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Livres

  1. Type: livre Thème: guerres futures 1 Auteur: Adolf SOMMERFELD Parution: 1913
    La France battue, écrasée, mise en pièces, démembrée et rendue soluble dans l’empire allemand, voilà «ce qu’on verra un jour ». La vision de Sommerfeld, crée
    « De l’outre pleine de vent dont a accouché le cerveau de l’officier français (c’est à dire le Commandant De Civrieux), (il n’a) donc pas perçu le moindre souffle. Etait-ce alors le livre de ce Français joint au fromage de roquefort ou bien était-ce bien celui-ci seul dont le parfum fit de (lui) l’émule de la Pythie (…) Il en résulta cet effrayant tableau de la dernière guerre et la chute de la France. »
    Pour lui, la France est entièrement responsable de son sort. Par traîtrise elle avait fait sauter le pacifique croiseur allemand « l’Hirondelle » qui patrouillait innocemment dans les eaux marocaines, ce qui révolta à la fois ses amis de l’Entente Cordiale (Russie et Angleterre), lesquels garderont une prudente neutralité dans le conflit futur, et mortifia dans son ensemble le peuple allemand qui déclara la guerre à sa voisine.
    L’engagement commença mal pour le coq gaulois puisque son front de l’Est, de Thionville jusqu’à Belfort, céda sous la poussée irrésistible des valeureux soldats germaniques. Une ligne irrégulière de front se stabilisa, en attendant que l’armée italienne, magnifique, ayant franchi sans coup férir le col du mont Cenis, occupa le Briançonnais, puis Grenoble  et poussa enfin jusqu’à Grasse.
    Le front maritime, en Méditerranée, se révéla tout aussi catastrophique pour la France qui perdit rapidement le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Les troupes coloniales censées défendre leur patrie fraternisèrent avec les troupes italiennes. Toulon, Marseille ainsi que d’autres places-fortes furent bombardées puis réduites à rien, jusqu’à Montpellier. Les tirailleurs sénégalais sur lesquelles les Français mirent beaucoup d’espoir, capitulèrent vite car:
    «Lorsque le combat a lieu sur une ligne de tir très étendue et à une distance d’au moins 1500 mètres (la technique de la guerre moderne) permet de prévoir la victoire finale. A cette distance, la vue et l’odorat ne jouent aucun rôle et il faut supposer que les soldats qui sont en train de charger et dont la narine est bouchée par la poussière et la fumée de la poudre ne tomberont pas en défaillance devant les exhalaisons malodorantes des Noirs.(sic!) »
    Le lendemain, les Italiens, en entrant dans la ville, s’y livrèrent à un carnage sans précédant :
    «Lorsque, le lendemain, le soleil levant parut sur Montpellier, on eût dit que la ville avait été détruite par un tremblement de terre. Partout des ruines fumantes ; sur les places et dans les rues, des monceaux de cadavres sans sépulture. Même les morts n’avaient pas été laissés en repos»
    L’escadre maritime anéantie, il ne resta à la France que deux corps d’armées : celle du Sud et celle du Nord. L’armée du Sud prit appui sur Lyon. Alors que les Allemands progressent, faisant bouger tout le front de l’Est, une lutte gigantesque s’engagea de Dijon à Châlons, atrocement meurtrière :
    « Comme des grêlons fouettés par la tempête, les myriades de projectiles des mitrailleuses balayent le champ de bataille. Avec le rauque éclat du tonnerre, les canons rugissent leur terrible chant de guerre et crachent infatigablement la mort et la dévastation, le feu et le soufre, à l’horizon lointain, où, décimés et à bout de forces, l’ennemi lutte pour un pouce de terre jusqu’au dernier soupir. »
    Elle s’acheva par la prise de Lyon. Au nord, l’armée française se replie sur Orléans au grand dam des citoyens qui se désolidarisent des militaires. L’approche des troupes ennemies, leur puissance de feu inspirent la terreur :
    «L’immense étendue de ce champ de bataille, le plus affreux de tous ceux que connaît l’histoire du monde, était parsemé de tas de cadavres hauts comme des collines et comme des montagnes. Lentement, les flocons de neige tombaient du ciel gris, en couche toujours plus épaisse, jusqu’au moment où la candide neige blanche étendit à perte de vue son linceul sur les victimes de la guerre… »
    Les morts en masse font vaciller la pusillanime velléité de l’Etat-major français qui se crut autoriser à négocier les conditions de la reddition.Un éclat de rire général teinté de mépris résonna du côté des Prussiens: Orléans leur appartenant déjà, il n’y avait plus rien à négocier !
