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Vous y trouverez des ouvrages post-apo que la communauté souhaite partager. Il vous est possible de rajouter des fiches de livres, alors partagez vos trouvailles avec la communauté FoGen ! Une grande partie des ouvrages que vous trouverez sont ici grâce au travail de Jacques Haesslé sur son site : http://destination-armageddon.fr/index.html. Un grand merci à lui pour son travail exceptionnel !
Livres
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Ils sont quatre. Quatre copains qui survivent à la fin du monde. Par suite d’un conflit généralisé, tout le monde est mort, ou presque:
" L’odeur de cadavre était pourtant particulièrement commune à ce moment-là, omniprésente et parfois presque tangible. Les restes des villes puaient la mort, les routes défoncées étaient pavées de charognes, l’air était saturé du riche parfum de la chair en décomposition. Ca va bien mieux à présent que les vers, les chiens et les oiseaux ont fait leur petit travail de nettoyage, et on tombe plus souvent désormais sur une momie desséchée ou sur un squelette bien récuré que sur la spongieuse fermentation d’un cadavre relativement récent. "
Les rares survivants s’organisent, subsistant seuls ou en petits groupe, par la violence. Balki, Niko, Markus et Nic sont de ceux-là. S’entendant bien entre eux, n’ayant rien à reconstruire ni à prouver, ils avouent aimer cet état de liberté absolue où tout est disponible, où le temps se structure en fonction des fantasmes individuels. Ils voyagent en moto pour le plaisir et se débrouillent parfaitement en ce nouveau monde hostile. Apparaît Léo, une de leur ancienne amie, qui a survécu, elle aussi. Léo la mystérieuse a changé. Très vite, elle domine le groupe, le cimente en se donnant à chacun:
" Peu à peu, ce partage équitable est devenu naturel. Léo y était pour beaucoup: c’est elle, et elle seule, qui veillait à préserver nos ego. De nous-mêmes - je parle de la section mâle de l’équipe - nous aurions plutôt eu tendance à l’exhibitionnisme primaire, mais Léo a imposé rapidement, et avec des moyens très discutables, du point de vue de l’éthique, un mode de vie en alternance.
Il y avait deux Léo: celle qu’on pouvait caresser, et celle qui mordait. Je l’ai vue un jour se battre jusqu’au sang avec Niko - il était plus lourd qu’elle, mais elle était plus méchante - pour une allusion plutôt amusante à leurs ébats récents. "
Ses compétences vont au-delà de la sexualité puisqu’elle s’affirme véritable chef de guerre lors de l’épisode des "cannibales ". Tombés dans un guet-apens tendu par un groupe d’individus qui se font un plaisir d’améliorer leur ordinaire grâce à la viande humaine:
" Je n’entendais pas un mot de ce qu’il lui disait, mais je l’ai vu détacher les mains de Balki, pendant qu’un autre le maintenait. Tout en parlant, sans quitter Balki des yeux, il l’a forcé à tendre un bras vers lui, et a commencé à lui caresser la main, dépliant ses doigts un à un. Il a terminé sa phrase, s’est penché en avant, et a porté la main à sa bouche. J’ai cru qu’il l’embrassait. Le hurlement de Balki m’a frappé comme un coup; j’ai vu le cannibale retirer de sa bouche le doigt arraché, le contempler en riant, et en ronger la chair. Un filet de sang coulait sur son menton. "
Seuls Nic et Léo parviennent à leur échapper. Devant cet énorme danger, Léo organise une contre-attaque précise, meurtrière, techniquement sans défaut. Les cannibales seront systématiquement tués, leurs motos incendiées, et les amis libérés. Cette action d’éclat leur fait découvrir une autre Léo qui leur était inconnue jusque là: impitoyable et meurtrière. Tous les quatre désirent connaître la manière dont Léo est arrivé à posséder cette maîtrise dans l’art de se battre.
Après quelques atermoiements - car elle sait que jamais plus leurs relations ne seront pareilles à la suite de sa confession - Léo leur explique comment elle a réussi à survivre dans le groupe des " Chasseurs ", individus qui ont élevé la mise à mort au rang d’une esthétique en rejouant pour leur compte les " chasses du Comte Zaroff ". Elle avait survécu à la Chasse et de victime était passé au statut de " Chasseur émérite ":
" En dehors de ses quelques membres d’origine, la meute était constituée de ses meilleures prises; elle s’était peu à peu développée jusqu’à rassembler une trentaine de membres, jamais beaucoup plus, jamais beaucoup moins: une bonne chasse engendrait parfois la défection de quelques-uns des chasseurs pour cause de mort violente, mais la meute se reconstituait en intégrant l’élite de ses proies; il était rare en effet que cette proposition se voie opposer un refus.
Bien entendu, la seule alternative à l’intégration était la mort, mais jamais personne n’avait tenté de quitter, par la suite, son nouveau clan. La traque accédait à la grandeur sanglante d’un rite initiatique: celui qui passait l’épreuve non seulement y prenait l’envie dévorante de la faire passer à son tour, de devenir chasseur après avoir été chassé, mais découvrait que ce rite de passage lui accordait ce droit, et ce plaisir, en toute justice. "
Toujours liée aux autres par la passion du sang, elle participe à de nombreuses mises à mort avec un brio inégalable... jusqu’à ce que le groupe rencontre le " Solitaire ", un psychopathe qui se pique au jeu et décide de les éradiquer tous, les uns après les autres. Seule Léo, mue par un réflexe de survie, parviendra à trancher la gorge du " Solitaire ", trop sûr de sa victoire finale. Quelque mois plus tard, elle rencontrait le groupe de ses anciens amis...
Gênés par ces révélations, les quatre garçons ont du mal à comprendre le fond de perversité qui réside en Léo. Elle, pour leur éviter des angoisses inutiles, disparaît de leur vie. C’est l’effondrement psychologique du groupe qui passe un temps infini à la rechercher. Ils y arriveront, au bout d’un long voyage en bord de mer.
Ils retrouvent une Léo, nouvelle figure charismatique d’un nouveau clan. Ils réussissent même à s’intégrer à ce nouveau groupe mais jamais plus ils ne retrouveront la complicité qui les unissait à elle. Quant à l’avenir de l’espèce humaine, il n’y en aura pas puisque - sans raisons apparente - toutes les filles s’avèrent stériles:
" Alors qu’il est bien entendu avec moi-même que je m’en fous, je ressens l’envie stupide, l’envie sans cause, sans rime et sans raison, d’écrire nos noms, juste pour moi, juste pour dire que j’aurais au moins fait ça. Nous étions le produit de millénaires d’antiques exodes, le fruit des hasards d’une histoire morte. Nous étions tous nés au même endroit, au bord de la même mer, et dans nos noms pourtant se rassemblaient des peuples. Ils finiront avec nous. Car nous cinq, nous, Nicolas Solovki, Pascal Balcchi, Marc Hauser, Eléonore Cohen et moi, Jean-Christophe de Kerveden, dernier de ma race, nous mourrons un jour, et il n’y aura pas de suite à notre histoire. "
Un récit à la première personne (C’est Nic le narrateur) relatant une " tranche de vie " de l’après-guerre totale. L’analyse psychologique fine des personnages compte bien plus que les explications sociologiques et que le décor. La brièveté de la durée (l’action se passe en quelques mois), l’intensité des sentiments de " l’Homo Gestalt " que représente le groupe avec comme clef de voûte la fascinante Léo permet au lecteur de négliger les stéréotypes du genre. La charge explosive des images et des situations est constamment désamorcée par un style distancié et plein d’humour qui rend ce bref roman non seulement agréable à lire mais donne aussi du souffle à un genre aujourd’hui sans surprise
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La Fin Du Monde (Mouton) - Par BenF
Eugène Mouton, dans une nouvelle qui tient beaucoup de la dissertation, explique comment, d’après lui, se produira la fin du monde. La surproduction, la surconsommation, la surindustrialisation, le développement urbain, l’exploitation forcenée de la houille fossile et la déforestation produisent par accumulations successives, fermentation, distillation et un excès de chaleur qui seront à l’origine de la combustion spontanée de la Terre.
D’abord les océans déborderont, qui noieront l’Europe, l’Afrique et l’Amérique avec leurs humanités. Puis, l’élevage intensif du bétail sur les terres restantes sera à l’origine d’une couche de détritus organique grandissante qui fermentera de plus en plus. La température ambiante ne cessera d’augmenter. L’eau disparaîtra, les océans s’assécheront. Les derniers ressortissants de l’espèce humaine, en une danse macabre, tomberont en morceaux : la terre sera morte.
