatives infructueuses, il accroche une voix. C’est celle de Pedro Antemazza, un prisonnier bolivien, qui, isolé comme lui dans un univers noyé, se débat contre la montée des eaux. Pierre assiste à sa mort en direct jusqu’à ce que le flot recouvre la voix du condamné. D’autres encore, peu nombreux, comme Blacker, gardien de phare au cap de Bonne Espérance dont l’habitat émerge au-dessus d’une mer étale, ou Tiaolung, un Coréen, qui prend le désastre avec philosophie.
    Soudain, les lumières s’éteignent, l’eau ayant accédé au second étage. Un mois a passé depuis le début du journal avant que Delange puisse noter un fait extraordinaire : une jeune femme l’a rejoint ! Eva Vankeer, une artiste, avait été oubliée dans l’appartement voisin. Comme lui, elle était restée sans liens avec le monde, se contentant de durer. La rencontre d’Eva avec Delange leur procure un grand réconfort. Il la rassure et part à la recherche de  nourriture, du pain et des légumes, arrachés aux rats dans le grenier d’un boulanger absent :
    « C’est là, au fond de ce noir, qu’étaient alignés les sacs du bienheureux marchand à qui nous devions de vivre encore ! Il fallait d’abord traverser des flaques d’eau, puis s’avancer avec résolution, un fort gourdin à la main, vers ces recoins d’ombre, où grouillaient mille petites existences féroces. J’entendais les rats s’agiter au milieu des précieux pois chiches et des haricots, comme des fourmis dans leur tanière. Je poussais des exclamations inarticulées, devenu moi-même une bête, et je me précipitais, tapant du bâton. Des cris perçants, affreux (j’y étais habitué !), une débandade qui me coulait sur les jambes, s’embarrassait autour de mes pieds. »
    Alors qu’il commence à sentir des tendres sentiments le gagner envers Eva, la fin se précise. L’eau monte à tel point que le couple sera obligé de se réfugier dans le grenier, avec les rats, puis, sur le toit, près de la cheminée, où les deux mourront, probablement noyés. Dans leur  dernier rêve – un rêve d’espoir-  ils se voient en sécurité à l’intérieur d’une arche, comme Noé et ses fils, puis ils s’évanouissent.
    Ils se réveilleront au sein d’un engin sous-marin, « le Triton», une création de l’ingénieur Emile Antoni que Delange connaît pour l’avoir interviewé. Antoni les a arrachés à la mort au dernier moment grâce à son engin, entièrement autonome et transformable, qui fonctionne à l’aide d’une pile au radium. Avec Bonin, son mécanicien, un géant brutal qui leur réservera des surprises à l’avenir, il les a mis en sécurité et leur fait contempler, à travers de larges baies, le paysage parisien englouti et ses cohortes de noyés :
    « Tout contre la vitre du Triton, un instant, vint se coller une vision atroce. Une face verte et tuméfiée, avec des yeux qui pendent en gélatine sous la chevelure soulevée. La bouche se convulse dans une grimace sinistre (…) Maintenant, à mesure que nous avançons à travers la cité lugubre, d’autres morts se montrent, innombrables, dans toutes les contorsions de la fin. Les uns attachés à des épaves, flottant entre deux eaux ; les autres accroupis ou couchés, retenues au sol par des causes inconnues. Ceux que le flot porte se heurtent, s’entrepoussent, se rassemblent en groupes visqueux et blêmes qui nous regardent passer, rient sur notre chemin, agitent les bras comme pour des acclamations muettes. Plus nous allons par les rues, les carrefours, plus cette ville de l’enfer vomit sur nous tous ses cadavres. Dans ce qui a été le boulevard Saint-Michel, un chapelet humain, lié à un balcon, a l’air de nous saluer au passage, avec des têtes qui se décollent. »
    La visite de Paris s’organise, en suivant le cours de la Seine. Le premier bâtiment qui les frappe lorsqu’ils prennent pied au sommet de la butte Montmartre encore à l’air libre, est la tour Eiffel, ou ce qui en reste :
    « Très loin, au-delà de l’emplacement où devait se trouver le cours de la Seine, de rares débris devinés confusément dans la brume… Une charpente de minces fils, décapitée et tordue, un air de squelette planté là, pour finir de s’y dissoudre… Je reconnus l’antique et fameuse tour de fer que, cinq siècles auparavant, l’industrie humaine avait érigée comme un défi vers le ciel. Et c’était lugubre, ces tronçons entrecroisés, aplatis, mâchés par le même souffle d’extermination, comme un petit jouet sur lequel on avait posé le pied par mégarde. »
    la visite sera interrompue par un tremblement de terre qui les force à regagner en toute hâte leur refuge sous-marin. Le Triton s’arrêtera à nouveau devant les marches de l’Opéra noyé et les explorateurs, grâce à un scaphandre autonome, entreront dans le bâtiment qui a entendu tant de grandes gloires artistiques :
    « Les poissons peuvent visiter les loges veuves de leurs occupants ordinaires. Les sièges sont pourris, les étoffes déchiquetées, les balcons de bois et de plâtre disloqués. Le lustre qui éclairait de ses feux les chambrées étincelantes des premières représentations, gît, aplati sous la montagne de déblais que la voûte a dressé en tombant(…) Soudain Antoni nous fait un signe et nous désigne quelque chose de pâle qui évolue lentement à cinq ou six mètres de nous. C’est une lamproie énorme que la clarté de nos phares a attirée. Elle tourne, serpente sans oser trop s’approcher, fixe un instant sur nous ses petits yeux, et, d’un coup de queue, se retourne. Elle finit par s’éloigner, comme un long ruban ondulant. Nous sortons, pour la suivre, nous la voyons évoluer près d’un groupe de pierre, l’œuvre exquise de Carpeaux, où quatre femmes nues dansent allègrement, tandis qu’au centre de leur ronde, un dieu rieur agite un tambour de basque. Elle s’enroule autour du cou de l’une d’elles, flaire lentement la bouche ouverte, puis, se dénouant,  remonte, passe entre deux colonnes, et rentre dans l’Opéra par une fenêtre.»