    Avec la chute de la dernière forteresse s’ouvrit la voie vers Paris. Les centaines de milliers de prisonniers français, la perte quasi-totale de leurs moyens défensifs, n’arrêtèrent cependant pas les Parisiens dans leur folie de s’opposer à l’invasion. Les chefs légitimes de la cité ayant été démis par les idéologues et les anarchistes, ceux-ci, de manière brouillonne, placèrent tous leurs espoirs dans une défense aérienne de la ville, sans tenir compte des armes secrètes allemandes :
    « Presqu’aussitôt le ciel fut obscurci par une sombre armée de monstres qui partaient à grand bruit, dans toutes les directions de la rose des vents et qui, dans la détonation de certains gaz explosifs, laissaient tomber des excréments en forme de boulettes. Ces boulettes se dilataient au fur et à mesure qu’elles s’approchaient du sol, et, au moindre contact, elles éclataient comme des grenades d’artillerie, en répandant autour d’elles une grêle de petits projectiles
    Au premier moment, quelques centaines de soldats furent les victimes de ces bêtes ailées dont l’action, sans être écrasante, n’en aurait pas moins, en fait, été sensible, si les bombes asphyxiantes des Allemands n’étaient pas venues donner le coup de grâce aux pilotes en train de se soulager comme l’on sait. »
    Les Parisiens, d’abord sous le choc, défendront leur capitale, maison après maison, avant d’être vaincus et de subir toute la rigueur prussienne :
    « Mais à peine les soldats s’étaient-ils dispersés dans les places et les rues que, soudain, toutes les fenêtres jusqu’alors tenues fermées et derrière lesquelles étaient cachés les soldats français s’ouvrirent, et il tomba sur le dos des envahisseurs une avalanche de balles. Il en résulta d’abord un effroyable désordre ; beaucoup d’Italiens succombèrent ici sous les coups de la trahison. »
    Le traité de Zurich, auquel se joignirent les autres pays européens, opéra la mise en pièces de la France qui cessa d’exister au profit de l’empire prussien et de l’Italie. Selon l’auteur, cette conclusion s’explique aisément par la décomposition des vertus françaises :
    « Les vices latents qui avaient toujours existé dans la race se déployèrent de plus en plus. Les enfants français devinrent une rareté, l’absinthe s’affirma encore davantage comme la boisson nationale et ici aussi se manifesta l’étrange phénomène que l’on avait déjà pu constater chez les Polonais, à savoir, qu’après la chute d’une nation toute la race penche vers la ruine et devient la proie de la phtisie. »
    D’autre part, l’Allemagne qui a pour elle la probité et l’innocence, s’est trouvée dans l’obligation de défendre sa culture et ses valeurs :
    « La guerre est terrible, mais la peur de la guerre est encore plus terrible. A chacun donc de placer sa guérite devant sa porte, de hérisser son château-fort de bouches à feu et de s’équiper, -de s’équiper, non pas seulement pour la défensive, - ah ! certes, non, - mais pour porter droit devant soi un coup unique qui écrase à jamais l’ennemi héréditaire, -puisque tous les procédés humains n’ont pu venir à bout de la haine et du ressentiment, de l’envie et de l’ambition. »
    Authentique brûlot littéraire et militaire à ranger, au choix, dans la catégorie des uchronies ou des guerres futures, « le Partage de la France » souleva de nombreuses protestations. L’évocation de la lâcheté française et du désastre total – même conjectural- subi par notre pays, fit grincer des dents et appela une réponse cinglante, dans le même esprit, avec la parution en parallèle du « Partage de l’Allemagne ».

