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Livres

  1. Type: livre Thème: savants fous et maîtres du monde, le dernier homme Auteur: Roger-Henri JACQUART Parution: 1943
    Le Docteur Borislav est un savant fou. Il hait l’humanité, pervertie et perverse. Il souhaite sa destruction totale. Par conséquent, il a inventé le rayon rouge qui rase tout à hauteur du sol. Comme il  adore sa fille Sylvia dont il aimerait faire la nouvelle Eve d’une humanité nouvelle, il lui faut un nouvel Adam. Qu’à cela ne tienne, il lui adjoindra Alex, l’amoureux de Sylvia.
    Et pour que leur destin commun puisse s’accomplir, il a aussi inventé un aéronef appelé "Sylvia" qui emportera le couple dans ses flancs pour une promenade dans la haute stratosphère, le temps pour Borislav de détruire l’humanité:
    "Je ne sais si je me suis bien fait comprendre. J’ai essayé simplement de décrire les pensées harcelantes qui se sont emparées de moi dès mon retour sur cette terre de désolation. Je ne pouvais mieux faire à ce moment, car mon esprit ne se dégageait que très lentement d’une sorte de léthargie. Pourtant je me rappelle vaguement que, pour tenter de justifier ma faiblesse à mes propres yeux, j’étais près de croire à l’influence néfaste de puissances occultes redoutables. Je finis par en rire. Le malheur, qui avait fondu sur Sylvia et moi à l’instant où nous nous y attendions le moins, était né de la volonté d’un seul homme, je le savais pertinemment, et je ne voyais pas en quoi un éventuel mauvais sort aurait pu intervenir en l’occurrence . Je désirais garder la tête froide pour envisager le futur avec calme. Et je savais que si l’on admet trop aisément l’influence de quelque force occulte, on risque de perdre confiance en soi, cette confiance si nécessaire à la réussite.
    Les faibles seuls perdent un temps précieux à attendre passivement l’intervention de puissances mystérieuses, et, pendant les instants où ils les sollicitent, ils n’agissent plus utilement. Ensuite, stupidement, ils   osent se plaindre de n’être pas parvenus à vaincre les obstacles semés sur leur route et, se croyant maudits, ils désespèrent davantage. N’est-ce point là une des plus grandes déficiences de l’humanité que j’ai connue? La force d’âme manquait à la majorité de nos semblables. Ils se raccrochaient trop facilement à des idées de chance ou de malchance dont ils se croient les victimes, et ils oubliaient que la réussite de leurs projets dépendait uniquement de leur propre volonté. Ils n’étaient plus que des pantins, idolâtres ou mystiques, au cerveau affaibli par des croyances sans fondement. La révolte s’amplifiait lorsque j’écoutais les rugissements de la nature en furie, lorsque je regardais la terre noirâtre, comme écrasée par le ciel bas, et que j’entendais la pluie marteler les hublots. Et je jurais que si je réussissais un jour à jeter les bases d’une nouvelle civilisation, je ne parlerais jamais à mes descendants, ni de fées, ni de lutins, ni de dieu, ni de diable! Je voulais les habituer, dès leur jeune âge, à ne chercher le courage qu’en eux-mêmes. Je voulais créer des hommes forts, capables de se frayer seul un chemin dans l’existence, sans s’arrêter à tout bout de champ pour implorer le ciel ou l’enfer. Je voulais leur apprendre à faire eux-mêmes une discrimination logique entre le Bien et le Mal, sans leur inspirer pour cela d’inutiles et dégradantes terreurs.
    La peur d’une idole a-t-elle jamais empêché les hommes de commettre des actes immoraux? Au contraire! Certains les ont commis avec l’idée stupide de se les faire pardonner ensuite grâce à la complaisance publicitaire de textes ou de rites douteux, immoraux par leur élasticité voulue. Non, je ne croyais plus en rien de spirituel. A quoi aurais-je pu croire encore, d’ailleurs, après avoir vu le monde entier s’écrouler autour de moi sans la moindre intervention céleste pour  sauver les hommes? Avais-je entendu sonner les trompettes du Jugement Dernier, alors que tout était mort sur terre?
    Les mains crispées sur mes tempes, le front moite je dis adieu au passé avec tout ce qu’il comportait de faiblesses et d’imperfections mortes. Je ne voulus plus regarder que l’avenir et je décidai d’avancer dorénavant tout droit devant moi, sans craintes injustifiées ni regrets déprimants et inutiles,
    Reconstruire le monde? Eh bien, oui j’acceptais.  Qu’aurais-je pu faire d’autre d’ailleurs, en de telles circonstances? Me laisser mourir sans réagir? C’eût été infiniment lâche, infiniment peu digne de moi et de mon passé ! Quitte à être vaincu par des impondérables il me fallait lutter jusqu’au bout ! Redonner naissance à une race humaine, n’était-ce point jouer un rôle magnifique? Et même, lorsque je regardais Sylvia si jolie et si fine, et que je songeais à notre amour et à notre jeunesse, j’imaginais que ma tâche n’aurait rien de désagréable..."
    De retour sur terre, nos héros ne retrouvent rien, si ce n’est une étendue de boue plate arrosée par les éléments en furie déchaînés par l’acte inconsidéré de Borislav. Cependant, celui-ci avait tout prévu pour eux: un système de guidage pour ramener les tourtereaux à bon port, un abri souterrain où ils pourront se délasser -avec décence- en attendant que le monde soit à nouveau vivable. Et même une surprise: la présence d’un deuxième couple, composé d’un agriculteur , Basile,  et de sa femme Denise, ainsi que de certains animaux, chèvre, chienne, vache , etc.
    Ainsi  Alex ne se sentira pas trop isolé comme unique cadre de la classe supérieure et comme dernier intellectuel bourgeois vivant. Basile, très intuitif, a bien compris tout cela: il vouvoie Alex qui le tutoie , et il accepte son autorité sans réticence.
    Un grain de sable détraque la belle machinerie: toutes les femelles (y compris Denise) sont enceintes et accouchent prématurément d’un rejeton mort-né (y compris Denise), à cause de l’ozone qui se répand, conséquence imprévue de la destruction imbécile de Borislav.
    Basile devient fou de douleur à la mort de Denise, puis ne pense qu’à coucher avec Sylvia (la dernière femme avec les deux mâles) ce que réprouvent la décence et l’auteur. Alex, qui est vraiment stupide, explique à Basile comment marche Sylvia (la fusée pas sa femme). Alors Basile s’embarque, ravissant Sylvia, femme et fusée, pour coïter décemment dans l’univers avec la femme d’Alex,  tandis que ce dernier, fou de solitude , marche , son carnet de notes en mains,  sur une terre réduite à une surface de boue arrosée par de la pluie. Fausse sortie: seule l’Asie a été détruite, et non la totalité de la terre. La fin du roman livre Alex délirant aux Européens venus le sauver.
    Roman  mièvre,  non par l’idée ou la description du décor,  mais à travers la philosophie de l’auteur faite toute de décence bourgeoise, de retenue morale, d’une xénophobie sous-jacente. Le cadre est  prétexte à la destruction d’une humanité supposée décadente et  incline  à répondre positivement  à la montée du fascisme de l’époque.

  2. Type: livre Thème: péril jaune et guerre des races, Adam et Eve revisités Auteur: Edmund COOPER Parution: 1970
    Une expédition martienne visite la terre. Celle-ci, après deux mille ans de guerre raciale est différente de la nôtre ; la lune ayant été détruite par des missiles, le climat bouleversé, l’Antarctique redevenu continent tropical :
    " La série de catastrophes qui avaient accablé la Terre avait commencé deux mille ans auparavant – avec d’abord la guerre de la Révolte noire, qui avait abouti à la destruction de Luna et à la dévastation partielle de la Terre – et elle avait eu des conséquences étranges et terribles. Les contours et l’équilibre des masses continentales et des océans avaient été radicalement modifiés. Les zones tempérées s’étaient transformées en déserts torrides. L’océan Pacifique, bombardé par des fragments errants de Luna, s’était soulevé dans un raz de marée tel que les vagues avaient pris d’assaut les plus hauts sommets des Andes, dévoré des îles, englouti le Japon, submergé la Chine et l’Australie, détruit la Nouvelle-Zélande et l’Indochine, crée une nouvelle génération de volcans, provoqué des tremblements de terre d’une intensité inconnue de mémoire d’homme et projeté des billions de tonnes de poussière et d’eau en ébullition dans les couches minces de l’atmosphère! Les terres basses avaient été submergées, de nouvelles terres avaient surgi convulsivement de l’Atlantique : la Méditerranée s’était vidée de ses eaux, et, paradoxalement l’Antarctique s’était mise à fondre. (…) L’Antarctique avait déployé un parapluie de verdure pour protéger et nourrir tous ceux qui avaient pu atteindre son sanctuaire. "
    L’absence apparente de vie humaine permet à la mission extraterrestre de collationner toutes sortes d’observations pertinentes. Mirlena la psychologue,  Kord Vengel le délégué officiel vayénite, Rudlan l’ingénieur en communications, et Carl Sinjorge le jeune physicien, forment la première expédition qui débarque dans la forêt pluviale antarctique. Ils sont Noirs tous les quatre, comme les autres Martiens. En effet, après la guerre fratricide entre Noirs et Blancs qui a décimé l’humanité, une poignée de rescapés noirs avait réussi à émigrer vers Mars. Là, ces colons ont fondé une nouvelle société calquée sur un modèle dictatorial tout en gardant une haine farouche à l’égard de l’homme blanc.