Quelques pages de pure ironie, un condensé conjectural qui ne manque ni de charme ni de…chaleur ! Amusant pronostic, avec, de-ci de-là, des intuitions géniales quant à l’avenir de notre pauvre planète.
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L'agonie D'albion - Par BenF
« Comment finit Albion ? Mais un jour Alphonse Allais qui folâtrait en Normandie, y lança une ficelle, attachée à la balle de sa carabine. La balle tomba dans le comté d’York. Alors Allais tira. Il annexa l’Angleterre à la Normandie. Heureux, il donna un morceau à la Belgique, pour y installer les journaux boerophiles. Il céda aussi une partie à la Hollande, à cause de la belle conduite de la petite reine. Mais les Hollandais pissèrent sur le fragment d’Albion pour lui faire reprendre le large. »
Eugène Demolder se livre à une charge féroce contre l’Angleterre sous la forme d’un brûlot ayant les apparences d’Alice au pays des merveilles. Le docteur Haringus, hollandais de souche, explique en deux temps trois mouvements pourquoi l’Angleterre est détestable et l'ennemie du genre humain. Selon un rêve fait par le docteur Haringus lui-même, rêve qu’il note et complète dans un manuscrit de sa propre main, les Anglais seront foulés au pied. D’abord physiquement, car leur apparence est immonde et effroyable, celle des hommes comme celle des femmes :
« Les Anglais ont inventé l’habit rigide, étroit, affirme-t-il, ils ont mis à la mode le vêtement protestant. Dans ces étuis, ils ont la dignité insolente, la réserve vaniteuse, la morgue imbécile. Et dire que jusqu’en France on a imité ces façons de parapluie serrés dans leurs fourreaux et ces manières qui vous engoncent dans les faux-cols comme en des viroles ! C’est ridicule ! Mais ces bougres ont mis une baguette en fer au cul des gens, et comme ils ont des dents carrées qu’ils n’osent montrer, ils ont banni le sourire ! »
(…)
« Voici ce que Taine, homme juste et modéré a écrit (j’ai appris ces phrases par cœur !) : Beaucoup sont de simples «babies », poupées de cire neuve, avec des yeux de verre, et qui semblent parfaitement vides de toute idée. D’autres figures ont rougi et tournent au bifteck cru ; il y a un fond de bêtise ou de brutalité dans ces chairs inertes, trop blanches ou trop rouges. Quelques-unes vont à l’extrême de la laideur et du grotesque, pattes de hérons, cous de cigognes et toujours la grande devanture de dents blanches, la mâchoire saillante du carnivore. »
Leur caractère bas, fuyant, lâche, cauteleux, exacerbe la haine des autres peuples contre eux :
«Devant le Grand-Hôtel surgit un incident. Un grand négociant de Bordeaux se trouvait au balcon. Il reconnut la Cour de Londres et se rappela que lors du voyage du président Krüger un Anglais avait jeté des sous à la foule. Assoiffé de vengeance, il fouilla dans sa poche, prit une poignée de pièces blanches, les lança aux landaus. Aussitôt les ministres et les généraux se précipitèrent sur l’aumône qu’on leur octroyait. Le négociant les vit ramasser jusqu’au dernier sou dans la boue de la chaussée. Cette besogne faite, ils levèrent la tête pour voir si la pluie bénie n’allait pas retomber : le Bordelais fermait la fenêtre ».
Le ressort fondamental du pamphlet est concentré dans la lutte de conquête que poursuit l’Angleterre au Transvaal, contre les Boers. Dans son rêve, Haringus imagine les Boers vainqueurs, étrillant les Britanniques et, plus loin, toujours sous l’apparence du symbole, la « visite » d’une soixantaine de Boers en Angleterre, accueillis par John Bull lui-même :
« Quand les soixante Boers débarquèrent en Angleterre, John Bull vint les recevoir. Il était, comme d’habitude, vêtu d’une redingote qui serrait son gros ventre de buveur d’ale ; son nez rouge, éclairé par le gin comme une lanterne de «vélo» par l’acétylène, illuminait sa face carrée. Ses lèvres étaient lippues, ses dents féroces, des dents de requin, son nez écrasé ainsi que par le poing d’un boxeur. Il portait un fusil en bandoulière, des bottes de gentleman farmer, et un peu de sang sur sa culotte en peau de daim. »
Ils y font la connaissance du marasme culturel des insulaires, de l‘attitude inqualifiable adoptée par les politiciens même envers leurs propres concitoyens, enfin leur effroyable mauvais goût, surtout dans le cadre de « l’art culinaire » :
«Des rôtis ! des bouillis ! Des légumes sans assaisonnements, comme pour les perroquets ! Sur tout ça ils vident des bouteilles d’épices, qu’on dirait préparées par les Borgia ; elles contiennent des emporte-gueule et l’on ne serait pas étonné de lire sur ces fioles : « Pour usage externe ! » Pouah ! Leurs gâteaux sont durs comme des vieux châteaux-forts ! Le pudding est à la graisse de boeuf ! Les vieilles filles l’inondent de rhum ! ».
La médiocrité des généraux anglais, leur impuissance à combattre, à élaborer des plans de campagne et à vaincre les braves Transvaaliens, est en harmonie avec les maladies qu’ils traînent derrière eux. Comme des animaux vaniteux, ils s’élèvent les uns contre les autres :
«Mais le Dindon s’empourprait de rage : son fanon s’allongeait blanchâtre et rouge sur son bec : les plumes de sa roue comme un ressort se levèrent sur son siège :
-Quand vous étiez à Prétoria, lança-t-il au Renard, vos patrouilles dépouillées par les Boers, revenaient chaque jour à leur camp, nues et sans feuille de vigne !
-Est-ce ma faute ! s’écria la renard dont la queue rousse de dressait de colère derrière son dos. Vous avez abruti ces hommes avant mon arrivée. Vous ne savez, Monsieur, distinguer l’arbre de la locomotive et avez fait décimer vos troupes par vos propres canons !
La Hyène se tenait les côtes de rire. »
Leur rapacité sans pareille est au niveau de leur dignité :
« Plus loin se profila un être bizarre, long, maigre, raide, vêtu d’une robe qui paraissait d’un autre régime et coiffé d’une perruque rousse. On n’eût pu dire son sexe ; d’ailleurs aucun Boer n’eut envie de lever les jupes qui étaient pleines de boue, comme si l’apparition avait été trempée dans une mare aux canards.
-Quel est cet animal ? demanda le field-cornet.
John Bull se redressa fièrement :
-Cet animal ?, dit-il
-Oui, affirma le Boer
-C’est la dignité anglaise, dit Bull.
Les Boers pouffèrent de rire. L’un d’eux allongea sa botte au derrière crotté par les canards. »
Même alliés aux pires des maux que peut drainer une situation malsaine, ils ne résistent pas longtemps devant l’audacieuse volonté de reconquête des Boers, succombant à la haine universelle qu’ils ont éveillée en Europe à leur encontre :
« Les affreuses gothons surtout leur causaient beaucoup de mal : ils avaient grande peine à se défendre contre leurs étreintes pourries et les baisers purulents qu’elles cherchaient à poser sur les lèvres de Transvaaliens. Ils apprirent depuis que ces embrassantes adversaires étaient, costumés en soubrettes, le typhus du Cap, la peste des indes, le choléra du Caire : les alliés secrets des Anglais, arrivés à l’appel de John Bull. »
« L’Agonie d’Albion » est d’une complexité double. De par son style soutenu, ses coq-à-l’âne constants, ses références culturelles (aujourd’hui ignorées ou connues des seuls spécialistes de l’histoire), il désoriente le lecteur moderne. La haine viscérale exhalée contre les Britanniques dont il compare les exactions envers les Boers à celles des Espagnols à l’égard des Hollandais au XVIème siècle, est étrangement maquillée par les symboles. Haringus (celui qui mange des harengs ?), John Bull (figure emblématique de l’Angleterre), l’appel à des entités animales (la hyène, le renard, etc.) ou diaboliques, pour incarner l’âme anglaise, tout cela explique – indépendamment d’un petit tirage – que cet opuscule soit tombé dans l’oubli. Pourtant, rien d’aussi féroce en si peu de pages n’avait été publié sur ce même thème, et même les quatre mille feuilles de vitupérations du capitaine Danrit paraissent bien légères en comparaison.
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Combat Fatal - Par BenF
L’expansionnisme chinois a, en ce début du troisième millénaire, gagné les pays d’Asie, puis d’Europe. Le monde entier (encore libre) assiste, stupéfait à la propagation de la vague jaune. Le récit débute au moment où les Etats-Unis sont menacés au nord par le Canada, au Sud par la Floride et la Californie. Le président Bill Baker refuse l’utilisation de l’arme nucléaire, sachant qu’une destruction globale du monde en résulterait. Il prévoit une guerre conventionnelle avec une ligne de front comme en 1914 mais avec des armes issues de la plus haute technologie.