    Ressortant du bâtiment, Antoni les invite à le suivre au Palais Législatif où se sont élaborées toutes les lois, pour y récupérer « cylindres et disques phonographiques » de quelques grands hommes politiques. Plus tard, au sein de leur refuge, ils écouteront religieusement un discours du grand « Raujès » avec ses nobles aspirations vers le socialisme, ainsi que celui de l’anarchiste « Sauvageol » qui promet le châtiment aux capitalistes de tout poil. Une heureuse transition surviendra par la visite de la Bourse, temple de l’argent maintenant disparu, puis celle de Notre-Dame, où malgré l’eau, les élans mystiques sont toujours gravés dans la pierre des ogives.
    De retour, Antoni prend la décision de quitter Paris. Cependant Pierre constate que le caractère de leur sauveteur s’est aigri. La présence d’Eva, promise au seul Delange, en est l’unique raison. Antoni espère la convaincre de perpétuer l’espèce avec lui mais se heurtera à un refus. Certainement rompue par tant de désirs, Eva tomba gravement malade. Agonisante, elle sera sauvée par Antoni à l’ultime moment, grâce à une injection de piqûre d’eau de mer pure, seul remède susceptible de la guérir en « rappelant » au corps le milieu naturel de ses origines. Eva se remet à peine quand c’est au tour de Bonin de flancher. Abominablement ivre, Bonin, se rappelant le concept de lutte des classes, refuse tout de go d’aider son patron :
    « Ce Bonin, lui aussi, avait sa tare, et il suffisait d’un peu de liquide corrosif pour lui empoisonner le sang, le changer en un fauve. Ou bien, peut-être était-ce justement – comme le pensait Antoni - cette révolution subie par la terre, ce bouleversement de tout, ce nivellement des classes sociales et des cités, ce déséquilibre jeté sur les choses et dans les cœurs, qui dressait ainsi l’ouvrier contre l’ingénieur, et les derniers hommes les uns contre les autres ! »
    Comme un malheur n’arrive jamais seul, un troupeau de morses gigantesques, chassés des mers du pôle, prennent le Triton pour un reposoir. Le danger est immense et nos amis y vont de bon cœur, à la hache et à la barre de fer. Antoni, directement menacé par le « roi », un morse géant blanc aux canines redoutables sera sauvé à la toute dernière extrémité par le mécanicien, revenu à de meilleurs sentiments de coopération. Le péril écarté, ils optent pour le grand large et suivront l’opinion d’Eva qui se rappelle avoir lu jadis le roman d’un certain… Marcel Roland :
    « -Tenez, Pierre… Peut-être allons-nous en ces lieux où habite une race nouvelle, dont ce vieux roman tout mangé par les vers annonçait l’existence ?
    N‘ayant jamais eu la curiosité de regarder le titre de ce bouquin, j’y jetai un coup d’œil et lus : « Le Presqu’homme». Ce qui, naturellement, n’éveilla en moi l’idée d’aucun ouvrage dont l’histoire littéraire eût gardé la souvenance.
    -Et c’est ? demandai-je.
    Elle expliqua :
    -En deux mots, voici : il existerait quelque part, à Bornéo ou à Java, où dans les forêts sauvages d’Afrique, des tribus de singes presque humanisés, oui, arrivés presque à être des hommes…
    -Bah !
    -Des singes qui parlent…
    -Oh !
    -Des singes, enfin qui sont appelés à nous détrôner plus tard de la place prépondérante dont nous nous enorgueillissons tant. »
    Le déluge s’étant enfin arrêté, le soleil ayant refait une timide apparition, le Triton se transforme en avion et, déployant ses ailes, prend son envol vers l’île d’Anthar.
    Le «Déluge futur» constitue le deuxième volume d’un ensemble de trois baptisé « les Temps futurs ». le premier relatait l’existence d’une race de singes évolués et transformés en « Presqu’homme ». Le professeur Murlich avait ramené à la civilisation « Gulluliou », l’un de ces êtres, anthropoïde doué de la parole, qui représentait, selon lui et Darwin, le maillon ultérieur de l’humanité. Gulluliou fut ramené chez lui par Murlich et devint l’ancêtre de la société d’Anthar.
    Le troisième récit relate la suite des aventures du Triton et de ses occupants. Arrivés à l’île d’Anthar, Antoni et les siens, malgré leurs efforts, ne seront jamais acceptés par les Presqu’hommes. Se sachant condamné, délaissé par Eva, aidé par Bonin, Antoni partira à la «Conquête d’Anthar», décidé à détruire cette nouvelle culture pour donner sa chance au dernier couple d’humains, Eva et Pierre Delange, de faire renaître l’humanité.
    «Les Temps futurs» constituent une saga exceptionnelle dans le champ de la science-fiction française du début de siècle, autant par la cohérence structurelle de l’ensemble littéraire que par les discussions d’ordre scientifique ou philosophique qui servent de soubassement à une œuvre qui n’a pas démérité du genre.