    Milréna, en explorant la forêt, découvre Kymri, un sauvage blanc. Avec ses moyens technologiques supérieurs, elle le capture pour l’étudier. Elle en arrive à la conclusion que cet être blanc sous ses oripeaux de primitif, est en réalité fin et intelligent. Une attirance mutuelle de plus en plus forte lui ôte toute réticence et la confiance s’établit entre les deux êtres humains. Kord Vengel, envoyé fanatique du vanéyisme, préconise la mise à mort immédiate de Kymri. Durant ce temps, sur Mars se déroule une révolution : la doctrine officielle du vanéyisme, de type extrémiste, est combattue et le régime se démocratise.
    Kymri conduit le petit groupe à Noi Lantis (New Atlantis) sa cité, pour présenter les Martiens à Urlanrey, le roi sage et avisé, père de Kymri et maître de Noi Lantis. Celui-ci accueille ses hôtes avec déférence en ayant conscience que leur arrivée compromettra un équilibre social jusqu’ici préservé. Mirlena et Kymri traquent peu de temps après leur arrivée Kord Vengel qui s’est introduit sans autorisation dans la "demeure de la mort", seule tour interdite aux visiteurs sous peine d’exécution capitale. Ils découvrent que le bâtiment, dans sa partie souterraine, est une sorte d’arche, datant de la fin de la période troublée, qui se présente comme une réserve immense d’engins et de potentialités technologiques, soigneusement entretenue  par des robots.
    Alors que Kord Vengel meurt, tué par un robot, Urlandey fait capturer le couple en attendant de statuer sur son sort.  La perte de la fusée qui devait ramener  le groupe d’explorateurs les oblige à un long contretemps : ils resteront sur Terre pour plusieurs années. Délai profitable puisqu’au retour de Stanley, le commandant martien à la tête d’une nouvelle flottille, non seulement personne n’a été exécuté, mais encore Kymri et Mirlena attendent leur premier bébé, symbole d’une nouvelle union des races,  tandis que les Martiens, débarrassé du vanéysme, seront accueillis comme des frères. Il semble que, pour un temps du moins, les luttes raciales soient éradiquées et que l’espèce humaine puisse espérer un recommencement glorieux :
    "Et soudain , tous quatre éclatèrent d’un rire fou , communicatif. Les trois Martiens noirs et l’homme blanc de la Terre. Après la destruction d’un satellite et la dévastation d’une planète, après la mort d’une civilisation et d’innombrables millions d’êtres, après deux mille ans de haine fomentée sur Mars et après de longs siècles passés dans l’isolement et dans l’ignorance du dernier continent vivant de la terre, la couleur de la chair humaine avait pris moins d’importance que l’esprit qui l’animait. Tel était l’humour de Godfred. "
    Récit ni trop mièvre – vu le thème abordé – ni trop cérébral, mené tambour battant, à la manière d’un space-opera. Il ne possède pourtant pas la verve de "l’Etreinte de Vénus" ou la vigueur "du Jour des fous" ; comme quoi avec de bons sentiments on ne fait pas toujours de la bonne littérature…

  3. Type: livre Thème: archéologie du futur Auteur: John Ames MITCHELL Parution: 1889
    A bord du Zlothub, l’équipage persan du Prince Khan-Li, accompagné des deux archéologues Grip-Til-Lah et Nofuhl, jette l’ancre dans la baie de Nhu-Yok, en cette journée de l’an 2951. Chargés d’explorer l’habitat mythique des Méhrikans, ils se trouvent au bord des vestiges d’une ville sans fin où se dresse, en avant-poste, la statue d’une femme abîmée, portant un flambeau :
    « Moins d’une heure plus tard, nous avions débarqué et foulions une antique avenue, dont les trottoirs étaient couverts de mauvaises herbes et de fleurs , sauvagement mêlés dans un total désordre. Des arbres, énormes et d’une grande antiquité, passaient leurs membres au travers des fenêtres et des toits procurant une impression déprimante. Ils procuraient cependant une ombre bienvenue, car nous subissions à terre une insupportable fournaise. Les curieuses constructions qui nous entouraient de part et d’autre étaient merveilleusement préservées, et dans nombre d’entre elles subsistaient encore des plaques de verre dans les encadrements de fenêtres métalliques. »
    En pénétrant dans les ruines,  de grands bâtiments de commerce les incitent à une réflexion profonde sur les causes de la disparition des Méhrikans, qu’ils savent avoir été une race de marchands avisés et évolués technologiquement:
    « Leur honneur commercial était une plaisanterie. Ils étaient plus âpres au gain que les Turcs. La prospérité était leur dieu, avec la ruse et l’invention pour prophètes. Leur activité frénétique, aucun Persan ne peut la comprendre. Cet immense pays était grouillant de bruyantes industries et de Méhrikans agités filant tels des flèches d’une ville à l’autre avec une rapidité inconcevable, en utilisant un système de locomotion que nous pouvons à peine imaginer. Il existait des routes recouvertes avec des barres de fer sur lesquelles de petites maisons posées sur des roues étaient tirées à une telle vitesse qu’un voyage d’une longue journée était accompli en une heure. D’énormes bateaux sans voiles, conduits par une force mystérieuse, transportaient des centaines de gens à la fois jusque dans les lieux les plus reculés de la Terre.»
    L’exploration de maisons particulières leur fait comprendre à quel point la libération des mœurs féminines aurait eu un rôle à jouer dans cette catastrophe, allant de pair avec les disparités sociales :
    « Ô Terre de Délices ! Car beaucoup d’argent réjouit le cœur ! Pourtant le vieil homme secoua la tête. -Très vrai, Ô Prince ; sauf que l’effet en était affligeant. Ces énormes fortunes dominèrent bientôt toutes choses, y compris le siège du gouvernement et les palais de justice. Les magouilles financières rapportèrent des gains fabuleux. Le jeunesse en fut démoralisée. Quant à l’austère et vertueuse industrie avec ses profits modérés, elle devint méprisée.
    -En vérité, voilà qui irait de soi ! déclarai-je. Mais sur une terre où tous étaient riches, qui trouvait-on pour cuisiner et nettoyer à fond, aller faire les courses ou nettoyer les sols ? Car nul ne creuse la terre quand ses poches sont bourrées d’or.