  2. Type: livre Thème: menaces animales Auteur: Max André RAYJEAN Parution: 1960
    Le péril des hommes ce sont les femmes, c’est bien connu. Trois gynécologues décident de sauver l’espèce humaine. Celle-ci est condamnée, puisque, pour des raisons inconnues,  les femmes ne mettent plus au monde que des garçons. Or, sans femmes... Les années passent et nos gynécologues, pressés par l’échéance de la ménopause pour les rares femmes encore en état de concevoir, proposent un plan hardi. Il s’agit de les enlever à leurs maris respectifs, de les amener sur Cérès, un astéroïde, dans une cité parfaitement aménagée pour pratiquer sur elles des expériences de parthénogenèse, actions de la dernière chance. Celles-ci échouent également. Nos gynécologues, découragés, passent la main à leurs fils, gynécologues, eux aussi (C’est une vocation familiale !):
    " Clider, Nitosh et Horray avaient chacun un fils, John, Mac et François. Ces derniers, après de brillantes études dans les universités de Londres, de Washington et de Paris, suivaient les traces de leurs pères. Tous trois avaient déjà atteint la trentaine. Mac étant l’aîné, que déjà, ils étaient célèbres dans le monde. Il est vrai qu’ils avaient de qui tenir!  Un jour, se jugeant trop vieux, leurs parents décidèrent de passer le relais à leurs fils. Ceux-ci débarquèrent donc un beau matin sur Cérès. Les trois jeunes docteurs présentaient des visages énergiques et ils étaient décidés à tenter quelque chose. "
    Voilà où en sont les choses lorsque nos jeunes savants se font kidnapper par un vaisseau spatial qui les emmène sur une lointaine planète, Méphyr, dans le système de Procyon. Les Méphyriens sont des êtres protéiformes dont la passion est de se calquer au physique et au mental sur des êtres plus évolués  afin de pouvoir progresser eux-mêmes. Or, merveille troublante, les terriens représentent pour les Méphyriens le sommet de l’évolution. Composée d’une seule cellule, Naru,  l’un des chefs méphyriens est volontaire. Il se transforme physiquement en terrien.
    Nos amis vont-ils le laisser faire? Un plan extraordinaire jaillit dans leurs esprits. Si les Méphyriens sont capables de devenir terriens pourquoi ne soumettraient-ils pas Xys, leur gardien, à la métamorphose en le transformant en... femme nubile? L’expérience est ardue, mais ils n’hésitent pas un seul instant: estourbissant Xys, ils reprogramment la machine des Méphyriens:
    " Rook ne se lassait pas d’admirer Xyse sous tous ses angles. Il hochait sans cesse la tête, admiratif: - Une perfection! gloussa-t-il . Je n’aurais jamais cru qu’il fût possible de créer un être aussi ressemblant. Une vraie femme, et qui me ressemble! Nitosh tapota l’épaule du capitaine: -Il faut habiter Méphyr pour parvenir à un tel résultat! Quand je pense que les aïeux de Xyse étaient de vulgaires paquets de gélatine, et que maintenant... "
    Et Xys devint Xyse, une merveilleuse femelle humaine apte à procréer (cela se vérifiera très facilement) et de plus épousant le parti des Terriens. Elle les aide à fuir les Méphyriens: direction la Terre. Enceinte des oeuvres de l’un des gynécologues (le Français), Xyse fera l’admiration des habitants de la terre. Un bébé femelle naîtra d’elle parfaitement constitué. L’espérance est donc revenue, mais fragile, car cela ne suffira vraisemblablement pas à enrayer la disparition de l’espèce humaine. Or, oyez le nouveau miracle: l’arrivée d’un deuxième vaisseau méphyrien qui annonce que l’ensemble des habitants de Procyon, convaincus de l’excellence de l’enveloppe humaine, et encore plus de celle de la femme, sont prêts à se transformer en de sincères et loyales épouses pour les Terriens. Un triple ban pour nos trois gynécologues qui ont réussi à sortir le genre humain de l’impasse!