  4. Type: livre Thème: savant fous et maîtres du monde, menaces animales Auteur: André COUVREUR Parution: 1910
    Jean Gérard, le narrateur et ami de coeur de Suzanne a beaucoup de chance d’être apprécié par le professeur Tornada,  un savant fou de la plus belle espèce:
    " C’était un petit bout d’homme simiesque, dont on ne remarquait d’abord que la barbe noire , si fournie qu’elle s’allongeait en deux tortillons très soignés jusqu’au niveau des jambes. Par contre, la tête était presque totalement chauve; et le crâne poli permettait de remarquer la conformation anormale de la tête qu’on eût dite pétrie à la diable, ondulée de bosses excessives qui devaient loger une intelligence particulière. Le reste de la physionomie, quand on la détaillait, n’atténuait en rien la surprise provoquée par ces premières impressions.
    Les oreilles surgissaient comme des appendices de loup, mobiles aux moindres sonorités. Les yeux très sombres, très petits et très mobiles, s’emplissaient d’éclairs par moments; et à d’autres, s’égaraient sous les paupières. Enfin de nombreux tics, plus singuliers les uns que les autres, secouaient à tout propos la tête, les bras et les jambes,  avouant des convulsions incessantes sous cet extérieur hoffmanesque. "
    Pour se venger de ses pairs de l’Institut des Sciences, Tornada élève une race de microbes, Microccochus aspirator, qui, pour le coup, deviennent gigantesques. Il les nomme " Macrobes " et s’en sert comme force d’invasion contre la bonne ville de Paris livrée à l’horreur et au socialisme. L’ordre s’effondrant, tous les instincts du populaire se libèrent:
    " -T’es un bourgeois, dis, pas vrai?... T’es pas d’la sociale... Moi , j’en suis... Mais quoi! On est tous des frères!... Faudrait qu’un chambardement qu’on soye tous égaux!... Hein? piges-tu, mon gros chéri, p’us d’patron!... p’us d’turbin!... l’égalité, pour tous!... et les pieds d’vant!... Hein? qué’qu’t’en dis?
    Ah! l’ignoble langage, qui m’eût peut-être fait pitié en d’autres circonstances, mais qui prit cette nuit-là, je ne sais quelle signification prophétique. Evidemment, si le cauchemar que j’avais vécu près de Mantes, pendant des minutes intenses, se réalisait jamais, si je ne rêvais pas, si je n’étais pas fou, toute l’ambition démocratique de mon ivrogne, ce grand nivellement social qui était la hantise des humbles, allait s’accomplir avant peu, par l’aboutissement normal d’une aventure biologique. "
    Jean est un privilégié. Ami des sommités scientifiques et militaires qui organisent la résistance contre les Macrobes, il a tout loisir d’examiner de près ces bestioles. D’abord, dans la forêt près de Mantes où il a failli devenir leur victime, puis à bord d’un dirigeable militaire:
    " Je saisis aussitôt son appareil et inspectai l’horizon à mon tour. En effet, du côté de Bezons, des masses confuses fondues au gris du sol, se tenaient arrêtés en arrière d’un pont nouvellement jeté sur la Seine, visible en cet endroit, d’un paysage dévasté. Le volume à cette distance était inappréciable; elle semblait cependant s’élever deux fois à la hauteur d’une maison qui restait seule debout. Leur forme était, toutes proportions gardées, d’un ovale très allongé, avec une extrémité qui semblait la tête, et une autre qui pouvait être prise pour la queue.
    Au niveau de la partie tête, un appendice naissait, d’une dimension au moins égale à la moitié de la longueur du corps; et cet appendice terminé, me semblait-il, par un évasement, s’agitait mollement en l’air, dressé comme une trompe paresseuse d’éléphant. "
    Les monstres semblent indestructibles, car, écrasant les habitations tout en aspirant leurs occupants,  ils envahissent Paris. C’est la panique, la cohue, la folie. Les gens s’écrasent, se tuent, se piétinent pour fuir le danger:
    " On ne peut se faire une idée de ce qu’était cette cohue. Ce n’était même pas une cohue car la cohue est extensible, la volonté permet de s’en échapper; c’était ici une condensation de tous les hommes, de toutes les femmes, de tous les enfants, amassés, comprimés, étouffés entre deux barrières infranchissables, les murs des maisons, et subissant des heurts, des remous, des tourbillonnements provoqués par les gestes exaspérés de ceux qui tentaient de se dilater. D’aussi loin que le soir tombant nous permettait de distinguer ce tableau de désordre, nous n’apercevions qu’un semis de têtes, la plupart sans chapeaux, une houle de bras levés, de cannes brandies, de gestes fous, que dominaient par places des enfants supportés par les épaules de leurs parents s’efforçant de les soustraire à l’écrasement.