    -Tous n’étaient pas riches. Et quand le pauvre devint lui aussi avide se formèrent deux camps ennemis. Ainsi commencèrent les bouleversements sociaux avec leurs cortèges de carnage et de ravage. »
    Ces observations, consignées au jour le jour, formeront la trame de leur récit. En poussant au-delà de la jungle de Central Park vers Uptown, ils ont une vue grandiose sur l’étendue des ruines mangées par la végétation :
    « L’étendue de la ville était surprenante. A plusieurs miles de distance, loin sur la rivière, on distingue le Zlotuhb, simple tache blanche sur l’eau. Tout autour de nous, aussi loin que la vue puisse porter, et dans quelque direction que l’on tourne son regard, ce ne sont que ruines : des ruines, et encore des ruines. Jamais il n’a existé de visions plus désespérantes. Le ciel bleu, le soleil radieux, l’air empli du parfum des fleurs aux couleurs vives, le chant des oiseaux : tous rendent ce spectacle encore plus triste et déprimant, tant ils semblent s’en gausser. »
    Leur périple ne se limite pas à Nu-Yok. Ils appareillent aussi pour Washington, une autre grande cité, où, à leur arrivée dans la baie, de nombreux vaisseaux engloutis témoignent d’une gigantesque bataille navale. Cheminant vers le «Grand temple de la Démocratie », ils y trouvent - ô miracle ! – le dernier Méhrikan vivant avec sa femme, un homme primitif, vêtu de peaux de bêtes, barbu et têtu. Aussi lorsque Ja-Khaz s’approcha de trop près de la femme – pour l’étudier sans doute- le dernier Méhrikan lui fracassa-t-il le crâne. Immédiatement abattu par les membres de l’équipage, le Méhrikan livrera son crâne apprêté au musée de Téhéran comme fleuron de cette expédition :
    « Sommes de nouveau en mer. Voguons cette fois pour la Perse, ramenant nos blessés et les cendres de nos morts. Celles des habitants du pays reposent au-dessous du Grand Temple. Je présenterai le crâne du dernier Méhrikan au musée de Téhéran. »
    « Le Dernier Américain » propose, à l’instar des romans européens, une méditation sur les ruines et sur la disparition de l’empire américain par le procédé de la distanciation dans le futur (les personnages viennent d’un futur très lointain) et dans l’espace (ils viennent de très loin).
    Nouvelle remarquable, teintée d’ironie et de pessimisme, il est curieux qu’elle n’ait fait l’objet d’aucune autre traduction en France que celle-ci, récente, et par une toute petite maison d’édition.

  4. Type: livre Thème: guerres futures 1 Auteur: René de PLANHOL Parution: 1930
    "Ce cahier donne les leçons professées en 2045, à la Faculté des lettres françaises de Québec, par l'illustre Joseph Dyvetot, dont le cours d'histoire philosophique étudiera "l'Europe après 1930 et la Revanche de l'Allemagne".
    Après cet avertissement qui permet à l'auteur de prendre le point de vue de Sirius, ce dernier se livre à une analyse critique et pertinente, sans complaisance, des causes d'une probable future guerre européenne. D'abord, il convoque les hommes politiques français de tous bords principaux responsables, selon lui, du désastre, de par leur pacifisme, surtout celui des socialistes Blum et Driant,  relayé par les journaux de l'époque, leur hypocrisie, et leur seule préoccupation qui était de profiter au maximum du pouvoir pour s'approcher en premiers de la "mangeoire":
    "Les factions politiques uniquement occupées de leurs manigances électorales et de leurs combinaisons parlementaires, ne semblaient même pas se douter que le sort de la patrie fût en jeu. Il ne s'agissait entre elles que d'une querelles de ventres, autour du râtelier bien garni que leur offrait le pouvoir. (Ils) se contentaient de jouir de leur fortune, de s'octroyer à leur tour les prébendes et de distribuer les fonds secrets en n'ayant nul souci de la France".
    En nouant des alliances objectives entre partenaires aux idées pourtant inconciliables, ils s'entendent à merveille pour manipuler une population lâche et veule , dont les classes privilégiées , des immigrés de fraîche date, s'offrent une vie facile par les douteux plaisirs du sexe et de la bonne chère:
    "Attirée par  l'appât, une nuée de parasites se jetait sur la province et la campagne françaises. Ils accouraient de tous les points du globe, - d'Orient, de Russie, d'Allemagne, de Chicago, de Bombay, pour prendre leur part des dépouilles de ce vieux pays. Juifs, Levantins, Hindous, ils composaient la tourbe cosmopolite qui s'engraisse de la misère commune."
    Dans le domaine économique, l'on minimise la crise de 1929, la bourgeoisie prétendant qu'après un nécessaire assainissement, le capitalisme, épuré,  redeviendra l'outil merveilleux propre à enrichir encore davantage les nantis. La position du Vatican n'est d'ailleurs pas oubliée qui, au nom d'un oecuménisme religieux protège ses intérêts en minimisant le péril germanique. Le déni en face d'une Allemagne agressive et revancharde est donc universel. Rien d'étonnant donc que, de reculades en reculades, le traité de Versailles soit déchiré et que, sans que personne ne lève un sourcil, l'Allemagne puisse fortement se réarmer, occuper des territoires qui lui sont étrangers, comme la Pologne, ou refuser de payer ses dettes de guerre en réclamant un moratoire.
    Après avoir exploré les causes de la guerre, l'auteur passe à l'avenir des relations internationales en Europe avec, au centre de celles-ci, la dangereuse Germanie, prête à engloutir la France. Il fait parler le général von Seekt livrant son coeur dans un mémoire (fictif) adressé à son secrétaire. Il lui montre en toute franchise la duplicité, l'immense orgueil et la soif d'une Allemagne malmenée. Menée par des Hohenzollern , avec l'appui d'un certain Hitler, une armée de soldats aguerris sont prêts à se vouer corps et âmes à leur patrie:
    "Les événements ne se répètent jamais tels quels, et la guerre prochaine réalisera sous une forme inédite la concentration des forces et la surprise qui sont les moyens éternels de la victoire. (...) La guerre prochaine ne sera plus une guerre interminable de tranchées. Nos bataillons uniront à la puissance des armements la vitesse et la mobilité. Leur attaque subite, jetant autour d'elle le feu et les gaz, bouleversera la mobilisation de l'ennemi. Et nous disposons d'engins, d'explosifs, de fumées, de poisons que nos laboratoires ne cesseront d'améliorer et qui révèleront au monde les bienfaits de la science allemande."
    En face d'une Angleterre frileuse, d'une France endormie et décadente, d'une Russie entravée par des traités commerciaux, l'Allemagne a désormais le champ libre pour se tailler un empire sur mesure. La Pologne déjà occupée, l'Autriche s'étant toute entière jetée dans les bras de la Germanie, von Seekt explique que tout naturellement les régions à forte implantation tudesque devront appartenir à la nation-mère. Il réclame l'Alsace et la Lorraine et les fera occuper militairement pour y "garantir" les droits d'un référendum juste pour ses habitants.
    La France outré et acculée réagira enfin. Avec le général Weygand à sa tête, elle prendra les armes non sans avoir, préalablement, nettoyé les nids de la collaboration. Quelques hommes politiques parmi les plus en vue seront pendus, mais beaucoup réussirent à s'enfuir, surtout parmi les socialistes. Hélas! il est déjà trop tard. Car la guerre aura changé de nature, elle sera rapide, impitoyable et  des armes horribles seront utilisées:
    "Attaquée sur deux fronts, écrasée par la supériorité des effectifs et du matériel ennemis, l'armée française ne pouvait que succomber. (...) Des explosions se produisaient dans les arsenaux et les usines sous l'influence de courants mystérieux, des nappes de gaz mortels se déployaient sur le pays, des vagues d'avions criblaient les villes de bombes incendiaires(...) La ville souveraine de l'univers n'était plus qu'un labyrinthe de ruines en flammes. Aux batailles de la Somme et de la Seine, l'armée française fut à demi détruite pendant que les Italiens continuaient à s'avancer presque dans le vide. (...) la bataille tournait au massacre, et la France n'avait plus d'armée."
    Vaincu, notre pays sera démembré, découpé en diverses régions soumises au vainqueur, ses richesses drainées. La langue française elle-même, outil de l'unité, sera éradiquée:
    "Comme la fureur germanique voulait extirper jusqu'au souvenir de la nationalité française et comme c'est autour de son langage que se rassemble toujours un peuple déchiré, l'enseignement et l'usage officiel de la langue française furent partout prohibés. La Bretagne adoptait pour idiome le gaëlique, et l'Aquitaine le Gascon. Si l'Italie tolérait en Gaule narbonnaise le provençal, l'Allemagne imposait le tudesque au nord de la Seine. Et, dans la Biturie, la langue du gouvernement, des écoles, de la presse, devenait l'esperanto, toute publication en langue française étant interdite."
    L'Angleterre, désormais inquiète, se retrouve  en première ligne en maudissant son pacifisme. Les Américains continueront, comme par le passé, à commercer un pays devenu puissant et riche. La Russie (Soviétie) multipliera les approches "positives" envers un pays devenu son premier partenaire énergétique.