Les intrigues se recoupent régulièrement ; celle de Stéphanie Baker (Stephie), la propre fille du président qui envisage comme seul avenir professionnel de servir au front. Elle se bat sur le terrain avec un groupe de jeunes militaires bien typés, surveillée par John Burns sur l’ordre même de Baker, et qui, survivant à tous les engagements, décrit dans le détail les faits de guerre :
« Des missiles américains fendirent l’air aux abords de la maison. Boum ! boum ! boum ! La moitié des véhicules chinois furent touchés. L’autre moitié se hérissa de lance-roquettes- Aux abris ! cria John de toute la force dont il était capable. Il se coucha sur Stephie. Des projectiles heurtèrent les briques à l’extérieur de la maison. Le sol frémit. Le salon et la salle à manger volèrent en éclats. Une nuée ardente embrasa l’air puis s’éteignit aussitôt, suivie d’un concert de cris effroyables. Stephie ne pouvait plus respirer. Elle était morte. Ou vivante. Elle ne savait plus. Elle repoussa John Burns, qui l’écrasait. Il ne paraissait pas blessé, mais hébété. A côté d’eux, gisaient Peter Scott et le sergent Collins, en plusieurs morceaux. »;
celle de son père et de ses états d’âme, de sa liaison avec Clarissa Heffner, sinologue distinguée et accessoirement sa maîtresse, placée à son corps défendant au centre d’un complot militaire - téléguidé par les Chinois- visant le coup d’état par l’élimination physique de Baker et le recours au nucléaire ; celle de Han Széning, l’un des membres de la «Famille » (la Nomenklatura chinoise qui fonctionne sur le modèle de la mafia) dont le Premier ministre et le ministre de la défense sont les rouages moteurs de l’expansionnisme. Le moindre froncement d’un sourcil de leur part est commenté, disséqué, analysé et décodé par les médias pour mettre en évidence les fluctuations du pouvoir parallèlement aux diverses phases de l’invasion.
Han Szening, à moitié américain et ancien condisciple de Baker, lié à lui par un lien de parenté, a beaucoup de difficulté à manipuler son propre fils Wu Hang, cousin de fait de Stephie, la sœur de l’épouse de Baker ayant fauté avec le père de la jeune fille en d’autres temps. Wu Han brûle de s’engager sur le terrain comme sa cousine mais il est contrôlé par le pouvoir central de la Famille qui espère lui faire jouer un rôle de premier plan après la guerre, au détriment de son père Han ;
enfin celle du franc-tireur Hart, capitaine américain des forces spéciales, resté bloqué sciemment à l’arrière des lignes ennemies pour infliger à l’ennemi le maximum de pertes possibles par des actes de sabotage.
L’assaut chinois est irrépressible et la ligne de front recule, puis est enfoncée jusqu’à Washington. Bill Baker mise tout sur la construction de deux navires-ateliers gigantesques, capables de lancer des milliers de missiles à la minute ce qui devrait assurer in fine la victoire à l’Amérique. Ils sont encore en construction dans le port de Philadelphie. Pour donner le change aux Chinois, Baker feint de ramener toutes les forces combattantes autour du Capitole pour leur faire croire que là aura lieu la bataille décisive. Han, quoique habile négociateur, nommé administrateur civil, ne réussira pas à tromper Baker et surtout son rival politique, le vieux général Sheng, commandant les forces d’invasion en Amérique cruel selon la tradition :
«Le commandant du camp formait des pelotons pour procéder à l’abattage des prisonniers. Pour un non-initié, le processus pouvait paraître simple. Mais Han savait d’expérience que pour mener l’opération à bien sans encombre ni surprise, il fallait veiller aux moindres détails. La méthode généralement appliquée dans l’armée consistait à gracier l’homme le plus méritant dans chaque tranchée d’exécution. Ainsi, l’ensemble se laissait conduire au supplice dans l’espoir d’être celui à qui l’on accorderait la vie sauve.La vilaine astuce, c’est que le pardon était faux. Les hommes ainsi sauvés n’obtenaient d’autre récompense que de faire partie de la dernière tranche exécutée. »
La bataille de Washington eut finalement lieu, terriblement éprouvante pour Stephie qui sera faite prisonnière et identifiée. Sheng envisage de l’échanger contre son père, à une date donnée, sur un pont à moitié démoli.
Ce moment, périlleux entre tous, rassemble Baker et sa fille, Wu et Sheng. Hart sera téléguidé par les putschistes (sans qu’il le sache) pour abattre le président sous prétexte qu’il ne doit pas tomber vivant entre les mains des Jaunes. Le coup de théâtre viendra de Wu qui abattra le général Sheng, avec l’assentiment de la Famille qui estime que la guerre a assez duré, qu ‘elle a fait trop de morts du côté chinois. Il protégera Baker et sa fille pendant que, Hart avec l’intuition qui le caractérise, n’exécutera pas la mission qu’on lui a confiée,ce qui permettra plus tard au président de démasquer les putschistes. Le seul vrai perdant dans l’histoire est le père de Wu, Han, dont l’action a été désavouée par la Famille. Comme lot de consolation il se contentera des bras de Shen Shen, la jeune maîtresse de Wu, espionne à la solde de Han. Enfin, comme un bonheur n’arrive jamais seul, les navires-ateliers finalement opérationnels sont prêts à débarrasser le sol américain des envahisseurs.
Dernier épigone en date du thème du « péril jaune » sous la forme d’une guerre future détaillée, réaliste et vraisemblable. Elle s’articule autour d’une analyse des motivations de chaque personnage, avec ses faiblesses et ses failles ce qui renforce l’effet de réel, à laquelle s’ajoute la description minutieuse des opérations militaires. Un roman agréable à lire même si, parfois, le trait est forcé...
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La Cite Rebâtie - Par BenF
Clément Robert, l’explorateur célèbre, réunit sur sa terrasse montmartroise une brochette d’invités divers, parmi lesquels le peintre Georges Renaud, le commercial Paul Tisseur, son excellence Tsé-Thou, le fermier Mathieu Dughoy ainsi que des femmes et d’autres amis, pour fêter dignement son départ en Asie. L’ambiance est enjouée, les cocktails actifs et Clément montre à ses hôtes les objets qu’il prendra avec lui pour ce voyage aux confins des zones habitées.
Sur une immense barque pratiquement déjà montée sur la terrasse, sont disposés des monceaux de victuailles, des vêtements, des semences, et même un moteur dernier cri. Bien lui en a pris de se préparer avec une telle minutie, car durant cette même soirée, avec une rapidité inouïe, leur vint l’annonce que la moitié du monde se trouve déjà engloutie par les eaux et que le déluge se rapproche des côtes européennes.
En toute hâte ils se préparent au pire, certaines autres personnes ayant pu les rejoindre sur la terrasse. Grâce au sang-froid de Clément, leader naturel, vingt-neuf personnes prendront place dans la barque lorsque la terrasse, s’effondrant sous les eaux, la lancera au-dessus des toits de Paris noyé:
"Un fracas effroyable ébranlait le ciel. La foudre, au loin, tombait sur la tour de fer, sans relâche , éclairant le désastre d’une lueur continue dont l’intensité variait. Sous ces reflets livides et farouches s’étendait l’immensité des eaux dont les vagues avaient des reflets d’épée tirées au clair de lune. Les toits du Louvre ne se voyaient plus, ni Saint-Germain, ni la Madeleine, ni l’Opéra, ni l’Institut. A droite on distinguait encore la basilique blanche de Montmartre et les cônes de ses toitures byzantines. Un drame effroyable devait se passer là-haut, parmi la multitude refoulée. Devant eux les passagers voyaient briller les ors des Invalides, dont la lanterne, la flèche et la croix se montraient encore. A gauche le Panthéon dressait au-dessus des flots son dôme noir. Et c’était tout, on n’apercevait plus, ça et là, que quelques points obscurs, épaves ou sommets de monuments. "
Ils manquent de peu les gargouilles de Notre-Dame, les piliers de fer de la tour Eiffel, pour finalement dériver vers le Sud. En branchant le moteur auxiliaire, leur vitesse augmente et ils passent quelques journées éprouvantes sur la mer qui a recouvert la région lyonnaise, le Languedoc, se confondant avec les eaux de la Méditerranée.