    Le rez-de-chaussée opposait à cette anarchie l’implacable résistance de leurs devantures de fer baissées; mais dès l’entresol, et à tous les étages, les fenêtres bondées dégorgeaient, eût-on dit, la substance vivante des maisons remplies comme des fourmilières. La place de la Madeleine, l’église qui y dresse l’antique ordonnance de ses colonnes, les toits, les cheminées, tout était couvert du grouillement humain; il semblait que les êtres se montassent les uns sur les autres; des grappes faisaient ployer les arbres; et nous vîmes un balcon, succombant sous le poids, plonger dans la foule, y introduire le désastre et la mort. Quant aux hurlements, aux imprécations, aux blasphèmes qui accompagnaient cette furie, je n’ose pas les rapporter. "
    Jean a réussi à garder Suzanne auprès de lui. Ils s’enferment tous deux dans le métro tandis qu’au dessus d’eux les Macrobes montent la garde.  L’attente se prolonge et donne à l’auteur l’occasion de détailler quelques pittoresques échantillons d’humanité, parmi les plus représentatifs de la société de l’époque: l’Académicien, l’Homme de lettres, le "Journaleux ", etc. Bientôt, les denrées se font rares et les plus bas instincts se manifestent :
    " - Madame a faim?... Que madame me permette de lui offrir à déjeuner... En même temps, on nous jetait du gouffre un objet roulé dans du papier. Il y eut bataille autour de ce projectile. Mais, quand on l’eût dépouillé de son enveloppe, un cri d’horreur s’éleva. Ce qu’on nous envoyait, c’était une pauvre petite main d’enfant, portant encore à l’annulaire un modeste anneau d’or... "
    En désespoir de cause, Jean tente une sortie pour ramener des victuailles à Suzanne qui meurt de faim. Evitant la trompe éléphantine des Macrobes, il se dépêche de rentrer sous terre lorsqu’un nouveau danger surgit: les Macrobes se sont couchés dans le lit de la Seine, ont fait déborder le fleuve. L’abri est inondé. Il faut sortir à l’air libre sinon c’est la noyade.  Au-dehors, ils manquent d’abord de couler à pic, puis sont reconnus par Tornada qui, à bord d’un curieux vélocipède aquatique, les hisse sur son engin d’où ils pourront aisément prendre part à sa victoire.
    A la vue du désastre, Tornada a des remords. (Preuve qu’il n’est pas suffisamment fou!) Ne désirant se venger que des savants méprisants qui l’ont moqué, il envisage de mettre un terme à la catastrophe en tuant lui-même ses Macrobes. Pour cela, rien de plus facile: il suffit de leur injecter une solution acide (leur milieu d’origine étant basique). Les Macrobes meurent les uns après les autres et Tornada , s’étant approché de trop près, sera écrasé par l’un de ses monstres. Jean et Suzanne, sauvés de la noyade contempleront, heureux d’être en vie, la ville détruite.
    Un récit se lisant facilement et qui contient moult trouvailles ingénieuses, dont la meilleure est l’existence même des Macrobes. Se présentant comme l’ancêtre français des récits cataclysmiques qui mettent en scène des " grosses bêtes ", telles que Godzilla, le roman se veut aussi satire des moeurs savantes et contempteur de l’anarchisme populaire, idéologie que l’auteur, manifestement, ne partage pas.

  5. Type: livre Thème: péril jaune et guerre des races, guerres futures 2 Auteur: Jack LONDON Parution: 1910
    A partir de 1976, la Chine se réveille, menaçant le monde par son taux de fécondité. L’émigration chinoise se transforma en menace, d’abord pour les Européens, puis pour le reste de la planète. Rien ne semblait pouvoir s’opposer au flux énorme de la main-d’œuvre chinoise qui, en retour, assimila les technologies occidentales. Le Japon, vainqueur de la Russie, comprenant l’âme chinoise, forma les futurs cadres de la nouvelle société, la rendant d’autant plus performante et menaçante.
    L’armée chinoise fut réorganisée, puis l’infrastructure, puis les communications. La Chine ne se montra pourtant ni hostile ni belliqueuse mais continua d’envahir pacifiquement les pays voisins ou lointains, en en transformant rapidement le substrat autochtone. C’est ainsi que l’Indochine française devint chinoise, ce qui ne plut pas à la France qui tenta de s’opposer à elle militairement :
    « La France assembla une armée de cent mille hommes à la frontière chinoise de sa malheureuse colonie, et la Chine y envoya une armée d’un million de miliciens, derrière laquelle en marchait une autre composée de leurs femmes, enfants et parents des deux sexes. L’expédition française fut balayée comme un essaim de mouches. Les miliciens chinois avec leurs familles, au nombre de plus de cinq millions, prirent tranquillement possession de l’Indochine français et s’y établirent à demeure pour quelques milliers d’années. »
    Comme la Chine continuait sa progression en Asie, le nouveau gouverneur Li-Tang-Foung accentua encore la pression démographique, ce qui terrifia le monde entier qui ne savait toujours pas comment endiguer le fleuve jaune. Ce fut un obscur savant d’une officine de New-York qui conçut la solution à ce problème. En un premier temps, il s’employa à convaincre les leaders mondiaux de respecter une «Grande Trève », puis d’encercler le territoire chinois par terre et par mer, en y envoyant tout ce que le monde comptait de ressources militaires.