    Ce texte, assez court, appartient donc aussi bien au domaine du pamphlet politique, qu'à celui de l'histoire alternative ou de la guerre future. L'on est frappé par la justesse d'ensemble du propos de Planhol dont la vue prospective coïncide avec la réalité historique. Il ne se trompera que sur des points annexes (comme de minimiser l'action de Hitler) ou lorsqu'il est aveuglé par ses préjugés ( il pense que la judéo-maçonnerie aidera l'empire militaire allemand). D'autre part, la comparaison de l'état du pays dans les années trente est tout à fait pertinente avec celui montré par les temps actuels (2013). A souhaiter que les mêmes  causes ne produisent pas les mêmes effets! Enfin, il limite aussi la guerre à venir à l'Europe sans comprendre qu'elle affectera l'ensemble des pays du monde de par sa nature unique et le jeu de ses alliances. Mais il a saisi le caractère impitoyable de l'agression lié à la haine de l'ennemi, l'utilisation d'armes nouvelles, la rapidité des déplacements sur le terrain , alors que de nombreux chefs militaires de l'époque prophétisent une guerre de position comme en 1914. Si la France, dans sa réalité historique, a été coupée en deux zones, pour de Planhol, elle sera totalement mise en pièces et ne renaîtra plus de ses cendres. Un petit texte par la taille mais grand par ses idées, à la limite du conjectural,et avec des accents tels, que sans hésiter, nous l'avons intégré à notre domaine.
    .

  5. Type: livre Thème: menaces climatiques Auteur: Marcel ROLAND Parution: 1910
    La France au XXVème siècle. Le journaliste Pierre Delange rend visite à son oncle M. Luzette, à Blois, au moment où la pluie remplace une chaleur et une sécheresse exagérées. D’abord la  bienvenue, celle-ci est maudite en peu de temps :
    « Il pleuvait sans arrêt, sans répit, un rideau brumeux masquant maisons, arbres, rebondissant aux angles des toits, sautant des balcons, dévalant par les ruisseaux des rues en pente jusqu’à la Loire, qui roulait les tourbillons d’une crue incessante. On vivait dans une lumière grisâtre, un demi-jour de cave qui forçait à éclairer  continuellement dans les maisons. »
    La situation qui s’aggrave oblige Delange à regagner Paris par train, dans une ambiance de fin du monde :
    « Un clapotis baignait les roues des wagons sur la voie ruisselante. A travers la crêpe de la pluie, j’entrevis à peine la campagne, mais je la devinais confusément noyée, le sol saturé comme une éponge, les cultures perdues, les vignes submergées, les blés couchés sur la terre molle, les arbres fléchissant sur leurs racines pourries, les ravins devenus torrents, les mares devenues lacs. »
    Disposant d’un appartement solide il s’y réfugie, au 5ème  étage, pour attendre la fin de l’inondation. Mais les rues noyées empêchant toute sortie, et pour ne pas s’ennuyer, il tient un journal minutieux des événements. A partir du 10 juillet, le métro ne fonctionne plus. Tous les occupants des immeubles seront évacués pendant qu’il en est encore temps.  
    Lui, doutant de l’efficacité d’un regroupement, reste obstinément isolé chez lui.  Quelques jours après, un fidèle ami , le poète anarchiste Rambout, bravant les éléments, lui rend une dernière visite. Il prophétise la destruction du monde par un second déluge et lui rapporte des faits qui affecteraient la terre entière. Inquiet, Delange consulte revues et journaux scientifiques qui évoquent les causes du phénomène pluvieux par le déplacement de l’axe des pôles, la fonte des banquises, l’absence de taches solaires, la précession des équinoxes, ou le volcanisme intense :
    « Sur des points nombreux, le noyau encore non solidifié de la terre a subi d’importantes convulsions, traduites soit par des réveils de volcans assoupis, comme l’Etna, le Vésuve, l’Erèbe (aux régions antarctiques), le mont Pelé (à la Martinique), ou depuis longtemps réputés morts, par exemple les cratères du Plateau Central, en France, plusieurs de montagnes d’Arménie, et d’autres de la Cordilière des Andes ».
    L’eau monte toujours dans les rues de Paris, faisant s’effondrer les immeubles les uns après les autres. Soudain Delange, qui se sent bien seul, se rappelle qu’il possède un «éthéro-phone », appareil de communication sans fils. Après de multiples tentatives infructueuses, il accroche une voix. C’est celle de Pedro Antemazza, un prisonnier bolivien, qui, isolé comme lui dans un univers noyé, se débat contre la montée des eaux. Pierre assiste à sa mort en direct jusqu’à ce que le flot recouvre la voix du condamné. D’autres encore, peu nombreux, comme Blacker, gardien de phare au cap de Bonne Espérance dont l’habitat émerge au-dessus d’une mer étale, ou Tiaolung, un Coréen, qui prend le désastre avec philosophie.
    Soudain, les lumières s’éteignent, l’eau ayant accédé au second étage. Un mois a passé depuis le début du journal avant que Delange puisse noter un fait extraordinaire : une jeune femme l’a rejoint ! Eva Vankeer, une artiste, avait été oubliée dans l’appartement voisin. Comme lui, elle était restée sans liens avec le monde, se contentant de durer. La rencontre d’Eva avec Delange leur procure un grand réconfort. Il la rassure et part à la recherche de  nourriture, du pain et des légumes, arrachés aux rats dans le grenier d’un boulanger absent :
    « C’est là, au fond de ce noir, qu’étaient alignés les sacs du bienheureux marchand à qui nous devions de vivre encore ! Il fallait d’abord traverser des flaques d’eau, puis s’avancer avec résolution, un fort gourdin à la main, vers ces recoins d’ombre, où grouillaient mille petites existences féroces. J’entendais les rats s’agiter au milieu des précieux pois chiches et des haricots, comme des fourmis dans leur tanière. Je poussais des exclamations inarticulées, devenu moi-même une bête, et je me précipitais, tapant du bâton. Des cris perçants, affreux (j’y étais habitué !), une débandade qui me coulait sur les jambes, s’embarrassait autour de mes pieds. »
    Alors qu’il commence à sentir des tendres sentiments le gagner envers Eva, la fin se précise. L’eau monte à tel point que le couple sera obligé de se réfugier dans le grenier, avec les rats, puis, sur le toit, près de la cheminée, où les deux mourront, probablement noyés. Dans leur  dernier rêve – un rêve d’espoir-  ils se voient en sécurité à l’intérieur d’une arche, comme Noé et ses fils, puis ils s’évanouissent.
    Ils se réveilleront au sein d’un engin sous-marin, « le Triton», une création de l’ingénieur Emile Antoni que Delange connaît pour l’avoir interviewé. Antoni les a arrachés à la mort au dernier moment grâce à son engin, entièrement autonome et transformable, qui fonctionne à l’aide d’une pile au radium. Avec Bonin, son mécanicien, un géant brutal qui leur réservera des surprises à l’avenir, il les a mis en sécurité et leur fait contempler, à travers de larges baies, le paysage parisien englouti et ses cohortes de noyés :
    « Tout contre la vitre du Triton, un instant, vint se coller une vision atroce. Une face verte et tuméfiée, avec des yeux qui pendent en gélatine sous la chevelure soulevée. La bouche se convulse dans une grimace sinistre (…) Maintenant, à mesure que nous avançons à travers la cité lugubre, d’autres morts se montrent, innombrables, dans toutes les contorsions de la fin. Les uns attachés à des épaves, flottant entre deux eaux ; les autres accroupis ou couchés, retenues au sol par des causes inconnues. Ceux que le flot porte se heurtent, s’entrepoussent, se rassemblent en groupes visqueux et blêmes qui nous regardent passer, rient sur notre chemin, agitent les bras comme pour des acclamations muettes. Plus nous allons par les rues, les carrefours, plus cette ville de l’enfer vomit sur nous tous ses cadavres. Dans ce qui a été le boulevard Saint-Michel, un chapelet humain, lié à un balcon, a l’air de nous saluer au passage, avec des têtes qui se décollent. »
    La visite de Paris s’organise, en suivant le cours de la Seine. Le premier bâtiment qui les frappe lorsqu’ils prennent pied au sommet de la butte Montmartre encore à l’air libre, est la tour Eiffel, ou ce qui en reste :
    « Très loin, au-delà de l’emplacement où devait se trouver le cours de la Seine, de rares débris devinés confusément dans la brume… Une charpente de minces fils, décapitée et tordue, un air de squelette planté là, pour finir de s’y dissoudre… Je reconnus l’antique et fameuse tour de fer que, cinq siècles auparavant, l’industrie humaine avait érigée comme un défi vers le ciel. Et c’était lugubre, ces tronçons entrecroisés, aplatis, mâchés par le même souffle d’extermination, comme un petit jouet sur lequel on avait posé le pied par mégarde. »
    la visite sera interrompue par un tremblement de terre qui les force à regagner en toute hâte leur refuge sous-marin. Le Triton s’arrêtera à nouveau devant les marches de l’Opéra noyé et les explorateurs, grâce à un scaphandre autonome, entreront dans le bâtiment qui a entendu tant de grandes gloires artistiques :
    « Les poissons peuvent visiter les loges veuves de leurs occupants ordinaires. Les sièges sont pourris, les étoffes déchiquetées, les balcons de bois et de plâtre disloqués. Le lustre qui éclairait de ses feux les chambrées étincelantes des premières représentations, gît, aplati sous la montagne de déblais que la voûte a dressé en tombant(…) Soudain Antoni nous fait un signe et nous désigne quelque chose de pâle qui évolue lentement à cinq ou six mètres de nous. C’est une lamproie énorme que la clarté de nos phares a attirée. Elle tourne, serpente sans oser trop s’approcher, fixe un instant sur nous ses petits yeux, et, d’un coup de queue, se retourne. Elle finit par s’éloigner, comme un long ruban ondulant. Nous sortons, pour la suivre, nous la voyons évoluer près d’un groupe de pierre, l’œuvre exquise de Carpeaux, où quatre femmes nues dansent allègrement, tandis qu’au centre de leur ronde, un dieu rieur agite un tambour de basque. Elle s’enroule autour du cou de l’une d’elles, flaire lentement la bouche ouverte, puis, se dénouant,  remonte, passe entre deux colonnes, et rentre dans l’Opéra par une fenêtre.»