Leur réserve d’eau épuisée, ils atterrissent sur une côte rocheuse. L’Arabe qui les accueille leur fait comprendre qu’ils ont mis les pieds en Algérie. Celui-ci, dernier rescapé de ce côté-ci de la Méditerranée, avec ses deux filles, s’agrégera au groupe. La terre qu’ils viennent d’atteindre est devenue une île mais des cultures subsistent encore, ainsi que quelques fermes susceptibles d’enrichir le clan. Sous l’énergique commandement de Robert Clément devenu leur chef de fait (et plus tard leur Président à vie), ils entreprennent de recoloniser ces quelques maisons abandonnées, embryon " de la cité rebâtie " .
La micro-société s’organise selon le principe de la duplication: on refait du neuf sur le modèle de l’ancien, en reconstituant avec les moyens du bord ce qui existait jadis pour le bien de tous. Grâce aux compétences et à la polyvalence de Clément Robert (il s’y connaît en repérage de minerai de fer, en domestication d’animaux, en semis et cultures végétales, en architecture, etc.), la petite société se cimente dans la bonne humeur.
Un prédateur terrible, un lion, ravage les parages en raflant au passage les quelques moutons élevés par les humains. Une chasse est organisée et le fauve impitoyablement éliminé. Au demeurant, avec de la patience, Tisseur apprivoise l’unique éléphant qui hantait ces lieux. Baptisé "Béhémot ", Il deviendra une source d’énergie énorme, un compagnon charmant et un véhicule apprécié.
L’harmonie utopique qui préside à cette résurrection permet l’émergence des plus tendres sentiments: des couples se forment, l’on se marie, des enfants naissent. Sous la douce autorité paternaliste de Robert Clément, les fondations matérielles étant assurées, il reste encore du temps de disponible pour la culture et le savoir. Celui-ci est désormais consigné sur du papier (apprêté pour l’occasion), à travers l’imprimerie mise au point par Tsé-Thou, pour servir de dépôt sacré aux générations futures.
Le cataclysme universel a vraiment dû transformer ces derniers êtres humains puisqu’à aucun moment ils ne s’inquiètent de savoir s’il existe ailleurs d’autres survivants ou de partir à leur recherche. Se sentant bien dans leur île, ils édifient une société selon la morale (celle, bourgeoise de Clément Robert) et en fonction du progrès technologique qui est considéré comme le bien suprême. Cela leur est d’autant plus facile que les vices qui défiguraient habituellement l’homme ancien, leurs sont inconnus: pas de mensonges, de vols, de meurtres, de sexualité débridée, de viols, de jalousie... Parfois..., peut-être..., le fait de boire un petit coup de trop...mais le Président y met bon ordre !
Tout se passerait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles s’il n’y avait le Négateur, dont le nom est déjà tout un programme.
Embarqué avec les compagnons de la première heure, ancien ami de Clément Robert, cet être taciturne s’est transformé en contestataire, prenant systématiquement le contre-pied des arguments développés par le Président. Il ne croit pas à la nécessité de travailler, ce qui est pour lui un esclavage, ni à celle de progresser, ce qui est une aliénation. Anarchiste de service, il développe une thèse selon laquelle le progrès technologique tue la liberté individuelle:
" Voici l’endroit et l’envers de la chose. On construisait des routes, mais on payait des impôts fabuleux. En un siècle et demi, depuis Louis XV, on avait réalisé beaucoup de soi-disant progrès. Mais croyez-vous que l’on aurait pu retrouver un tact aussi parfait de bonne société que celui répandu à cette époque dans les salons? Où est l’amélioration? Et, d’un autre côté, pensez-vous qu’un homme primitif, partageant ses soins entre sa cabane et ses engins peu compliqués n’ait pas été plus heureux que l’habitant des grandes villes du globe, astreint à mille règles, obligé à de multiples usages, à se vêtir suivant la mode, à se présenter à l’heure au bureau ou devant le contrôle de l’usine? Vous imaginez sans peine une foule de raisons que je ne dis pas. En résumé, devons-nous chercher à nous replonger dans le funeste fatras des complications ou devons-nous plutôt simplifier notre vie en prenant pour modèle les peuples les plus simples que nous ayons connus?"
A Clément Robert qui tente de le convaincre (avec douceur!) de la fausseté de ses opinions en lui précisant que l’individu s’exalte à se mettre au service du bien social, il répond:
" La belle avance que vous ayez fait pousser du raisin en plein pays du Nord, si l’estomac repu n’en peut manger! Les spectacles, mais ils détraquaient la nervosité, provoquaient l’insomnie! Les livres, mais ils donnaient la migraine! Les usines, mais elles empoisonnaient l’air, tuaient les ouvriers! Le travail, mais il assommait tout le monde et tout le monde, lié par de chaînes imbéciles, le subissait. Puisqu’un ouragan bienfaiteur nous a presque délivré de ces liens, rompons-les tout à fait, reprenons notre liberté. Regagnons l’ignorance qui dore tout, l’état primitif qui laisse en repos. "
Et Clément Robert de rétorquer :
" Encore une fois qu’est-ce que l’état de nature? Est-ce la condition du sauvage? Lequel? Celui qui connaît la culture? Celui qui chasse? Celui qui ne sait pas allumer de feu? A quel degré d’ignorance faut-il revenir selon toi pour être heureux? Si nous nous abandonnions, sur cette pente dangereuse, ne vois-tu pas que nous serions à la merci d’un changement de climat, d’une famine, de n’importe quel événement imprévu? "
Ne pouvant plus supporter la vue d’autres êtres humains avec de telles théories, le Négateur ira vivre seul dans un coin de l’île, en compagnie de son chien, en produisant un minimum d’efforts et en pratiquant la chasse et la pêche.
La démonstration voulue par Solari n’en sera que plus convaincante lorsque le Négateur, devenu un être hirsute, sale, abominable, pratiquement incapable de s’exprimer, vêtu de peaux de bêtes, sera confronté à la beauté évanescente de Claire, une lumineuse jeune fille en robe de soie chatoyante (dernière conquête de la civilisation retrouvée).
Il en tombera éperdument amoureux, allant jusqu’au meurtre pour assouvir sa jalousie, car Claire lui est à jamais inaccessible. Lorsqu’il mettra le feu à l’imprimerie (qui propage les idées mensongères du progrès.), en brûlant du même coup Tsé-Thou, Clément se résigne à se débarrasser du parasite en une dernière chasse à l’homme.
Agonisant dans sa caverne la haine au coeur et la rage au ventre, il offre une image pitoyable aux yeux de son très ancien ami:
" Dans le demi-jour, on distinguait mal. La face du Négateur était embroussaillée de poils. Entre eux, la peau se montrait, brune et poussiéreuse. Les yeux s’ouvraient, petits, peu clairs, jaunies par l’envie. Dessous, les peaux de bêtes rajustées avec des tendons couvraient le corps et formaient un ensemble informe, avec lequel se confondaient les bras velus. "
Ses convictions anarchistes l’ont fait régresser au stade de la bête! De tels faits confirmeront Robert dans l’idée que son approche morale du monde est la seule possible. Le Négateur n’a pu réduire à néant ses efforts, ni inciter les jeunes de la communauté à quitter les lieux en prétextant une nouvelle montée des eaux. L’unique " ennemi " de la Cité étant enfin liquidé, celle-ci poursuit son évolution harmonieuse vers le bien. Les naissances se multiplient à vitesse exponentielle.
Georges Renaud, devenu vieux maintenant à l’instar de Robert, décide d’un voyage vers le Nord avec ses deux petits-enfants et l’aide de Béhémot. Sans que le Président puisse l’en dissuader, il se met en route. Les eaux se sont retirées de partout, les terres traversées sont plus ou moins marécageuses, mais ils continuent leur chemin, toujours plus loin, traversant la chaîne des Alpes pour finalement se retrouver devant Paris:
" -La Bastille! Une seconde place s’ouvrait devant eux. Là, sur le limon déposé, des herbes, des buissons avaient poussé, semés par le vent. Un océan de tiges, à demi jaunies par la maturité, balançaient les épis de graminées sous la brise douce qui soufflait. Au centre de la place, un trou se creusait, la colonne de Juillet avait dû s’effondrer dans le canal ouvert au-dessous d’elle. Les maisons démantelées, rangées en cercle, faisaient comme un décor d’incendie, en découpant le ciel dans les cadres de leurs fenêtres. "
Pris d’une grande frénésie devant ce spectacle Georges Renaud l’immortalisa avec sa plume. En fouillant les ruines, les nouveaux explorateurs trouvèrent encore une encyclopédie, trésor inestimable qu’ils s’empressèrent de rapporter. Mais, vaincu par trop d’émotions, l’ancien mourut devant son Paris tant aimé. Alors, les jeunes, pour qui la vraie patrie était leur terre d’Algérie, s’en retournèrent sans regret.