    Une mobilisation générale fut décrétée, en un mouvement d’encerclement qui amena le sourire sur les lèvres des Chinois lesquels attendirent l’invasion occidentale de pied ferme. Alors tombèrent, du haut du ciel, quantité d’ampoules en verre, éclatant sur une large frange du territoire,  ainsi que sur la ville de Pékin, en libérant un cocktail de microbes parmi les plus virulents : Laningdale venait d’inventer la guerre bactériologique :
    « Mais si le lecteur s’était trouvé encore une fois à Pékin six semaines après, il eût cherché en vain ses onze millions d’habitants. Il en aurait aperçu un petit nombre, quelques centaines de mille peut-être, à l’état de carcasses en décomposition dans les maisons et les rues désertes ou empilés sur des chariots funèbres abandonnés sur place. Pour retrouver les autres il aurait dû chercher sur les grandes et petites voies de communication. Encore n’en eût-il repéré que quelques groupes en train de fuir la ville empestée de Pékin, car leur fuite était jalonnée par d’innombrables cadavres pourrissant au bord des routes. Et ce qui se passait à Pékin se reproduisait partout dans les cités, villes et villages de l’Empire. Le fléau sévissait d’un bout à l’autre du pays. Ce n’était pas une épidémie ou deux: c’en était une vingtaine. Toutes les formes virulentes de maladies infectieuses se déchaînaient sur le territoire. (…)
    S’il se fût agi d’un unique fléau la Chine s’en serait peut-être tirée. Mais à une vingtaine d’épidémies, nulle créature ne pouvait échapper. Celui qui esquiva la petite vérole mourait de la scarlatine ; tel qui se croyait à l’abri de la fièvre jaune succombait au choléra, et la mort noire, la peste bubonique, balayait les survivants. Tous ces microbes, germes, bactéries et bacilles, cultivés dans les laboratoires de l’Occident, s’étaient abattus sur la Chine dans cette pluie de tubes de verre. »
    Les survivants, errants entre des millions de cadavres, furent tous exterminés et le territoire de la Chine annexé par les belligérants unis dans une même vengeance.
    «L’Invasion sans pareille» évoque une fois de plus, le Péril jaune, crainte si commune au début duXXème siècle. Aujourd’hui, alors que la Chine compte plus d’un milliard d’individus, nous sommes à même d’apprécier ces dangers liés à la mondialisation, sans toutefois y trouver une solution aussi définitive que celle imaginée par Jack London.

  6. Type: livre Thème: guerres futures 1, péril jaune et guerres des races Auteur: Henri KISTEMAECKERS Parution: 1909
    Aéropolis représente la société du futur de l’auteur (1908) où l’aéroplane a triomphé dans les modes de déplacement. La conjecture, avec humour et ironie, extrapole à partir de concepts tels que ceux de « taxi aérien », « d’embouteillage du ciel », résoud des problèmes d’ordre technique,  discute de la pertinence des termes "aviateurs " ou "aéromanes",  envisage  «un ciel tellement encombré qu’il occulte le soleil».
    C’est à partir du chapitre 44 et jusqu’à la fin du roman que tout se complique. Un matin notre " sporstman " surpris est réveillé par un Japonais très très poli, le commandant  Fidé-Yosi-Ten-Woo. Il lui annonce que l’invasion jaune tant redoutée par les Occidentaux s’est faite durant la nuit, que les aéroplanes du Pays Levant se sont abattus sur l’Europe comme un vol de sauterelles. Tout résistance ayant été annihilée, le seul choix laissé aux Blancs est de "se suicider " ou "d’être suicidé " car les Japonais sont si nombreux et ils une telle envie d’espace vital! Malgré l’insistance du commandant notre sporstman ne s’en laisse pas compter. Il applique à l’exécuteur venu le suicider un vigoureux "uppercut" qui le laisse "knock-out". Derechef, il suscite l’admiration du commandant jaune à cause de sa technique de combat. Non seulement on l’épargnera, non seulement il sera chargé d’inculquer le noble art à des guerriers jaunes désireux de s’instruire, non seulement il ceindra la tenue de samouraï,  mais encore, soumis à un  strict programme d’eugénisme, ses gènes devront fertiliser la race conquérante par un mariage imposé.
    " Car selon les dispositions de notre ministre de l’Avenir et du Travail (…) nous devons faire quartier à quelques spécimens exceptionnels de la race blanche lorsqu’ils se seront signalés à notre attention par un témoignage remarquable de vigueur physique et de santé. De même que nous allons emprunter à votre civilisation ce qu’elle a d’utilement applicable à la nôtre, de même entendons-nous réserver quelques étalons occidentaux pour opérer des greffes sur notre arbre généalogique. "
    Le héros se plie aux exigences du vainqueur, surtout que sa future épouse étant sotte comme toutes les Japonaises, ne le dérangera pas puisqu’elle est juste capable de s’occuper de futilités de l’avis même de Fidé-Yosi-Ten-Wou :
    "- Elle a l’air très intelligent, n’est ce pas ? me dit Fidé-Yosi. - Elle est exquise ! dis-je - Eh bien ! que cela ne vous effraie pas -, reprend le commandant qui suit son idée. Elle a l’air très intelligente, mais elle est stupide. "
    Finalement le héros blanc s’accommode assez bien de la dictature jaune, y trouvant même quelques plaisirs lorsqu’il aura admis que toute velléité de conspiration s’avère inutile.
    Une charge appuyée et parfois lourde contre la menace du péril jaune, crainte récurrente au début du XXème siècle. Texte rejoignant cette catégorie si abondamment illustrée par le Commandant Danrit (l’Invasion jaune) ou Jules Lermina (la Bataille de Strasbourg)

  7. Type: livre Thème: guerres futures 2 Auteur: Joseph PINCHON Parution: 1909
    Le monde d’aujourd’hui rend tristes les « fées-jadis ». Les «fées-maintenant », électricité, vapeur,  ont envahi l’univers entier et s’en prennent à Viviane, aux esprits de l’air et de l’eau :
    «Ce fut un beau concert de plaintes, Allez !!!.. Tonitru-le-Tonnerre montra son dos lardé de trous de paratonnerres, Rosa-la-Rose, ses pétales meurtries par le pilon des parfumeurs, Potamos-le-Fleuve sa barbe remplie par les déchets d’égouts, et ainsi de suite pour tous les protégés des fées. Indignée, l’assemblée des fées décida la guerre. Et l’on dépêcha aux hommes Wou-Wou-le vent pour les sommer de renoncer aux fées-maintenant et à leurs algèbre.»