    Ressortant du bâtiment, Antoni les invite à le suivre au Palais Législatif où se sont élaborées toutes les lois, pour y récupérer « cylindres et disques phonographiques » de quelques grands hommes politiques. Plus tard, au sein de leur refuge, ils écouteront religieusement un discours du grand « Raujès » avec ses nobles aspirations vers le socialisme, ainsi que celui de l’anarchiste « Sauvageol » qui promet le châtiment aux capitalistes de tout poil. Une heureuse transition surviendra par la visite de la Bourse, temple de l’argent maintenant disparu, puis celle de Notre-Dame, où malgré l’eau, les élans mystiques sont toujours gravés dans la pierre des ogives.
    De retour, Antoni prend la décision de quitter Paris. Cependant Pierre constate que le caractère de leur sauveteur s’est aigri. La présence d’Eva, promise au seul Delange, en est l’unique raison. Antoni espère la convaincre de perpétuer l’espèce avec lui mais se heurtera à un refus. Certainement rompue par tant de désirs, Eva tomba gravement malade. Agonisante, elle sera sauvée par Antoni à l’ultime moment, grâce à une injection de piqûre d’eau de mer pure, seul remède susceptible de la guérir en « rappelant » au corps le milieu naturel de ses origines. Eva se remet à peine quand c’est au tour de Bonin de flancher. Abominablement ivre, Bonin, se rappelant le concept de lutte des classes, refuse tout de go d’aider son patron :
    « Ce Bonin, lui aussi, avait sa tare, et il suffisait d’un peu de liquide corrosif pour lui empoisonner le sang, le changer en un fauve. Ou bien, peut-être était-ce justement – comme le pensait Antoni - cette révolution subie par la terre, ce bouleversement de tout, ce nivellement des classes sociales et des cités, ce déséquilibre jeté sur les choses et dans les cœurs, qui dressait ainsi l’ouvrier contre l’ingénieur, et les derniers hommes les uns contre les autres ! »
    Comme un malheur n’arrive jamais seul, un troupeau de morses gigantesques, chassés des mers du pôle, prennent le Triton pour un reposoir. Le danger est immense et nos amis y vont de bon cœur, à la hache et à la barre de fer. Antoni, directement menacé par le « roi », un morse géant blanc aux canines redoutables sera sauvé à la toute dernière extrémité par le mécanicien, revenu à de meilleurs sentiments de coopération. Le péril écarté, ils optent pour le grand large et suivront l’opinion d’Eva qui se rappelle avoir lu jadis le roman d’un certain… Marcel Roland :
    « -Tenez, Pierre… Peut-être allons-nous en ces lieux où habite une race nouvelle, dont ce vieux roman tout mangé par les vers annonçait l’existence ?
    N‘ayant jamais eu la curiosité de regarder le titre de ce bouquin, j’y jetai un coup d’œil et lus : « Le Presqu’homme». Ce qui, naturellement, n’éveilla en moi l’idée d’aucun ouvrage dont l’histoire littéraire eût gardé la souvenance.
    -Et c’est ? demandai-je.
    Elle expliqua :
    -En deux mots, voici : il existerait quelque part, à Bornéo ou à Java, où dans les forêts sauvages d’Afrique, des tribus de singes presque humanisés, oui, arrivés presque à être des hommes…
    -Bah !
    -Des singes qui parlent…
    -Oh !
    -Des singes, enfin qui sont appelés à nous détrôner plus tard de la place prépondérante dont nous nous enorgueillissons tant. »
    Le déluge s’étant enfin arrêté, le soleil ayant refait une timide apparition, le Triton se transforme en avion et, déployant ses ailes, prend son envol vers l’île d’Anthar.
    Le «Déluge futur» constitue le deuxième volume d’un ensemble de trois baptisé « les Temps futurs ». le premier relatait l’existence d’une race de singes évolués et transformés en « Presqu’homme ». Le professeur Murlich avait ramené à la civilisation « Gulluliou », l’un de ces êtres, anthropoïde doué de la parole, qui représentait, selon lui et Darwin, le maillon ultérieur de l’humanité. Gulluliou fut ramené chez lui par Murlich et devint l’ancêtre de la société d’Anthar.
    Le troisième récit relate la suite des aventures du Triton et de ses occupants. Arrivés à l’île d’Anthar, Antoni et les siens, malgré leurs efforts, ne seront jamais acceptés par les Presqu’hommes. Se sachant condamné, délaissé par Eva, aidé par Bonin, Antoni partira à la «Conquête d’Anthar», décidé à détruire cette nouvelle culture pour donner sa chance au dernier couple d’humains, Eva et Pierre Delange, de faire renaître l’humanité.
    «Les Temps futurs» constituent une saga exceptionnelle dans le champ de la science-fiction française du début de siècle, autant par la cohérence structurelle de l’ensemble littéraire que par les discussions d’ordre scientifique ou philosophique qui servent de soubassement à une œuvre qui n’a pas démérité du genre.

  6. Type: livre Thème: menaces climatiques, la nouvelle glaciation Auteur: Victor FORBIN Parution: 1902
    Victor Forbin s’empare d’un essai paru aux Etats-Unis, « le grand déluge glacial et son retour imminent » pour en tirer une vision cataclysmique des temps à venir.
    Après avoir évoqué les causes de la création de l’énorme calotte glaciaire antarctique, il démontre, chiffres à l’appui, comment cette masse gigantesque de glace sera amenée à ses disloquer, en provoquant un raz de marée titanesque :
    « Les plaines de Hongrie, de Pologne et d’Allemagne seront presque instantanément recouvertes par les eaux. Engouffrées dans l’étroit canal du Pas-de-Calais, les énormes vagues bondiront dans les vallées de la Seine et de la Somme. Les deux fleuves, refoulés vers leurs sources, seront les avant-gardes de la dévastation. Les gigantesques monuments qui sont la gloire de notre ville seront ébranlés sur leurs bases. Et, quelques jours plus tard, au premier choc de l’avalanche liquide, l’orgueilleuse Tour de trois cents mètres s’écroulera comme un château de cartes.
    La France aura disparu sous les eaux. Ca et là, émergeront du nouvel océan des îles, et des archipels qui furent jadis l’Auvergne et les sommets des Cévennes, et d’énormes glaciers aux découpures fantastiques, se balanceront au-dessus du bas-fond où s’étala la capitale du monde, Paris… »
    Avec ces articles à sensation dont étaient friands les lecteurs du « Journal des Voyages », Forbin, exploitant à fond la veine catastrophiste, répondra au « Déluge de glace » par «le Déluge de feu » qui paraîtra ultérieurement dans le même journal.