    Un récit de bric et de broc, à l’intrigue décousue, aux invraisemblances majeures, avec des marionnettes à la place des personnages, bref un florilège de tout ce qu’il faut réunir pour constituer un mauvais roman et discréditer le genre. Heureusement, il reste les couvertures de Brantonne...

  3. Type: livre Thème: l’air empoisonné Auteur: M.P. SHIEL Parution: 1901
    Adam Jefferson revient d’un voyage au pôle où il été épargné par la mort qui a frappé l’humanité entière sous la forme d’un immense nuage d’acide hydrocyanique en provenance d’une éruption volcanique (le livre a été édité en 1901 et le désastre du Krakatoa est encore présent dans les mémoires). Il redescend vers le sud en un long périple où la description des cadavres en petits paquets ou en masse attire le romancier par un voyeurisme teinté de sadisme, sur plus de cent cinquante pages:
    " Dans les chambres et les escaliers de toutes les maisons, les morts étaient empilés les uns sur les autres et je ne pouvais pas faire trois pas dans les rues sans être obligé d’enjamber des cadavres. J’allai à la prison du Comté. D’après ce que j’avais lu on avait relâché les prisonniers. Pourtant j’y trouvai autant de cadavres que partout ailleurs. Chaque cellule était occupée par au moins dix personnes; les corridors étaient jonchés de visages exsangues et de guenilles venues d’on ne sait quelle foire aux puces.
    Dans la cour centrale, c’était un entassement innommable, de chairs éclatées et de chiffons barbouillés de sang. C’était sans doute le résultat de l’explosion d’une chaudière. Près de la fabrique de biscuits, je vis un jeune aveugle enchaîné à un chien que l’ouragan avait projeté contre un mur et laissé là, dans une étrange posture, le bras bizarrement tendu au-dessus de l’animal, comme s’il avait voulu m’en faire cadeau. D’une façon générale, la plupart des cadavres que je rencontrai avaient été malmenés, déshabillés et défigurés par la tempête, comme si la Terre avait tenté, mais en vain, de nettoyer les rues.(...)  J’arrivai sous la verrière de la gare. Le silence de la nuit était total. Pas de lune, pas d’étoiles. Il était environ 11 heures. Je vis alors, que pour avancer, les trains avaient dû repousser des milliers de corps qui s’entassaient sur le ballast, mais ils avaient passé, tandis que moi je ne pouvais marcher sans piétiner les morts. Il y en avait partout, sur les toits des wagons, entre les wagons, sur les quais, écrasés contre les piliers, empilés dans des chariots.
    Dehors, il n’y avait pas un espace libre entre les milliers de véhicules. Les morts tapissaient littéralement le pavé de ce quartier de Londres. Et, là encore, l’odeur de pêcher qui - sauf sur un bateau - charnier - ne cessait d’embaumer le monde, se faisait sentir mais elle était maintenant dominée par une autre. Si l’âme des hommes, me disais-je, avait vomi au ciel cette odeur de chair que je ne connaissais que trop, rien d’étonnant que les choses soient dans cet état.
    (...) Je sortis de la gare en larmes, m’attendant presque à retrouver la rumeur de la rue, moi qui étais maintenant habitué à ce grand vide silencieux. Qu’allais-je faire? Mes anciennes terreurs m’envahirent . C’est dans un état d’esprit pitoyable que je reconnus la longue rue lugubre, sans lumières et sans son animation habituelle, telle une Babylone dévastée.