    Mais «les ondes hertziennes» ayant donné l’éveil, il dut battre en retraite non sans avoir pris en otage le fils du président de la République universelle, le jeune Plumm-Pudding.Celui-ci put de justesse donner l’alerte à Kodak-le-Furet et Téléscope-le-Borgne.
    La guerre débute. Les fées-jadis rangent les arbres de la forêt en ordre de bataille, que les allumettes réduisent en cendres. Pour pallier ce sort funeste, Potamos le Fleuve déverse des tonnes d’eau qui noient villes et villages tandis que dans l’océan les génies des eaux se font tailler en pièces par le cuirassé « Vobiscum ». Plumm-Pudding, entraîné au fond de l’océan dans la ville englouti d’Ys, est sommé de se marier avec la vilaine Carabosse, sous l’œil attentif des fées. Mais son père ne l’entend pas de cette oreille. Avec son sous-marin, il éperonne les murs de la ville détruisant les palais à coup de torpilles. Plumm, gardé par Maelström, à bord d’une baleine, est évacué vers le pôle sud, en Atlantide,  en présence de tous les personnages des contes populaires :
    « Et soudain un éblouissement de pierreries et d’arcs en ciel, des coupoles d’aurores boréales, un soleil de minuit enchâssé dans un minaret de cristal… ATLANTIDE !... Tout le monde descend !…»
    «Ma Sœur Anne», qui est montée sur la plus haute tour, voit avec tristesse l’artillerie des fées-maintenant «qui flamboie». Elle aperçoit les licornes en déroute face au chemin-de-fer, les griffons, désarçonnés dans leur vol par l’armée des ballons dirigeables, enfin les quatre volcans qui crachent le feu. Ces éruptions, situées dans l’axe du monde, arrachent l’Atlantide de la terre pour la projeter sur Saturne. La bataille semble perdue. Le père de Plumm s’avance victorieusement sur son cheval mécanique afin de recevoir la clé du royaume des fées de la main de Viviane. Les quatre volcans seront circonscrits et le mammouth, qui a servi de monture à Plumm , découpé par la fée-Vivisection.
    A Paris, à l’annonce de ces nouvelles, la révolte gronde : les becs de gaz mettent la crosse en l’air, la Bastille est renversée et la colonne de Juillet force les grilles du Pudding- Palace. Pour que la paix règne à nouveau dans la nature,  le jeune Plumm-Pudding consent à épouser Carabosse qui se transforme illico en une adorable jeune fille.Pochade surréaliste et fantastique débridée,  à l’usage des enfants sages du début du siècle, «la Guerre des fées» n’en représente pas moins un témoignage de la modernité présente dans les lettres françaises avec «Zone» par exemple,(«A la fin tu es là de ce monde ancien, Bergère, ô Tour Eiffel
    Le troupeau des ponts bêle ce matin») ou dans les tableaux de Delaunay. Tendance qui traduit autant l’ivresse du mécanique, la disparition des mythes antiques, que la toute-puissance de la « fée électricité ».
    Un message présent dans la littérature conjecturale de l’époque, avant les inquiétudes liées à celle de 14-18.

  8. Type: livre Thème: guerres futures 1, péril jaune et guerres de races Auteur: PARA BELLUM Parution: 1908
    Par traîtrise et ruse, utilisant toutes sortes de  camouflages, la guerre n’étant même pas déclarée, les Japonais frappent les Etats-Unis. Leurs flottes d’invasion, supérieurement coordonnées, se dirigent selon trois axes ; d’abord la prise de Manille et des Philippines pour priver l’adversaire de son point d’appui ; ensuite, l’invasion par voie de terre de la côte ouest, à partir de Seattle et San Francisco ; enfin la destruction totale de la flotte américaine de l’amiral Sperry qui tombera dans un piège. Se déguisant en un innocent navire de commerce, le «Kanga-Maru» canonne le «Mindoro», l’envoyant par le fond. D’autre part, la baie minée empêche les Américains d’approcher de Manille.