Ils seront accueillis triomphalement après cinq ans d’absence. La colonie comptait maintenant plus de deux mille personnes qui maintiendront ferme le cap vers un avenir radieux. Robert Clément, encore vivant quoique centenaire, figure mythique du Père Fondateur, sent au fond de lui descendre la grande paix de la victoire définitive.
" La Cité Rebâtie " de Solari est un ouvrage qui fait date dans le courant cataclysmique. Par son traitement stylistique, Il se détache de ses semblables, tels que " le grand cataclysme " de Henri Allorge, ou " les buveurs d’océan " de H. Magog. Il se hisse au niveau du roman de Stewart (le Pont sur l’abîme) dans sa description naturaliste d’une nouvelle société. D’autres aspects comme la description suggestive des ruines de Paris, ou la présence du personnage du Négateur renforcent l’originalité du récit.
Quelques faiblesses subsistent pourtant autant structurelles - personne ne se soucie d’autres survivants éventuels - que formelles, étant donné que l’unique aspiration vers le bien qui pousse les nouveaux bâtisseurs est vraiment par trop peu crédible. Une réédition du roman de Solari serait la bienvenue.
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Le Grand Soir - Par BenF
Dans un texte rempli d’humour s’appuyant sur des illustrations en pleine page, Pataud nous offre sa vision du Grand Soir, au cours duquel la bourgeoisie est éradiquée grâce à la C.G.T. qui préconise la grève générale, tandis qu’à l’Assemblée les députés s’agitent vainement :
« La classe ouvrière vient de réaliser cette grève, alors que certains sociologues, mentors du prolétariat ne la croyaient possible que dans dix mille ans. »
Les premières mesures seront prises dans le calme ; les ouvriers électriciens et les gaziers arrêtent le travail, suivis par les cheminots. Les communications paralysées, c’est au tour des marins de se joindre au mouvement en «débarquant leurs cargaisons de bourgeois. »
A cause des abattoirs en grève, du pain uniquement servi dans les « fournils des coopératives ouvrières » et réservés aux camarades syndiqués, pointe la famine, surtout pour les bourgeois, que les PTT, déjà « aguerri par les luttes précédentes », n’ont pas oublié. La grande vision de l’armée dont :
« Les soldats préfèrent planter là leurs officiers et se joindre aux camarades », complète le tableau avec « des canons qui ne partent pas toujours dans la direction indiquée, (avec) nombre de culasses (qui) en éclatant, blessent les officiers au ventre…»
Les frontières sont abolies, les « peuples faisant cause commune contre l’ennemi commun, le Capital. » La société égalitaire enfin mise debout, elle ne repousse cependant pas:
« Les puissants du monde qui, bien que tardivement, viennent demander leur admission aux syndicats. (…) Une ère de justice, d’amour, de liberté est enfin réalisée. »
Une évocation naïve de l’utopie communiste d’où sont exclus les problèmes économiques, et dont la réalité a démontré qu’elle n’a pas été historiquement à la hauteur de son idéal.
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fascicule 01 : Accordez-moi cette bombe :
Avec beaucoup de finesse et d’ironie, la romancière, prenant le lecteur pour personnage (" vous pensez que… ", " votre famille"), évoque en touches rapides l’ensemble des séquelles terrifiantes que provoquerait l’explosion de bombes thermonucléaires : la mort, l’errance dans les ruines, la présence de décombres :
" Vous êtes terriblement étonné d’avoir survécu. Votre orgueil vous souffle d’abord que vous êtes ELU parmi tous les humains, mais votre manie de l’échec vous réfute aussitôt : survivre quand tout le monde a péri, n’est–ce-pas là le comble de l’infortune ? Pour en avoir le cœur net vous essayez confusément d’engager un dialogue avec Dieu, sur le mode " pourquoi moi, Seigneur ? ". Il ne répond pas. Il ne répondra jamais. Vous resterez seul avec vos doutes et votre peau qui part en lambeaux.
Vous marcherez dans la ville en ruines. Partout des morts, des flammes et des fontaines d’eau bouillante, les carcasses de voitures, un ciel rouge et noir, et des statues qui paraissent plus vivantes que les gens. "
Adroitement, elle relie cet imaginaire à un vécu non moins effrayant, soit celui de la mort réelle dans les camps d’extermination nazis, ou celui de la mort imaginée à travers une psychologie malade. Du grand art.
fascicule 02: l’amour de A à Z
Ou petit traité à l’usage des jeunes filles. Des premiers émois avec ses tendresses et ses ridicules, au répertoire des illusions. Du premier garçon pour lequel l’on se serait damnée, au vieillard qui souffre son agonie et dont l’on s’occupe. Car la fin du monde est aussi la fin de la vie, et vice-versa :
" Le fait est que vous vous êtes raconté pas mal d’histoires sur le monde et sur vous-même. Enfin, plus sur vous-même que sur le monde – question de matière première.
De toutes les catastrophes qui doivent inéluctablement fondre sur l’être humain, la vieillesse vous paraissait – de loin - la plus improbable. La mort en revanche vous terrifiait. Et l’amour. Mais la vieillesse, la désillusion, la façon qu’a la vie de s’accumuler par strates géologiques sur votre petit cœur, vous ne pouviez pas l’imaginer. "
fascicule 03 : Construire son abri anti-atomique
" Quand François proposa à Bettina de construire un abri antiatomique, il était en train de prendre son bain. " Le couple décide d’acheter une maison en Camargue puisque la fin du monde est proche. Bettina travaillera pour payer ladite maison qui sera rénovée par François et ses amis. Ils vivront en communauté et creuseront une piscine.
Ceci servira d’alibi à François pour proposer le creusement d’un abri (l’habitude étant prise de creuser). Alors, ils se fâcheront entre eux. Lorsque le moment fatal arrivera, François et Bettina se réfugieront seuls dans l’abri, car:
" S’ils entrent tous, on n’aura pas assez d’air, pas assez de vivres, pas assez de temps pour attendre que les radiations s’atténuent.(…) Autour de nous, les gens mourront dans d’atroces souffrances, et il faudra s’organiser pour vivre dans ce trou (…) Nous serons les piliers de ce monde tombé en ruines et nous repenserons à ce jour ancien où je te parlais, dans la salle de bains, pendant que tu nattais tes cheveux en regardant la buée se déposer lentement sur le miroir. "
fascicule 04 : Vaincre l’autruisme
Ou la rencontre avec l’autre lorsque le moi est en construction : " Vous étiez détestable puisque vous étiez détestée ".
Même la mort de la personnalité adolescente dans la pétrification du moi adulte n’enlève rien au miroir tendu par l’autre :
" Vous pleurez en la regardant, parce qu’elle est belle, parce qu’elle est douce, parce que tant de bons moments vous unissent depuis toutes ces années même si son mariage vous désespère. Vous pleurez parce qu’elle vous aime et que vous n’aimez pas. Vous pleurez sur vous-même comme tous les autruistes, ricanante et empruntée dans cette robe qui met vos genoux cagneux en valeur et votre poitrine à la torture.
Vous pleurez parce qu’elle est devenue une femme, et que vous n’êtes même pas sûre d’appartenir à la race humaine. Vous pleurez par ce que vous avez une amie, une au moins ; vous l’aimeriez pour l’éternité si seulement l’éternité n’était pas destinée à prendre fin avec vous. "
fascicule 05 : Extraterrestre mon ami
Les extraterrestres ont envahi la terre :
" Ils débarquent un jour sur la terre et veulent faire de nous leurs esclaves. Seulement moi, je ne marche pas. C’est déjà assez pénible de devoir aller pointer à l’ANPE, sans avoir à brusquement supporter les extraterrestres qui veulent réduire le monde à leur merci. "
D’ailleurs, actrice de second ordre, la narratrice se doit de changer la litière du Chat sans l’équipement adéquat qui devrait être fourni:
" le Changement de la Litière du Chat reste un secret militaire et ils refusent de distribuer des masques à gaz en conséquence. "
C’est chez Shopi qu’elle rencontre Enrico, un extraterrestre certainement, avec qui elle se rappelle avoir couchée. " Que deviens-tu ? " Il ne devient rien. Il en veut à la narratrice de s’occuper du Chat de Mathieu Volar, l’individu qui lui a volé sa pièce " Prise de Tête ".
Elle en conclut que nous sommes tous dans la 4 ème dimension et n’avons qu’un seul but dans la vie : acheter de la litière pour chat. La vie est dure sous le joug extraterrestre!
fascicule 06 : Une femme à votre vue
En se réveillant aveugle, il ne se voit plus qu’au miroir, mais se reconnaît en cette fille appelée au hasard au téléphone pour lui faire l’amour… et qui disparaît à sa vue.