    Au lieu de l’ancienne rumeur, je n’entendais qu’un silence étourdissant qui montai jusqu’au ciel pour se mêler au silence des éternels luminaires qui brillent là-haut. Toutes le voitures que je voyais étaient inutilisables, tant elles étaient agglutinées les unes contre les autres, comme soudées en un seul bloc. Toutefois, près du Park, que j’atteignis en me glissant entre les roues et en avançant avec d’infinies précautions, je finis par trouver un coupé dont le réservoir était plein.. J’enlevai, non sans dégoût, les quatre corps qui l’occupaient, je m’installai au volant et mis le moteur en marche. En pétaradant à travers les rues dont je brisai le silence sépulcral, je poursuivis ma route vers l’est de la ville en écrasant une foule de cadavres. "
    En face de la ruine universelle, Adam Jefferson se pose le problème de sa propre survie. Certainement désigné par le destin (mais lequel?), lui seul demeurerait sur la terre (mais pourquoi?). En proie à un désespoir sans bornes, sa seule réaction sera destructrice. Afin d’imprimer "sa" marque à "son" monde, il voyage de continents en continents pour brûler, selon son bon plaisir, les villes encore debout:
    " Je revins à Vaucaire qu’un mois plus tard, laissant derrière moi des villes en ruine et des forêts en flammes. J’avais incendié Bordeaux, Livourne, Bergerac ".
    A Constantinople, l’incroyable se produisit : il rencontra une jeune fille épargnée par le fléau. Allait-il être le nouvel Adam et elle la nouvelle Eve? Hélas!, non. Jefferson est misogyne et jaloux de sa solitude ce qui n’est pas le meilleur départ pour une nombreuse descendance:
    " Quand je la quittais ce soir-là, elle essaya encore une fois de me suivre. Je cassai une branche de sassafras et je la cravachai à trois reprises jusqu’à ce qu’elle déguerpisse en pleurant. "
    Plutôt expéditif, Jefferson ne connaît pas les affres du désir. Cependant, les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. L’auteur et son héros reviendront à de meilleurs sentiments et la femme, "une protégée" selon l’expression du romancier , aura malgré tout la possibilité de  s’unir à Jefferson. Le monde sera sauvé!
    Le roman de Shiel est significatif des débuts du genre. C’est l’un des tous premiers romans concernant l’empoisonnement de l’atmosphère. Ce thème aura une féconde pérennité, relancée par Camille Flammarion dans " la fin du monde " où c’est l’approche d’une comète (celle de Halley en 1902) qui déterminera l’empoisonnement du globe. Il sera suivi par la "Ceinture empoisonnée" de Conan Doyle, et d’autres récits comme "le Nuage vert" de Neil. Le romancier insiste sur l’ivresse immédiate du dernier homme livré à ses fantasmes, motif récurrent du genre. Chez lui la description monomaniaque des cadavres et de la décomposition, les sentiments misogynes forcenés prennent une ampleur rarement rencontrée dans d’autres récits.  Quoique contestable philosophiquement, Shiel fait oeuvre de précurseur et à ce titre mérite une place particulière dans l’histoire du roman cataclysmique.

  4. Type: livre Thème: la nouvelle glaciation Auteur: Michel MOORCOCK Parution: 1969
    "Konrad aperçut Friesgalt à peine plus de huit heures après le lever du jour. Comme chacune des Huit Cités, elle s’étendait sous la surface de la glace, dans les parois d’une immense crevasse naturelle profonde de près d’un mille. Ses pièces et ses allées principales étaient creusées dans le roc qui commençait plusieurs centaines de pieds au-dessous, bien que bon nombre de ses entreôts et de ses pièces supérieures fussent taillés dans la glace même. Depuis la surface, on ne pouvait pas voir grand-chose de Friesgalt; la seule chose que l’on pouvait remarquer facilement était la muraille de blocs de glace qui entourait la crevasse et protégeait l’entrée de la cité contre les éléments et les ennemis humains. Cependant, c’étaient les rangées de mâts des hauts navires qui indiquaient vraiment l’emplacement de la cité. Il semblait, à première vue, qu’une forêt poussait hors de la glace, une forêt dont chaque arbre était symétrique, chaque branche droite et horizontale; une forêt touffue, calme, menaçante même, qui défiait la nature et ressemblait au rêve de paysage idéalement dessinée d’un ancien géomètre.