    Avec l’aide des Anglais, qui leur offrent des bases stratégiques, les Japonais poursuivent leur avance. L‘invasion de l’intérieur du territoire américain a été rendue possible par l’activation d’une cinquième colonne, représentée par tous les immigrants jaunes (Japonais, Chinois, Coréens, etc.) qui, sous le dehors d’innocents travailleurs, ont préparé avec application l’attaque. Tous ces Jaunes confondus en une seule race de «Mongols» travaillent dans le même élan à la destruction de la puissance occidentale :
    « Le mardi 9 mai, il y avait sur le territoire américain cent soixante-dix mille hommes de troupes japonaises. Au nord, la ligne des avants-postes ennemis suivait la frontière est des Etats de Washington et d’Orégon. Elle s’avançait vers Idaho au sud, se tenant toujours à quelques milles de la voie ferrée du réseau de l’Orégon qui servait à relier entre elles toutes le garnisons ennemies. A Granger, bifurcation de la ligne à voie étroite de l’Orégon avec l’Union Pacifique, l’occupation japonaise dépassait le dernier bastion est, garni , la semaine suivante, d’une forte artillerie de campagne, et s’avançait plus avant vers le sud, le long de la chaîne Wahsatch-Mound. Les troupes traversèrent le grand plateau du Colorado, s’étendirent sur les hauteurs de l’Arizona et atteignirent enfin les frontières du Mexique par Fort-Bowie. »
    Les centres de communication sont soudainement investis, les nœuds ferroviaires neutralisés, les communications interceptées. Profitant de l’effet de surprise et d’un immense brouillard, les Japonais pénètrent au cœur du pays par la rade de San-Francisco. Polis mais sans pitié, ils déclarent n’arrêter leur avance que si les Américains reconnaissent leurs nouvelles possessions. Ceux-ci, dont les armées sont éparpillées aux quatre coins de l’immense pays, munies d’armes vétustes et de munitions non fiables – essentiellement par manque de moyens financiers dus à la trahison des membres du Congrès-, sont malmenés par la diplomatie anglaise. Malgré tout, les soldats tentent de faire front, héroïquement. Rassemblant une troupe motivée, le général Winstanley, se dirige vers la ville de Corpus Christi (quel symbole!) où devra avoir lieu l’affrontement final, la «bataille des Montagnes Bleues » :
    « Là-bas, l’enfer était déchaîné. Devant Hilgard et entre ses maisons, les régiments se précipitaient à l’assaut. Ils entraient dans la fournaise au milieu des grondements des pièces de campagne qui ébranlaient l’atmosphère. Ils entraient, poussant leurs « hourras » et passant sur les blessés enchevêtrés dans les lacs formés par les fils de fer. Ils entraient par les brèches qu’ouvraient devant eux les projectiles qu’ils lançaient à la main. Que leur importait de laisser tomber, dans les sillons sanglants, les armes qu’ils avaient traînées avec eux ! La batterie de gauche, placée dans les premières maisons, la batterie de droite et les deux redoutes de devant les barricades ne tomberont-elles pas entre leurs mains ? Le flot sombre roulait toujours… Impossible, maintenant, d’aller plus avant. A la hauteur des maisons, un bataillon se fait, en vain, massacrer devant la barricade qui fermait la rue. Dans ce cercle de mort où, de toutes les ouvertures convergeaient les balles de l’ennemi, les assaillants reprirent, un moment, haleine. »
    A New York, c’est l’affolement. La bourse s’effondre, les entreprises chutent, les syndicats se retrouvent dans la rue. Sous la pression des événements, l’anarchie guette le pays. Quant à l’amiral Sperry, dont la presse annonçait (faussement) des manœuvres victorieuses contre les Japonais, sa flotte tombe dans le piège de Magdalena-Bay, près de l’île de Gantanamo. Canonnés par le Sotsuma et le Kashima de l’amiral Togo, deux puissants cuirassés cédés jadis par les Anglais aux Japonais, le Chattanooga, le Connecticut et l’Iowa s’abîment , foudroyés, dans les flots :
    « La bannière étoilée, en lambeaux, flottait au grand mât du Connecticut. Quelques artilleurs, qui s’étaient tenus jusqu’alors à leurs pièces, se traînèrent hors des tours, et se firent un chemin au milieu des escaliers brisés. En tout cinquante-sept hommes. C’était là ce qui restait de la fière escadre. Trois hurras jaillirent de la poitrine désséchée des héros du Connecticut. Trois hurras pour la Patrie ! L’amiral Sperry tira son épée et un hurra retentit encore une fois au-dessus des flots (…) Alors le Connecticut se coucha sur tribord. Les vagues ne purent plus relever la lourde carcasse aux cent blessures béantes. Il s’enfonça doucement. »
    Les navires de Sperry disparus, rien n’arrêtera plus la ruée des Jaunes jusqu’à Corpus Christi où ils tailleront en pièces l’armée des volontaires américains venue à leur rencontre. Malgré l’héroïsme individuel, malgré les sabotages pour réduire la puissance de frappe des envahisseurs, la bataille des Montagnes Bleues fut perdue. Mais elle eut un effet d’électrochoc sur le peuple américain qui élimina définitivement les défaitistes. Egalement sur les Européens, qui sortirent enfin de leur neutralité, craignant à leur tour le péril jaune. L’Angleterre, honteuse, sentant le vent tourner, retirera graduellement son appui aux Japonais. Ceux-ci durent céder devant la pression universelle et regagnèrent leur île.
    Une vision du péril jaune ancrée dans la réalité internationale du début du XXème siècle. Un texte en style épique, parfaitement documenté pour ce qui concerne les activités militaires. Un point de vue multiple, selon les divers protagonistes impliqués dans la gigantesque conflagration, le tout recouvert par le grand fantasme de la «menace jaune. » l’ouvrage écrit sous pseudonyme (l’auteur est allemand) est d’une rareté extrême.