Qui est donc qui dans ce jeu du visible invisible ? :" Comment saurais-je que j’existe si je ne plais pas ? "
fascicule 07 : l’homme tel qu’on le parle
Son frère a un gros chagrin d’amour et comme tous les hommes il ne peut pas arrêter de pleurnicher. Il s’en ouvre à sa sœur qui lui fait le compte des amants qu’elle a connus, au nombre de douze comme les disciples du Christ. Aucun d’entre eux n’échappe à la critique féminine. Nostalgie, quand tu nous tiens !
fascicule 08 : Le prolétaire sans peine
" Les prisons sont des pays morts, désolés, comme imprégnés d’une brume radioactive, à l’intérieur les vivants sous-vivent, c’est ce qui les distingue des survivants : ils survivent avant que la mort ne les ait touchés. "
Elle avait épousé un ouvrier, fidèle à son conditionnement familial. C’était aussi un révolutionnaire sans qu’elle n’en sût jamais rien et aujourd’hui, il sort de prison. Alors elle l’attend avec angoisse et espoir, soucieuse d’en finir avec la vie précédente et craintive d’en commencer une nouvelle :
" Il va sortir, votre prolétaire. Vous en ferez un bourgeois parce que comme aux cartes c’est la reine qui gagne sur le valet. La lutte des classes est terminée. Les terroristes se sont perdus. Vous êtes rescapée d’un accident qui n’a jamais eu lieu : la révolution. Le prolétaire sans peine n’a jamais existé. Tant pis, vous prenez celui-ci avec peine. Il porte une valise, il marche sans vaciller. Vous vous dites : Que l’argent reste où il est, que l’amour reste là où il est. Que rien ne change. "
fascicule 09 : J’y pense, donc je jouis
Ou de la difficulté d’une psychanalyse réussie.
fascicule 10 : Stérile et heureuse
Elle a une envie d’enfant et se sent stérile. Trois ans qu’elle essaie en vain. Alors, en route pour les tests, notamment l’hystérosalpingographie au mot si compliqué, à la puissance trouble. Démission dans les mains du Dr Duras :
" On pense à ces gens qui font des années de médecine pour passer le reste de leur vie à explorer l’utérus ou l’anus de patients terrifiés. "
Connaissance intuitive par le corps de sa propre finitude.
fascicule 11 : J’élève mon mutant
Victoria qui se rappelle toutes ses vies antérieures ne sait comment attirer l’attention de ses parents. Ils sont moins évolués qu’elle et, pour le leur faire savoir, elle vomit sur tout. Mais, il n’y a rien à faire. Plus elle grandit plus la mémoire de ses vies antérieures disparaît : à nouveau elle sera condamnée à mort :
" Victoria haussa les épaules. Elle voyait la vanité de toute chose et même celle de son orgueil. Elle pensa qu’elle ne devait pas lutter, la démémorisation n’en serait que plus pénible. Elle devait attendre et s’abandonner à la mutation inéluctable : devenir de plus en plus grande, de plus en plus bête, de plus en plus ordinaire. Mais elle parvint à se convaincre que rien de tout cela n’avait la moindre importance.
Le genre humain n’est pas de ceux qui méritent l’attention d’un enfant. Un jour, elle se rappellerait peut-être ses vies, par hasard, elle les écrirait, les insérerait dans un livre, et personne ne la croirait. Peut-être qu’elle fût une mutante. L’heure du goûter approchait, et elle demanda à sa mère de lui donner un verre de lait. Elle but consciencieusement, jusqu’à la dernière goutte, et quand elle eut fini, il ne lui restait pas le moindre souvenir de sa vie. "
fascicule 12 : Comment devenir anonyme
Etre anonyme est très difficile surtout quand on oscille du communisme au capitalisme :
" Vous n’avez rien d’autre que votre vie et ils veulent vous la prendre. " D’ailleurs : " Ne rien faire vous obligeait à vivre et vivre s’était révélé beaucoup plus fatigant que travailler. Il est terrifiant d’exister par soi-même. "
Cette conscience malheureuse de l’insondable insignifiance de soi vous renvoie un état des lieux où ne subsiste que le seul désir de survivre en dépit du : " désastre (qui) ne cessait de gagner nos vies, comme la sécheresse inexorable dans le désert, la famine, la pollution, des phénomènes presque surnaturels si puissants qu’on pourrait oublier ce qui les a causés : votre obstination à ne rien faire pour empêcher la fin du monde. "
En douze petits livrets Elise Thiébaut offre un panorama complet de l’apocalypse vécue au quotidien. Une approche moderne et réussie du concept de finitude.
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Le Silence De La Cite - Par BenF
Une terre dévastée dont on ne connaît que peu de choses, une vision de ruines éparses et, au milieu d’elles, la Cité. Monde fermé, automatisé où quelques rares vieillards survivent, environnés de prothèses technologiques raffinées. La Cité est remplie d’ « Ommachs » (pour «Hommes -machines »), tellement sophistiqués qu’ils paraissent réels. Ils représentent, sous forme de programmes, les vieillards vivants ou morts. Efficaces et tout-puissants, au-delà des jeux de l’apparence, les Ommachs entretiennent la Cité.
Au-dehors survivent des êtres humains primitifs, en tribus. Les catastrophes passées ont conduit à un déséquilibre génétique grave : il naît environ six fois plus de filles que de garçons. Paul, l’un des derniers Vivants de la Cité, envisage un programme de régénération de la terre, se servant du matériel génétique des femmes primitives dans le but de créer un être humain stable. Elisa, l’héroïne du roman, est cet être. Elevée par Paul (qui se fait appeler « Papa ») et Grand-Père (le scientifique « Desprats »), elle ne prend conscience que tardivement de sa nature.
Petite fille, puis adolescente, enfin jeune femme, elle tombe amoureuse de Paul avant que d’être consciente de sa cruauté et de le désavouer. Elisa est spéciale. Grâce à son pool génétique si particulier, elle révèle des possibilités fantastiques comme celles de changer de sexe ou d’apparence à volonté. Plus tard, elle tuera Paul devenu sénile et, sur l’injonction de Desprats, quittera la Cité dont elle est désormais l’héritière pour aller à la rencontre des tribus.
Sous la forme mâle de Hanse elle tombe amoureuse de Judith qui, des années plus tard, deviendra meneuse d’une révolte de femmes désireuses d’abolir le pouvoir patriarcal. Mais le déséquilibre homme/femme persiste. Elisa, réintégrant la Cité met au point à partir de ses propres cellules sexuelles un nouveau programme génétique. Elle produit plusieurs générations d’enfants, sortes de clones d’elles-même, destinés à essaimer à l’extérieur.
En grandissant, les enfants s’opposent à une mère trop exigeante quoique adorée. Abram notamment, le premier-né, secoue le joug maternel et quitte la Cité sans autorisation. Sous sa forme féminine, il se mêle à la population extérieure.D’autres enfin vont encore plus loin dans les jeux de métamorphose : pour certains, la possibilité leur est donnée d’adopter toutes les formes, y compris celles des animaux, ce qui bouleverse Elisa. Après bien des années, Elisa ressort définitivement de la Cité qu’elle inactive. Elle retrouve Judith vieillie et Abram dressés l’un contre l’autre en une lutte des sexes fratricide à laquelle elle compte mettre fin.
« Le Silence de la Cité » est le premier ouvrage d’Elisabeth Vonarburg dans lequel se retrouvent déjà ses thèmes majeurs: conditions d’existence de la femme, combat féministe, décor post-cataclysmique. Non dénué d’intérêt mais touffu et parfois indigeste, le roman se lit comme un grand monologue intérieur axé autour de la complexe personnalité d’Elisa.
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Relatée par Lisbéï, la chronique de sa vie couvre quatre périodes distinctes en une vaste tranche d’histoire. La première a pour cadre la Garderie de Béthély dans la province de Litale. Lisbéï, toute petite fille est une " mostra" en robe rouge. Sous la surveillance de Tessa et d’Antomé ses gardiennes, elle s’efforce de comprendre la tapisserie du dieu Elli :
«D’ailleurs, comment les humaines faisaient leurs enfantes, avec la seringue, c’était une des premières leçons qu’apprenaient les dotta après avoir reçu leurs tatouages. (…) Mais la Mère ne faisait pas les choses comme les Rouges ordinaires. La Mère faisait ses enfants " avec le Mâle " - celui de la Tour Ouest exclusivement. (…) La Mère " faisait Elli avec le Mâle " ou " Dansait avec le Mâle ". Cela se passait entre autres lors de la Célébration. La Célébration était " l’action de grâce que nous adressons toutes ensemble à Elli, la nuit du solstice d’été».