    Quand il fut assez près pour distinguer plus de détails, Arflane vit que cinquante ou soixante navires des glaces de bonne taille étaient ancrés dans la glace par des amarres attachées à des pieux d’os que l’on avait enfoncé dans la surface solide. Les coques en fibre de verre patinée étaient rayées par des siècles d’usage et la plupart des accessoires n’étaient pas des pièces d’origine mais des copies faites dans des matériaux naturels. Les bittes d’amarrage avaient été taillées dans de l’ivoire de morse, les bouts-dehors façonnés dans de l’os de baleine, et le capelage était un mélange de nylon précieux, de boyaux et de lanières de peaux de phoque. Bon nombre de patins étaient eux aussi, faits d’os de baleine, de même que les espars qui les reliaient aux coques. Les voiles, tout comme les coques, étaient faites en tissu synthétique d’origine. Il y avait dans chaque cité de grandes réserves de toiles à voile en nylon; en fait, leur économie même reposait principalement sur les quantités de tissu entreposées dans les magasins des diverses cités. Tous les navires, sauf un qui se préparait à partir, avaient leurs voiles ferlées de près. Les docks de Friesgalt, qui contenaient vingt navires en longueur et trois en largeur, étaient impressionnants. On n’y trouvait aucun navire récent. Il n’y avait aucun moyen dans le monde d’Arflane, d’en construire de nouveaux. Mais, si tous les navires étaient usés par les ans, ils n’en paraissaient pas moins robustes et puissants, dotés chacun d’une ligne personnelle, due en grande partie aux nombreux ornements dont les avaient dotés des générations de patrons et d’hommes d’équipage, et aussi aux gréements favoris des différents capitaines ou propriétaires.
    Les vergues des mâts, le capelage, les ponts et la glace a l’entour étaient noirs de marins au travail, vêtus de fourrure, dont le souffle se condensait au contact de l’air froid, tandis qu’ils chargeaient et déchargeaient les vaisseaux, accomplissaient des réparations et mettaient de l’ordre dans leurs canots. Des tas de peaux dénudées, des tonneaux et des caisses se trouvaient près des navires. Les grues de levage surplombaient les flancs des vaisseaux pour remonter les marchandises jusqu’à la hauteur du pont, puis se balançaient au-dessus des entrées des panneaux avant de laisser tomber les ballots et les tonneaux entre les mains des hommes dont le travail consistait à s’occuper de l’arrimage.
    D’autres cargaisons étaient empilées sur des traîneaux tirés par des chiens ou par des hommes jusqu’à la cité.
    A quelques distances de là, une baleinière embarquait son équipage. Les chasseurs de baleine se tenaient d’habitude à l’écart des autres marins, dédaignant leur compagnie, et les équipages des navires commerciaux ne s’en plaignaient pas: car les baleines, que ce fut ceux de la Glace du Nord ou ceux de la Glace du Sud, avaient des distractions pour le moins bruyantes. C’étaient presque tous des hommes de grande taille, qui se carraient en marchant avec leurs harpons de dix pieds de long sur les épaules, sans se préoccuper de l’endroit où ils les balançaient. Ils portaient aussi la barbe épaisse et fournie; leurs cheveux aussi étaient épais et beaucoup plus longs que la normale. De même que leurs barbes, ils étaient souvent tressés et maintenus en place avec de la graisse de baleine, d’une manière étrange et barbare. Ils avaient de riches fourrures, celles-là même que portaient normalement les aristocrates, car les baleiniers pouvaient se procurer tout ce qui leur plaisait si leurs affaires marchaient bien; mais ces fourrures étaient tachées, et ils ne les revêtaient qu’occasionnellement. Pendant presque toute sa carrière, Arflane avait été patron d’une baleinière et il éprouvait de la sympathie pour ces marins à voix rude, venus de la Glace du Nord, qui, maintenant regagnaient leurs bâtiments. Arflane enfonça profondément ses harpons dans la glace et propulsa en avant ses skis surchargés, glissant maintenant entre les lignes et les coques des navires, évitant les marins curieux qui le regardaient sans cesse à leur travail, et se dirigeant vers la haute muraille de glace qui protégeait la cité - crevasse de Friesgalt."