  7. Type: livre Thème: menaces cosmiques Auteur: Victor FORBIN Parution: 1903
    Une comète rouge apparaît dans la constellation du Drapeau, se dirigeant vers le soleil qu’elle percutera. L’information en est transmise au monde par l’observatoire de l’Himalaya. Le professeur Barret envisage le pire car la chute de la comète dans le soleil pourrait dramatiquement modifier la température et menacer la terre en détruisant toute vie organisée.  Les scientifiques se réfugient  dans les caves et souterrains de l’Ecole de Physique tout en prévenant les peuples qu’ils auraient à assurer leur survie et prévoir des refuges ainsi que des vêtements adaptés à la situation. Un scepticisme universel accueillera ces paroles.
    Lors de la date de la collision, le 12 décembre, le soleil brillant d’abord au-dessus du continent américain, des nouvelles alarmantes proviennent des USA : toutes les villes américaines sont en proie à une tempête de feu qui gagne inexorablement. En Europe, les préparatifs fébriles de la nuit cessent dès le matin, avec l’augmentation infernale de la température. Le soir d’avant, le soleil avait décuplé son volume et une immense aurore boréale brillait dans le ciel terrestre. La comète, au centre du soleil, s’était transformée en une bombe de gaz enflammé qui, par une explosion colossale, projeta des jets de flammes sur toute l’étendue du système solaire.
    Partout, dans le monde, les signes de la folie des hommes se multiplièrent. A 3 heures du matin, des jets de flammes immenses illuminaient le ciel ; à huit heures, Paris s’embrase;  à 11 heures notre capitale :
    « n’était plus qu’un lac de feu, au-dessus duquel, semblables à de gigantesques torches, flambaient les charpentes des églises et des clochers. Seule, devant cette épouvantable catastrophe, l’Arc de triomphe et la Tour Eiffel demeuraient encore debout.
    Des milliards d’êtres humains qui peuplaient la veille la surface de la terre, il ne restait plus que quelques familles, enfouies dans un souterrain de Sèvres, et qui repeupleraient la terre après ce déluge de feu , comme la famille de Noé selon le récit biblique, l’avait fait jadis, après le déluge d’eau. »
    Cette courte nouvelle fut traduite et condensée, de l’avis même de son auteur, à partir d’un texte conjectural du savant américain, Simon Newcomb.

  8. Type: livre Thème: menaces climatiques, archéologie du futur Parution: 1868
    L’auteur envisage avec ironie les conséquences d’un nouveau déluge à Paris en 4859.
    Avant, " tous les vices ont soudain disparu, toutes les bonnes qualités sont à l’ordre du jour. " Tout le monde devient franc, honnête, vertueux (même les Académiciens).
    Pendant, tandis que des escouades de ballons survolent la ville, les " flots vengeurs " déferlent. Une baleine entre dans le Panthéon, une huître " baîlle d’ennui " devant l’Institut.
    Après (trois mille ans après), les eaux ont reflué et les archéologues du futur se livrent aux exhumations, en apportant la preuve de l’existence d’une ancienne civilisation par la découverte d’un jupon-carcasse qu’ils prennent pour un squelette métallique,  et de l’obélisque "qui fut l’épine dorsale d’un poisson échoué ".
    La conclusion, elle, est toute entière inscrite dans la morale : " dans tous les déluges et tous les cataclysmes, une seule chose surnagera toujours sans le secours d’aucune Arche de Noé, et cette chose, c’est le ridicule. "

  9. Type: livre Thème: pollution généralisée Auteur: Norman SPINRAD Parution: 1970
    XXIIIème siècle. L’Amérique de " l’âge de l’espace " est un souvenir. De nombreuses ruines quasiment intactes, rappellent sa puissance d’autrefois à une cinquantaine de millions d’Américains vivant hors des métropoles. La pollution a tout envahi: l’air irrespirable stagne en énormes bancs au-dessus des cités de la Côte Est :
    " Nous survolions maintenant l’ancien New Jersey.(...) Le paysage qui se déployait au-dessous de nous était insolite : une imbrication sans fin de maisons alignées, toutes identiques et ressemblant à des boîtes, toutes de la même couleur gris - bleu due à deux siècles d’exposition au smog; d’immenses et antiques routes obstruées depuis la Grande panique par des carcasses de voitures; quelques arbres gris et tordus avec, ici et là, un carré d’herbes sèches qui ont réussi à survivre malgré le smog. "
    Personne ne vit plus à New York sinon les «métroglodytes», descendants dégénérés des rares citadins qui s’étaient refusés à abandonner la ville. Enfermés dans les couloirs souterrains du métro, ils respirent un air imparfaitement recyclé et se nourrissent de plaquettes d’algues, leur espérance de vie étant des plus limitée. Les autres Américains affichent une mentalité de sous-développé. Envahis par les touristes africains, les nouveaux dominants au plan mondial, ils ont besoin de cet argent. Pour une somme rondelette, les nouveaux  riches du monde désirent ressentir le grand frisson en visitant les nécropoles mécanisées de jadis , bien protégés par leurs lunettes et leurs pastilles nasales:
    " Devant nous se dressaient les fameux gratte-ciel du vieux New York, forêt de monolithes rectangulaires hauts de centaines de mètres. Quelques-uns, boîtes de béton vides que la lumière bleutée qui imprégnait tout transformait en sombres et titanesques pierres tombales , étaient presque intacts. D’autres, éventrés par d’anciennes explosions n’étaient que des piles de poutrelles et de décombres dentelées. Les façades d’un certain nombre d’entre eux avaient jadis été entièrement ou presqu’entièrement vitrées. Mais, à présent ce n’étaient plus que d’aériens labyrinthes de charpentes et de plate - formes de béton, où scintillaient ici et là des surfaces de verre indemnes sur lesquelles jouaient des reflets de lumière bleue. Et très haut au-dessus des sommets des édifices les plus élevés se déployait le ciel d’un bleu brouillé, taillé en facettes, du Dôme. "
    Ryan , guide touristique, mène l’un de ces groupes à la découverte d’un monde  disparu. Son travail est dangereux mais il se console en se disant que le gain espéré lui permettra d’émigrer vers le Sud brésilien épargné par la pollution  pour y vivre le restant de ses jours. Dans son groupe, il y a Bewala , le professeur, spécialiste de l’Amérique ancienne ,  qui fait le voyage pour comprendre les raisons de l’auto - destruction des Américains, Kolungo, un Ghanéen, tout imprégné de "mana", et surtout Lumumba, descendant des Afroméricains, décidé à venger le sort de ses ancêtres qui ont souffert sous la botte des Américains de jadis.  
    Ryan et Lumumba s’affrontent. L’un, reprenant à son compte l’héritage grandiose des Blancs, très fier des réalisations technologiques du passé, l’autre, méprisant et injurieux, contestant cette soi-disant supériorité:
    " Lumumba était indubitablement arrivé à la conclusion que les métroglodytes étaient véritablement des animaux sous-humains. Comme, à la suite de Ryan, nous passions devant un groupe disparate de métroglodytes accroupis à même le sol, en train de mastiquer machinalement des plaques d’une substance verte, il se mit à faire à haute voix des commentaires qui, s’ils s’adressaient ostensiblement à moi, étaient en réalité destinés à notre guide: " Regardez ces animaux répugnants qui ruminent comme des vaches! Voilà ce qui reste des êtres sublimes qui sont allés sur la Lune : quelques milliers de stupides larves blanches pourrissant dans un cercueil hermétiquement clos "
    Le conflit prendra fin lorsque Ryan et Lumumba essaieront tous deux un "casque de fusion cosmique", vestige électronique encore fonctionnel, censé les mettre en rapport avec "le Grand Tout". Choqués par cette expérience, Ryan et Lumumba comprendront que la mentalité des gens de "l’âge de l’Espace" était radicalement différente et irréductible à leur vécu quotidien.
    Norman Spinrad signe une belle nouvelle qui porte sur la décadence et la mort d’une nation,  insistant (à ce sujet voir également " l’hiver Eternel " de John Christopher) sur la rivalité Noirs/Blancs. La description des ruines et de la pollution suggère le meilleur de Ballard. Grâce au monologue intérieur, les personnages acquièrent une épaisseur psychologique rare dans le cadre d’un texte bref.

  10. Type: livre Thème: sociétés post-cataclysmiques 1 Auteur: MORGIN - DE KEAN Parution: 1939
    Jean et Wilfried avancent dans une plaine où l’on devine encore l’influence de l’homme. La France, et plus généralement l’Europe, se trouve à présent dépeuplée en étant retournée à l’état sauvage. Les nations se sont entretuées en se livrant une guerre à outrance.