  9. Type: livre Thème: menaces idéologiques, menaces technologiques Auteur: Jacques DES GACHONS Parution: 1908
    Cette nuit de Noël fut spéciale. Lorsque les bourgeois sortirent des restaurants parisiens pour rentrer chez eux, toutes les automobiles  - et leurs chauffeurs - avaient disparu. Arrivés chez eux, ils eurent une autre mauvaise surprise : les gens de maison, de connivence avec les chauffeurs, avaient dérobé tous leurs biens :
    " Ils eurent beau sonner, heurter, appeler : personne ne vint à leur rencontre. Il n’y avait plus de domestiques dans aucune des maisons des soupeurs ahuris. L’électricité, fébrilement " allumée ", éclaira une sorte de carnage. Tous les coffres-forts avaient été forcés, pillés. Dans les armoires, des mains hâtives avaient fait une abondante razzia. Des objets de valeur manquaient dans les salons. L’argenterie avait disparu. "
    C’est ainsi que débuta le mouvement universel de révolte des petites gens contre la classe dominante, appuyé sur l’avancée mécanique : des milliers de voitures qui sortaient de Paris en un grand élan fraternel et d’opposition, pour prendre la route du sud :
    "Vers onze heures, l’exode commença. Des Champs-Elysées, des Ternes et de Montmartre, de Passy et des Buttes-Chaumont, autos de luxe et autos de commerce, vastes limousines, coupés ministériels, voiturettes défraîchies, confortables omnibus, camions, taxi-autos, toutes les sortes de véhicules à pétrole se dirigèrent vers le sud de Paris, comme attirés par un puissant aimant. L’entente était parfaite, grandiose.
    En silence, par les avenues, les boulevards, les rues, roulaient les voitures de Paris. Chargées de butin, elles se rejoignaient, prenant la file, à leur rang, obéissantes et têtues ; elles s’en allaient. Elles fuyaient le froid de Paris, à la poursuite du soleil, de la joie, de la liberté.
    Les sociétés secrètes qui existent entre les domestiques s’étaient depuis quelques années, étrangement développées, resserrées. Les meetings, - à cause de leur  indiscrète publicité,- avaient été supprimés. Une vaste association, toujours en éveil, toujours en séance, pour ainsi dire, avait été crée dont les membres se tenaient comme les anneaux d’une chaîne. (…) Vingt mille chauffeurs avait médité, puis brusquement décidé un grand coup de force qui les faisait tout à la fois, riches et libres. Par la porte d’Orléans et la porte de Montrouge, par la porte d’Italie et celle de Choisy et par quelques autres portes de secours, - car il fallait éviter les attentes, les bousculades, les autos quittaient la ville. Le mot d’ordre était : " réveil et réveillon " - Réveil et réveillon, criaient les chauffeurs. "
    Arrivée dans les grandes plaines de Beauce, il fut procédé à un  ralliement et au partage du butin. Cela ne se fit pas sans mal car la démocratie – surtout pour les voleurs – ne s’improvise pas. Après les premières dissensions et les premières victimes, la cavale sauvage se poursuivit avec, parfois, des accidents mortels. Bien accueillie au départ par les autochtones qui voyaient en cette bande motorisée une nouvelle troupe de Spartakistes, les voleurs qui se querellaient entre eux eurent bientôt mauvaise presse :
    "Alors recommença le terrible concert des cornes et des sirènes. Dans la campagne bêtes et gens tremblaient de peur: cette clameur ne ressemblait à rien de déjà entendu. C’est à croire à l’envahissement de la terre par des êtres extraordinaires dont la respiration eut été un beuglement. (…) Au bout de deux heures, comme un ouragan passe, le bruit brutal s’atténuait, quelques notes encore éclataient, puis c’était le silence, un silence qui laissait les oreilles malades, hallucinées, bourdonnantes."
    Les portes claquèrent et les volets se fermèrent à leur arrivée. A plusieurs reprises, et malgré des arrêts dans le sud du Massif Central consentis pour étudier une forme de gouvernement applicable au mouvement, l’anarchie perdura. De nombreux chauffeurs, pensant qu’il valait mieux être un chien gras qu’un loup maigre, décidèrent de retrouver leurs maîtres parisiens. Les autres, poursuivant leur équipée en direction de la mer, furent peu à peu décimés par les gendarmes et par leur mauvaise conduite (au propre comme au figuré). Lorsque les dernières automobiles basculèrent dans l’eau du haut d’un ravin,  tout fut consommé :
    " Tout à coup, à un virage, sur la corniche à pic, la première voiture perdit pied, s’élança dans le vide et les autres, du même élan, suivirent. Les sirènes chantaient. Les hommes, cramponnés, éclataient de rire : -Nous arrivons, nous arrivons ! Vive la liberté ! A bas les patrons ! Un petit bruit au milieu du bruit de la mer, les cinq dernières voitures n’étaient plus. "
    "La révolte du pétrole " s’appuie sur le fantastique technologique : tout se passe comme si "la mécanique", douée d’une vie propre avait décidé de rouler pour son propre compte. Pourtant, l’état d’anarchie, si joyeusement évoqué par l’auteur, se défait devant l’ordre établi. Un conte débridé et rare.


  10. Type: livre Thème: disette d’éléments Auteur: PAFIOU (aucune référence) Parution: 1908
    Et si la couleur rouge n’était plus visible? Et si la longueur d’onde liée à cette couleur disparaissait ? L’abbé Gamma prévenant ses pairs de cette bizarrerie ne rencontra que des sarcasmes. Pourtant, des conséquences fâcheuses se firent rapidement sentir : plus de bonne viande rouge, plus de couleur rouge dans les tableaux des peintres, une quantité importante d’accidents de chemin de fer, liée au non-respect de la signalisation  d’urgence et, - le plus consternant- la transformation obligée du drapeau tricolore. Le seul avantage  fut que nos soldats en leur uniforme garance étaient désormais invisibles sur le champ de bataille.
    Moqué par les siens inaptes à reconnaître la justesse de sa théorie, Gamma aura raison de façon posthume. Aujourd’hui, l’humanité réside sous terre pour échapper au froid sibérien qui règne à la surface du globe, la couleur rouge ayant seule la propriété de transmettre la chaleur solaire.