    Le Capitaine Conrad Arflane est en route vers Friesgalt, l’une des huit cités du plateau du Matto-Grosso creusées dans la glace.
    De retour de la chasse à la baleine des glaces avec son équipage, il aperçoit un vieillard agonisant sur la banquise. Il le sauve, répondant à une impulsion subite et contraire au code de sa religion la Glace-Mère qui lui enjoint de ne s’occuper que de sa propre personne. Il s’agit de Pyotr Rorsefne, le patriarche du puissant clan des Rorsefne, famille dominante de la cité de Friesgalt.
    Pour le remercier,  les Rorsefne lui offrent l’hospitalité. Des rapports étranges le lient bientôt aux divers membres de la famille, à Manfred Rorsefne, le neveu, jeune homme intelligent, mince et brave, mais mystérieux, à Ulrica Ulsenn, fille de Pytor, dont il tombera éperdument amoureux, à Ulsenn lui-même, le mari d’Ulrica, qui le haïra jusqu’à sa mort, enfin à la figure énigmatique d’Urquart le harponneur, un géant apparenté aux Rorsefne par la mère, à la personnalité complexe et archaïque.
    Pytor  mourra mais, dans son testament,  il propose à Arflane de prendre le commandement de son plus puissant trois-Mâts, l’Esprit des Glaces, pour parfaire la quête dont il rêvait, celle de retrouver vers le Nord la mythique cité de New York, le coeur de la Glace-Mère.
    Arflane s’embarquera après avoir choisi soigneusement son équipage, en compagnie des autres membres de la famille,  muni des plans que lui avait laissés le seigneur Pytor. Ils se dirigent d’abord vers l’équateur, glissant vertigineusement, toute voiles dehors, sur l’océan gelé.  Le voyage est plutôt grisant quoique l’hostilité d’Ulsenn commence à devenir manifeste. Il est vrai qu’Ulrica s’était donnée de son plein gré à Arflane, puis, bourrelée de remords, s’est retirée dans ses quartiers.
    L’humeur d’Arflane est massacrante. Son tempérament renfermé devient insupportable aux membres de l’équipage qui commencent à murmurer contre lui.  La traversée est interrompue par des dangers pressants laissant peu de place aux sentiments: se détourner d’une crevasse qui manque de les engloutir, résister à un assaut de sauvages nomades des glaces montées sur des ours, s’occuper de renouveler les vivres par une inespérée chasse à la baleine. Seul Urquart, solide au poste, ne craignant pas le froid, restera durant le trajet indéfectiblement fidèle à Arflane.
    Au fur et à mesure que la traversée approche de son but, les passions s’exacerbent. Lors d’un début de mutinerie vite réprimée, Ulsenn est enfermé dans sa cabine et de nombreux matelots meurent, soit en tombant sous les coups de javelots des sauvages, soit sous les patins du bateau.
    Ils arrivent enfin aux abords du plateau continental dans un immense défilé où les vents qui s’y engouffrent propulsent le bateau à une vitesse inimaginable. Celui-ci n’est plus gouvernable et malgré la peur intense des matelots, le seul espoir de survie qui subsiste est de sortir du défilé. Or, celui-ci  se resserre en un goulet qui constitue un piège fatal.
    Arflane jette les ancres en désespoir de cause. A cause de la vitesse acquise, le bateau ne peut freiner à temps ; il heurte le rebord de glace, projette ses occupants au loin tandis que la coque se délite entièrement. Seuls restent en vie les principaux protagonistes. Sauf à mourir de froid sur la glace, ils n’ont d’autre alternative que de se rapprocher de New York sur des skis improvisés.