    Wilfrid, l’Allemand philosophe adepte de la " surhumanité " nitszchéenne, Jean, le Français, vieux et sage, représentent les seuls êtres vivants dans ce paysage hostile. Tout en pérégrinant, Wilfrid se rappelle un passé à jamais disparu :
    " Je ne me plains pas, Jean, je te suis ! Que m’importe d’être là ou ailleurs, maintenant que les buts sont perdus et que les dieux sont morts ! Mais je te le dis : tu te prépares une atroce déception, une souffrance que tu pouvais éviter. Au spectacle que tu verras bientôt, quand nous atteindrons les lieux que tu cherches, tu sentiras avec plus d’âpreté que jamais, la ruine définitive de la vie civilisée et la misère sans espoir de l’avenir… "
    Le paysage lunaire hérissé de fil de fer barbelé les incite à la prudence. Entrant dans un sous-bois, ils rencontrent un vieillard isolé qui les accueille fraternellement en sa retraite. Ancien garde-chasse, à l’écart des bandes errantes qui écument le terrain, il s’est constitué un asile où il subsiste environné des éléments du passé.  Wilfrid et Jean passent chez lui une nuit agréable avant de replonger en enfer :
    " Mais les ruines sont partout ! Mais l’Europe est vide d’habitants ! Tous ceux qui ont pu fuir, ont fui cette terre d’épouvante vouée à la malédiction ! Des émigrés, par millions, sont en Amérique ou au fond de l’Océan. Comme un gigantesque coup de rabot, la peste a passé sur les peuples derrière l’orgie des massacres ; la peste avec le choléra et toutes les hideurs épidémiques qu’on ne pouvait plus enrayer ni combattre. Même, l’horrible lèpre du moyen - âge est revenue ! Quand les groupes humains sont été réduits à d’infimes tribus, la faim les a achevés. Dans certaines contrées on avait perdu jusqu’à l’usage du feu. Et ceux qui se sont suicidés de désespoir ! Et ceux qui sont devenus fous ! Maintenant, partout, la brousse s’étend, les taillis et les hautes herbes gagnent les rues des villes abandonnées. Quelques nomades errent avec de maigres troupeaux, de ci de là, au hasard des pâturages, accueillant les errants à coup de fusil. C’est la loi du plus fort qui règne… Ultima ratio… hominis. "
    Le vieillard leur signale qu’en Bretagne il subsisterait un noyau de civilisation. Les deux compagnons décidant de s’y rendre, croisent d’autres groupes nomades en cours de route. Le paysage se modifie et les traces des violences perpétrées contre la nature se font de plus en plus nombreuses. Ils s’approchent d’une cité réduite à un champ de ruines: c’est Paris. Les décombres recèlent de nombreux dangers, les rues étant parcourues par des Parisiens dégénérés, troglodytes (ils vivent dans les tunnels du métro) et cannibales de surcroît. Leur cheval ayant été abattu par ces déchets humains, ils furent obligés de se réfugier en un endroit sûr pour y passer la nuit :
    " Un salon, enseveli sous la poussière, mais dans le bon ordre des intérieurs rangés, s’ouvrait à droite. Une pendule, aux délicates sculptures d’albâtre, posée sur la cheminée, marquait une heure d’antan. Dans la glace ternie, tous les objets prenaient des formes vagues et fantomatiques. Des peintures montraient des sous-bois dans des cadres dédorés. Un divan conservait parmi ses coussins froissés la trace nette d’un corps. Ils s’arrêtèrent au seuil d’une chambre luxueuse et douillette comme un nid d’amour. Dans le lit, dressé comme un autel, où l’on aurait attendu, parmi le désordre des draps, la vision d’une femme aux chairs blanches, deux espèces de pantins desséchés répétaient la bête grimace, propre aux crânes secs. "
    Le lendemain, ils traquent la faune de la cité en ruine pour venger la mort de leur cheval. A plusieurs indices laissés par les pseudo-primitifs, ils repèrent une tanière souterraine. Prenant place dans une barque, ils suivent les couloirs d’un métro ancien rempli d’eau, aboutissant dans une ancienne station où des reliefs humains témoignent de scènes de cannibalisme. Les troglodytes s’y trouvent avec leurs femmes, assis en rond chantant une espèce de mélopée. Wilfrid désire à tout prix s’emparer d’une de ces femmes. En regagnant leur refuge avec elle, ils constatent à quel point leur prisonnière est marquée et atteinte par la syphilis. Jean commente :
    " Leur déficience physique n’est complètement explicable que par l’influence d’une maladie que je n’identifie pas… Certes la promiscuité du milieu a facilité la contamination générale par l’assouvissement des désirs sexuels. S’agit-il d’une tuberculose à forme variée ou d’un de ces maux inconnus qu’engendra le cataclysme ? (…) - Qu’a –t-elle ? - La syphilis ! C’est le mal qui les courbe sous la même misère hideuse ! "
    Abandonnant la femme, ils poursuivent leur périple en direction de la Bretagne, d’abord par Auvray puis vers Belle-Ile. En longeant la côte, ils aperçoivent des voiliers sur la mer, signes indéniables en ces lieux d’une société organisée.  La vision de champs cultivés les conforte dans cette idée. Après une arrivée délicate et un examen d’entrée serré, ils sont admis au sein de cette société de pêcheurs dirigée par le " Commandant ", un homme obèse mais non dénué de culture. Convivial, il les invite à sa table chez lui où une soirée paradisiaque leur permet de savourer un véritable repas et de faire connaissance avec les deux enfants du Commandant, Romula et Réma.
    Il leur explique les principes qui ont présidé à la mise en place de sa communauté, comment, à force d’énergie, il est parvenu à rassembler des hommes épars pour les remettre  sur le chemin de la technologie. Son seul regret est de n’avoir eu autour de lui que des êtres frustes, incapables de comprendre la grandeur de ses idées. L’arrivée de Jean et de Wilfrid allait combler cette lacune. Peu à peu, les deux hommes se rendirent indispensables et il allait de soi que l’un bientôt s’unirait à Romula et l’autre à Rema. La recherche d’autres sociétés évoluées se poursuivait conjointement, à l’aide d’un récepteur radio sauvé du désastre, pour pouvoir enter en contact avec l’Amérique. Car les Américains, dès le début du conflit, avaient coupé les ponts avec l’Europe, le continent maudit, pour ne pas être entraîné dans sa chute. Les résultats de l’écoute furent décevants : de la musique de jazz, des futilités et des anecdotes leur parvinrent seuls aux oreilles :
    " Les paroles  étaient difficiles à comprendre : l’appareil déformait en nasillements la voix déjà nasillarde du yankee chanteur. Le Commandant inclina la tête vers l’embouchure du pavillon. Plus familier que ses compagnons de l’accentuation américaine, il traduisit par bribes et constata qu’il s’agissait d’une chanson nègre. - Le sentiment artistique des Yankees se satisfait-il encore des naïvetés musicales des barbares noirs, clama Wilfrid ! La sauvagerie est donc partout ? Et Wagner, Mozart, Haydn, Schumann ? Leurs œuvres sont-elles mortes avec la civilisation ? Il cria son mépris comme si le chanteur eut pu l’entendre :- Fourmis, termites, êtres asexués, bêtes moyennes, derniers hommes ! "
    Avec le temps, Jean devint un chef écouté et Wilfrid son adjoint indispensable lorsque , soudainement, un bateau à vapeur se profila le long des côtes bretonnes. Il s’agissait d’un navire commercial américain qui comptait exploiter les restes archéologiques européens. Haxton, le capitaine, et Butler le commercial qui l’accompagnait, eurent d’emblée un contact difficile avec les autochtones. Engoncés dans leur supériorité de gens aisés, ils prennent les indigènes bretons pour des sauvages primitifs et demeurés. Ils voyagent en compagnie de Dolorès, une pure perle des Antilles, épouse de Butler, (en dépit de ses conceptions racistes)  qui fit grosse impression sur Wilfrid :
    " - Je ne me trompe pas, n’est-ce-pas, souffla Jean à l’oreille d’Haxton, Mistress Butler is a coloured woman ? - Yes ! mais ne faites jamais allusion à cette particularité devant le mari ! Le pauvre garçon a assez souffert. Son mariage l’a rejeté de la bonne société, l’a dévoyé, l’a conduit à exercer la… le métier qu’il fait. Il aimait, elle était jolie. Mais n’importe, son grand-père était un nègre. Et vous savez que chez nous… -Les noirs sont donc toujours les parias et les réprouvés de votre société ? -Plus que jamais !"