Elle apprend aussi l’histoire du pays des Mères. 584 années après le réchauffement climatique qui a apporté des bouleversements indescriptibles pour l’humanité sur tous les plans. Les sociétés féminines se sont constituées en Familles et Lignées, non sans convulsions.
Géographiquement, le Sahara s’est transformé en une mer intérieure, séparant l’Afrique des Provinces. Le climat en est encore bouleversé. Les Mauterres où vivent les "Abominations ", deviennent un lieu de bannissement pour les Rebelles ou un lieu de fouille pour les Archéologues - Exploratrices. Le déclin du pouvoir mâle a été progressif et s’est maintenu durant toute la période des Harems :
«Des pages qui se suivaient à peu près, il n’y en avait que trois groupes. D’abord une dizaine de feuillets discontinus mais appartenant sûrement au même chapitre, décrivaient les Grandes Marées du Déclin et traitaient de climatologie.. Huit autres résumaient (en pointillé, à cause des pages manquantes) les grandes lignes de la théorie de l’évolution. Et une trentaine enfin, presque sans interruption, avaient fait partie d’un chapitre sur la génétique. Elles essayaient d’expliquer comment et pourquoi il naissait moins d’hommes que de femmes : il devait normalement en naître autant mais des mutations venaient parfois brouiller le jeu. A une période indéfinie mais précédant sans doute le Déclin proprement dit, elles avaient affecté le chromosome déterminant le sexe : l’équilibre aléatoire entre naissances mâles et femelles avait été rompu. D’Elli et de la punition des mâles pour avoir transgressé l’ordre naturel du monde, il n’était nullement question. "
Jusqu’à ce que le pouvoir des femmes ait aboli l’ancienne société, instaurant la période des Ruches. Grâce à Gagne, la Sainte, les Ruches à leur tour font place aux Captes et aux Familles. Seules, aujourd’hui, les Juddites sont devenues les gardiennes de la Sainte Foi :
«Tula voulait dire " les Juddites de maintenant ". Elles ne seraient pas du tout contentes d’apprendre que les Juddites d’autrefois s’étaient battues contre Garde. Que des Juddites devaient avoir menti sur la tradition, falsifié aussi bien l’histoire que la légende…Le statut des Juddites de maintenant, toutes confites dans leur fidélité stricte à la Parole, inimitables gardiennes des traditions, n’en sortirait certainement pas sans dommage.»
Les hommes, devenus rarissimes, constituent des exceptions dans le tissu social des Familles. Aujourd’hui toutes les Captes ont signé la Charte et quelque soit la Province, l’Escarra, la Breitany ou la Baltika, elles appartiennent toutes à la même Lignée. Lisbéï est la fille de Selva, Capte de Béthély, destinée à succéder à sa mère. Pour cela elle est durement éduquée par Antomé, la gardienne bleue, médecin de surcroît. Lorsqu’un être cher meurt, elle ne comprend pas encore bien le rituel funéraire de la " Dolore ".
Elle s’applique aux leçons de Taïtche qui serviront à son self-control. Elle s’entraîne surtout à développer son empathie envers les êtres et les choses, ce qui lui sera très utile en cette société liée. Et aussi, elle surveille avec angoisse l’arrivée de ses premières règles, signe qu’elle entre dans la catégorie des " dotta " ou préadolescentes avec tous les dangers qui s’y rapportent. Car un fléau impitoyable s’abat sur les jeunes, une sorte d’atteinte virale, appelée « la Maladie ». Soit elles résistent, soit elles meurent. Lisbéï en réchappe mais devient stérile : elle ne pourra être Capte, laquelle doit obligatoirement pouvoir enfanter. Toujours très proche de Tula sa sœur qui sera condamnée à prendre sa place, elle suit avec horreur et sans le comprendre, l’accouplement rituel de Selva avec un mâle lors de la Nuit de la Célébration. Définitivement, elle se tourne vers l’archéologie, science qui la passionne.
La deuxième période va de janvier à novembre 487. Lisbéï a trouvé sa voie professionnelle. En effectuant des fouilles sur le terrain, elle met à jour un réseau souterrain de galeries aboutissant à un cachot contenant des squelettes et un petit carnet. Elle vient de mettre à jour la prison où mourut Halde, la compagne de Sainte Garde. Lisbéï entreprend la traduction du carnet écrit en ancien Frangleï qui la conforte dans son intuition. Cette découverte de première grandeur pourrait déstabiliser l’ensemble de la Société des Mères en jetant une lumière crue sur des réalités que le mythe a fini par occulter : Halde aurait-elle été une mutante, l’une de ces Abominations qui hantent les Mauterres ?
La réaction du cénacle des Juddites, gardiennes de la loi, ne se fait pas attendre. Elles s’opposent à Lisbéï qui demande la réunion des Assemblées, persuadée que lors de cette séance publique présidée par Selva, la vérité ne manquera pas d’éclater. A sa grande surprise, elle se voit désavouée pour des raisons de " realpolitik ". Antomé seule abonde en son sens en réclamant la " Décision ", c’est-à-dire une longue enquête approfondie dans laquelle elle devra s’investir totalement durant trois années complètes. Lisbéï décide de changer de lieu et part pour Wardenberg, la province du nord :
«Elli pleuvait. Pas un beau grand orage, juste une petite pluie fine, insidieuse. Lisbéï se rappelera toujours cet interminable voyage sur la mer plate et grise qui sépare la Brétanye de la Baltike et de Wardenberg. A peine une mer, guère plus de cinquante mètres de profondeur, moins par endroits ; par temps calme, on peut voir les terres englouties, avec leurs ruines. L’angoisse avait monté avec deux jours sans vent, le bateau avançait si lentement dans le halètement de la vapeur, cette immensité vide tout autour, l’horizontalité morne et plombée de l’eau, le couvercle étouffant du ciel à peine plus clair… "
Wardenberg est un choc pour Lisbéï. Tout y tellement différent de Béthély ! Aussi bien l’économie de cette province grise et triste que les relations personnelles qu’elle tisse avec une nouvelle Famille.
Ses amies, Carmelle de Raduze, Fraize, Edwina seront, elles, fascinées par Lisbéï qu’elles reconnaissent pour une grande historienne. Au petit groupe s’ajoute Douglass, un jeune homme secret et mystérieux, sensible et dévoué, être étrange aux yeux des autres jeunes femmes. Durant cette période, racontée à travers les lettres envoyées à Tula, Lisbéï nous fait part de ses réactions, de son désarroi. Elle s’est inscrite à la Schole pour y continuer ses recherches d’historienne. Puis, à la Printane, elle s’engage dans une patrouille de surveillance des frontières des Mauterres. Elle y connaîtra l’expérience de la force physique en se faisant respecter de Gerda une coéquipière qui l’avait prise en grippe.
De retour à Wardenberg, elle a le plaisir d’écouter une conférence de Kélys sur le thème : Halde avait-elle vécu dans les Mauterres ? Arrive la fête de la Célébration. Secouant son dégoût, Lisbéï décide d’y participer :
" C’est à ce moment-là qu’elles les tuaient, les mâles devenus stériles, à ce moment où la chaleur de la drogue explose et roule dans le corps, bute contre la peau, se libère enfin en un cri joyeux, cruel, immémorial. Les cris montent au hasard dans la foule, la drogue ne fait pas effet chez toutes au même instant et lorsqu’ils criaient aussi, les mâles inutiles, dans l’extase de leur Déesse, les prêtresses des Ruches leur tranchaient la gorge. Mais maintenant, tandis que les cris deviennent plus nombreux, plus aigus, ce n’est pas le sang qui répond à l’appel, éclaboussant les fleurs de la plate-forme, mais deux silhouettes nues et luisantes. Lisbéï sent la chaleur se nouer en elle., se replier sur elle-même, se dévorer au lieu de s’épanouir en cri, elle gémit tout bas," Tula ", et elle se mord les lèvres, le goût fade de son sang passe dans sa bouche tandis que Tula et leMâle, loin, loin à Béthély, ondulent l’un vers l’autre dans la première figure de l’Appariade. "
Angoissée par ce rite dont elle ignore tout sauf qu’il est d’ordre sexuel, l’esprit embrumé par la drogue indispensable aux désinhibitions – l’Agavite- elle fait la rencontre impressionnante de Toller, un homme de la maison de Guiséia. Elle apprend de lui que les Familles sont toutes issues d’une même lignée génétique et qu’une expérimentation est en cours, à travers lui-même et Kélys qui doit redonner un nouvel équilibre hommes/femmes à la Société des Mères. C’est là tout le sens de l’Appariade dans le rite de la Célébration.
Suite à cela, Lisbéï est adopté par la Famille des Guiséia où se poursuivent d’autres recherches dans le but d’éradiquer la Maladie qui tue de nombreuses jeunes enfantes impubères. En épluchant les Contes, dits héroïques de l’Ancien Temps, Lisbéï arrive à la conclusion qu’ils traduisent une vérité fondamentale. S’appuyant sur la traduction, Lisbéï est incitée à explorer un nouveau lieu archéologique, le tertre de Belmont qui lui semble prometteur. Le travail de déblaiement sera effectué par des hommes, ce qui représente une autre expérience particulièrement intense.
C’est là que Douglass met fin à ses jours, se sentant incompris, secrètement amoureux de Lisbéï, alors qu’il n’y a aucun espoir que cet amour puisse se réaliser un jour. Durant la Dolore, chacune évoque le défunt dans ce qu’il lui a apporté de meilleur.
L’exploration du tertre se poursuit et révèle un trésor, une quantité énorme d’artefacts. C’est la reconnaissance glorieuse du travail de Lisbéï et de la véracité des Contes.
La quatrième période, la plus courte, réunit l’Assemblée des Mères à Entraygues pour y décider de la destination des artefacts. Après une discussion serrée où chaque Famille prétendait tirer la couverture à soi, l’on a établi que le résultat des fouilles de Belmont irait dans un musée spécial, consacré au culte de Garde.
Avec l’arrivée de Tula, vieillie, mûrie, à présent Capte de Béthély et Mère de la Capterie, Lisbéï comprend ce que leurs relations ont d’irréductible, chacune devant assumer une mission bien précise. La sienne propre sera de retourner dans les Mauterres avec Kélys pour se réapproprier un passé si lointain et si obsédant.
Chroniques du Pays des Mères est une œuvre post-cataclysmique majeure, d’une grande densité et richesse humaines. Eclairant cette nouvelle société strictement féminine qui s’est mise en place après la disparition des hommes, la romancière lui confère une vie intense en la décrivant sous tous ses aspects, cultuels, ethnologique, anthropologique, tribal, etc.
Par cela elle parvient à convaincre le lecteur de la vérité de cette société aussi étrange et lointaine que si elle habitait sur une autre planète. Si différente de la nôtre et pourtant si cohérente, car reposant sur des prémisses scientifiquement étayées, le principe de vraisemblance s’incarnant d’autant plus dans le concret par le choix que fait l’auteur de la technique du roman épistolaire, cher au XVIIIème siècle. Nous sommes en présence d’un chef-d’œuvre du genre en particulier et de la littérature en général.
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L'etreinte De Venus - Par BenF
Une Angleterre du XXIème siècle entre " 1984 " et " Brazil". Les médias y sont tout puissants, les confessions se font devant des écrans de contrôle (Les "Machines-Dieu"), les "janissaires" surveillent la population, la Société Micro Guerre est un trust qui prépare de nouvelles armes, surtout bactériologiques, les prépubs, adolescents extrêmement dangereux hantent les rues le soir venu.
C’est dans un tel contexte que notre héros Gabriel Chrome, désespéré, rencontre une jeune fille, Camilla, qu’il sauve du suicide. Elle lui raconte son aventure. Elle est l’ancienne épouse du Dr Greylaw qui lui a inoculé le virus P.939 ce qui eut pour effet immédiat d’ôter toute agressivité à la personne contaminée tout en l’incitant à faire l’amour sans limite.
Trois phases se suivent dans l’évolution de la maladie: la phase lascive, la phase boulimique et la phase de tranquillité.
Avant d’expérimenter ce virus sur Camilla, Greylaw, qui travaillait à MicroGuerre, l’a aussi inoculé à des animaux témoins. Et l’on a pu voir chez Camilla un tigre tenu en laisse, tremblant devant un petit lapin.
Gabriel ne résiste pas au sex-appeal de Camilla. Tous deux se sentent investis d’une mission supérieure: propager la paix universelle par le sexe. Ils s’y emploient activement, surtout après une séance de viol collectif subi dans le parc de Londres, viol programmé par TELNET, la télévision d’état, afin de faire partager aux spectateurs les frissons de l’aventure:
" Denis Progg, le Monde Tel Qu’il Est". Son visage s’éclaira derrière le cigare dans un vaste sourire de plastique. "Mon petit, vous avez été fabuleuse. Nous avons enregistré treize minutes qui colleront les spectateurs à leurs fauteuils. Vous toucherez chacun un chèque de six mille cinq cents livres, et quand vous aurez signé un papier pour renoncer à toute poursuite pour coups et blessures, nous sablerons le champagne et dégusterons le caviar.(...)
Vous n’avez jamais vu mon émission le Monde Tel Qu’il Est? " (...) Le Monde Tel Qu’il Est est un programme destiné à rendre les gens matures, responsables et conscients des réalités de la vie. Il élargit les dimensions de l’expérience. Vous vous trouvez là quand ça se passe. Vous êtes concerné". Il se tourna vers Camilla. Les étudiants ne vous violaient pas seulement vous, chérie. Ils vont violer X millions de femmes. Il ne peut en sortir que du bon. Les hommes de l’oublieront pas. Ils désireront voir doubler les janissaires pour que les fillettes puissent de nouveau sortir la nuit. Ils feront pression sur le Parlement pour une action psychologique plus efficace." Les violeurs de tout poil sont d’ailleurs aidés par la pilule "Sexin" qui provoque l’irrésistible envie de copuler.
Entre temps, les frères Karamazov, jumeaux et espions notoires, l’un en faveur de l’Ouest, pour COCOMIN (= Compréhension Internationale) l’autre en faveur de l’Est, pour LIKAMARSAME (= Ligue Karl Marx pour la Santé Mentale ) ont eu vent de l’existence de cette arme bactériologique. Ils s’emparent des animaux témoins avant que Periwitt, patron de Greylaw à MicroGuerre, n’ait pu réagir.
Le virus se propage. Peter Karamazov, qui a tué son frère Illitch dans un accident de voiture - et dont il récupère les organes internes pour remplacer les siens abîmés -, ayant lui aussi été infecté, devient Frère Peter, le nouveau Christ de l’UAP (Union de l’Amour Parfait). L’épidémie gagne le monde entier et les messages de paix se multiplient:
" A l’assemblée générale des Nations Unies, le représentant de la République Populaire de Chine prononça un discours important. Devant le monde et au nom de son grand pays il plaida coupable pour avoir aggravé l’explosion démographique du globe, fomenté la révolution dans les pays capitalistes, volé des territoires à l’Union Soviétique, fourni aux pays occidentaux cinquante milliards de boîtes de canard laqué, trente milliards de boîtes de riz frit, et un million de tonnes de paquets de porc aigre-doux congelé, le tout impropre à la consommation. Et au nom du Parti Communiste Chinois, il plaida également coupable pour avoir affamé les habitants prolifiques de sept provinces rebelles chinoises, fermé les yeux sur l’excès de culte de la personnalité dans le cas de Mao Tse Toung I, II, et III, et la propagation incessante de slogans creux déguisés en philosophie politique.
En guise de réparation, son pays proposait de stériliser cent millions de paysans chinois, de ne plus acheter de cigares à Cuba, de permettre à cinquante millions de cuisiniers chinois d’émigrer vers l’Ouest, de donner la Mongolie à la Russie, et le Tibet au Tibet, et d’ordonner à douze millions cinq cent mille membres les plus dévoués du Parti Communiste Chinois de manger leur première édition des Pensées du Président Mao "
Camilla meurt dans une orgie, soumise au "Sexin" et attaquée par une bande de prépubs. Gabriel, à nouveau désespéré, regagne, en un dernier pèlerinage, l’appartement de Camilla, et découvre, glissée à l’arrière du divan, une lettre de Greylaw écrite à son épouse avant sa mort. Il affirme que le P.939 n’est pas innocent, que c’est une arme, et que la totalité de l’agressivité contenue va se libérer en bloc à la fin des trois phases.
Alors, Gabriel se rend compte que le monde est au bord du désastre, que l’ensemble de l’aventure humaine n’est qu’une immense farce. Abasourdi par cette découverte, il ne fait pas attention à l’aéroglisseur de Frère Peter qui le renverse et le tue.
Un récit foisonnant et caustique. De l’humour tout au long des pages, une façon habile de mélanger les personnages, d’entremêler les intrigues jusqu’au dénouement final. Un auteur au sommet de sa forme et qui traite le thème de la fin de l’espèce par la sexualité d’une façon brillante. A comparer avec " la Mort Blanche " de Frank Herbert où la tonalité sombre l’emporte.
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