    Espérant amadouer les Européens avec de la bimbeloterie, les Américains déclenchent leur colère. Le choc culturel en se prolongeant souleva de nombreuses autres questions :
    " La créole, bavarde et candide, se demandait comment les "gentlemen" pouvaient vivre ainsi, privés de tous les agréments de l’existence. Ils n’avaient pas d’appareils ménagers, pas d’eau courante, pas de magasins à vitrine, pas de cinémas. Dans les rues de la petite ville il manquait vraiment les silhouettes d’un tramway ! Comme il devait être triste de vivre dans un pays si arriéré et si inconfortable! "
    Peu à peu l’objet de la quête des Américains se fait plus précis. Il s’agit de rapporter de là-bas des trouvailles archéologiques et notamment la fameuse Vénus de Milo qui vaudrait son pesant d’or outre-Atlantique. Mais, pour cela, il leur faudrait gagner Paris. Ne se rendant pas compte de la difficulté de l’expédition, ils ne purent partir qu’avec l’aide des Bretons qui acceptèrent de les y conduire en échange de produits de première nécessité dont ceux-ci avaient un besoin urgent. Quant à Wilfrid, il prit avec Jean le commandement de l’expédition, le premier à cause de Dolorès qui ne lui était pas indifférente, le second par désir culturel. Le trajet vers Paris s’apparenta à un cauchemar. Les chars à bœufs s’enfonçaient dans les ornières :
    " Au pas lent des bœufs, la caravane avançait sur la grande route, confondue sous la montée des herbes avec l’étendue indécise et fauve de la brousse automnale. Si des fossés et, parfois, des rangées d’arbres, subsistant de chaque côté de la voie, n’avaient constitué un sûr repère, la colonne aurait plus d’une fois perdue sa route. Les bornes étaient sous l’herbe et, souvent, indéchiffrables. Au détour de la piste herbue, la troupe d’hommes, aux courts vêtements ajustés, aux gilets de peau de mouton et aux casaques de cuir, ces guerriers qui encadraient trois lourds chariots traînés par des couples de bœufs, rappelaient tout à coup un cortège de rois Mérovingiens, de ces rois fainéants, d’une même époque de misère et de régression, parcourant la voie romaine, ensevelie comme la civilisation du monde antique."
    Poursuivis par des rôdeurs de brousse qui déclenchèrent une attaque, quelques Bretons y laissèrent leur vie.
    Grâce à Wilfrid, l’expédition se tira du mauvais pas et parvint dans les ruines de la capitale. Dolorès, depuis un bon moment déjà,  était devenue la maîtresse de Wilfrid sans que Butler ne s’en rendît compte. A Paris, le spectacle de la décrépitude et de la mort impressionne fortement les âmes naïves des Américains :
    " La vision de la cité foudroyée troublait les civilisés. Ils avaient lu dans leurs journaux des récits retraçant le lugubre état des villes du continent, mais les descriptions d’imagination, bâties sur le témoignage d’Européens fugitifs ne pouvaient donner une idée de la tragique horreur d’une capitale en ruines. Ils pressentaient obscurément que leur sécurité, leur vie facile de chaque jour n’avaient peut-être pas des lendemains assurés et, pour la première fois, ils doutèrent de la solidité de leur civilisation dont ils étaient si fiers. "
    Ils aboutissent aux monuments tant convoités et campent dans les restes de Notre-Dame. Mais cet endroit, hanté entre tous, suscite les fantômes de l’esprit. Wilfrid, qui se moque des dieux qui ont décrété la chute de l’Occident, fait l’amour à Dolorès à même le sol de ce lieu saint.
    Le lendemain commence la chasse aux trésors. La médiocrité culturelle des Américains ne leur permet pas de distinguer une œuvre d’art authentique d’entre les fausses, au grand mépris de Wilfrid :  
    " - Est-ce aussi vieux que le roi sans tête ? -   Non, la frise provient du palais de Darius, le grand Roi !  - Patron, dit un Yankee, j’ai vu dans un bar de Broadway une céramique dans le goût de celle-ci, mais elle était beaucoup moins écornée et plus fraîche. Vous n’emporterez pas ces vieilles saletés ? Butler sourit, supérieur, de toute sa mâchoire dorée. - Taisez-vous. Vous n’y entendez rien, mon pauvre garçon : cette frise vient du château du grand Marius. "
    Arrive le grand moment, la rencontre avec la Vénus de Milo: Butler est dépité:
    "- Elle est bien abîmée, constata Butler, déçu. Mais il se souvint des dollars promis et songea qu’il n’était pas un amateur mais un homme d’affaires. Il convint, bonhomme : - Enfin, puisque c’est une pièce unique in the world ! Il pensait à part lui qu’il ne donnerait pas deux dollars de ce tronçon ruineux. Sans doute le richissime amateur ferait-il réparer cette bonne femme, à laquelle on poserait des bras, dont l’un, levé dans le geste de la statue de la Liberté, brandirait un lampadaire électrique. Ce serait supportable au bas d’un escalier. "
    Les chars à bœufs, remplis à ras bord de pièces archéologiques, prirent le chemin du retour qui s’avéra être encore plus périlleux que l’aller. Des attaques en provenance d’isolés se succédèrent constamment affaiblissant drastiquement le petit groupe.
    Butler reporta son irritation sur Wilfrid dont il commença à percevoir la complicité qui l’unissait à Dolorès. Arrivés aux abords du territoire breton, une catastrophe immense les attendit : la communauté qu’avait édifiée le Commandant n’existait plus ! Elle avait été totalement anéantie et rasée par des expéditions de pirates en provenance du sud, des Vendéens. Toute la cité, tous les êtres qui leur étaient cher, ainsi que le bateau américain, avaient disparu. Le petit groupe se désintégra à cette nouvelle. Les Bretons survivants en voulurent aux Américains de les avoir entraînés en cette aventure et ils  s’entretuèrent avec vivacité. Butler fut tué de la main de Wilfrid. Au bout du rouleau, les derniers survivants se servirent des trésors archéologiques pour se réchauffer :
    " Les matelots traînèrent les toiles empaquetées, les colis bourrés de paille, tout ce que Butler avait fait emballer, envelopper, avec une attention de collectionneur. Un premier paquet de peinture, que les jeunes barbares déplièrent pour qu’il prît feu avec plus de facilité, fut jeté dans le brasier. La flamme rouge lécha puis mordit la toile peinte qui s’embrasa et les personnages, visibles sur le fond sombre, animés soudain sous l’action du feu, semblèrent se tordre dans les flammes comme des damnés. (…) Les sauvages brutaux écrasaient sous leurs bottes les Tanagras délicates, chantaient et dansaient autour du feu de joie qui achevait de consumer la civilisation. Le feu éteint, ce serait la nuit profonde, la nuit des temps très anciens. "
    Devenus agressifs envers Wilfrid à qui ils pensaient prendre Dolorès à leur tour, les derniers Bretons furent mis en fuite. Jean, Wilfrid et Dolorès restèrent seuls, dénués de tout et sans but. Jean s’étant absenté afin de pourvoir à la nourriture du groupe, Dolorès et Wilfrid se donnent la mort. C’en est trop pour Jean qui  pense, lui aussi, à mourir :
    " La neige le recouvrait déjà et ensevelissait son corps sous le contour indécis d’un linceul ! Il était si bien pourtant, si bien, plongé sans une quiétude heureuse et douce, dans un engourdissement sensuel qu’il n’avait jamais ressenti. Comme il avait été médecin, il comprit que c’était la mort qui venait. "
    Roman intense et méconnu, le " Continent maudit " mérite une mention particulière dans le genre. Jamais puérile,  l’intrigue se centre sur  deux personnages principaux dont le contraste permet à l’auteur de dévoiler au lecteur ses idées fondamentales : pessimisme fondamental quant à la possibilité de survie de l’Europe (dans la réalité de l’immédiate avant-guerre) et tentation de la " surhumanité " selon les thèses de Nietzsche, anti-américanisme profond, xénophobie et haine des races dites inférieures. L’on regrettera que l’un des romans qui soient parmi les plus denses de notre domaine soit à l’instar de " Ravage " de Barjavel, l’une des œuvres les plus conservatrices qu’il nous ait été donnée de lire.