    Après avoir marché des jours entiers dans la tempête et atteint le seuil de l’épuisement , ils font à nouveau la rencontre de nomades des glaces et seront faits prisonniers sachant d’avance le sort qui leur sera réservé. Arflane, sortant de son évanouissement, aperçoit Urquart, manifestement libre, en tractation avec le chef des nomades. Urquart est ravi car il avait entrepris ce voyage pour être un jour en mesure de se venger des Rorsefne qui l’ont rejeté quand il était encore enfant. Il songe à mettre à mort Manfred et Ulrica. Libéré de ses liens par Ulsenn, Arflane se jette sur Urquart et lui enfonce son harpon dans la poitrine. Ce dernier avait cependant eu le temps d’émasculer Manfred qui ne survivra pas à ses blessures. Après un moment de flottement, le chef des nomades décide que l’esprit de la Glace-Mère est satisfait et les laisse repartir en direction de la cité dont les tours brillent à l’horizon:
    " Quand ils aperçurent les tours élancées de New York, ils s’arrêtèrent, frappés d’étonnement. Arflane comprit que Pyotr Rorsefne avait été particulièrement peu éloquent pour les décrire. Elles étaient magnifiques. Elles étaient resplendissantes. Le petit groupe s’arrêta dans la confusion et les ours grattèrent nerveusement la glace, comprenant peut-être les sensations mêlées de leurs cavaliers qui regardaient la cité de verre, de métal et de pierre qui se dressaient jusqu’aux nuages. Les tours flamboyaient. Des immensités de glace miroitante reflétaient des couleurs changeantes et Arflane se souvint de la légende se demandant quelle pouvait bien être la hauteur des tours, si elles s’enfonçaient dans la glace aussi profondément qu’elles s’élevaient au-dessus."
    Parvenus au coeur de la cité, ils apprendront la vérité sur leur monde de la bouche de l’un des habitants. Les huit Cités du Matto-Grosso contiennent les descendants des colons de l’Antarctique tandis que la cité de New York abrite les descendant des colonies de l’Arctique, colonies dont l’existence remontait à plus de deux mille ans. Chacune s’est adaptée selon ses possibilités, la première en développant une civilisation basée sur le froid, les autres en s’enfonçant profondément dans le sol. Ce sont les expériences nucléaires de jadis, associées à un changement climatique fondamental, qui avaient provoqué l’intense glaciation laquelle, actuellement, tendait à se réduire, aidée en cela par la technologie sauvegardée dans la cité.
    Peter Ballantine, leur guide, espère renvoyer Ulrica et Arflane à Friesgalt pour qu’ils dévoilent la nouvelle situation aux leurs.  Arflane, choqué par ces révélations qui transgressent si manifestement sa culture de primitif et sa religion, poursuivra seul et farouche sa quête vers la Glace-Mère du Nord, pour y périr sans doute, pendant que Ulrica se fera raccompagner en hélicoptère chez les siens.
    Un roman d’une sauvage beauté, flamboyant et héroïque. Les personnages sont exceptionnels, la nature glacée magnifiquement décrite avec poésie et fureur, l’argument de la quête initiatique développé suivant les canons du genre. Moorcok signe une oeuvre magistrale dont le thème post cataclysmique est le prétexte à une épopée individuelle.

  5. Type: livre Thème: la nouvelle glaciation Auteur: Keith ROBERTS Parution: 1971
    Frey Skalter, accompagné du jeune Dimbo le muet,  rencontre Shurl, la fille du patron de la taverne du Roi Noir dont il tombe amoureux. En provenance de la cité de Friesgalt, le harponneur de baleines a parcouru la vaste plaine glacée "  «que les hommes avaient autrefois appelée le Matto Grosso» pour rencontrer son destin dans la cité glaciaire de Djobhabn.
    Le risque et la mort, en sus de l’amour, l’attendent en la personne de Barre-Droite, capitaine d’une baleinière «la Garce aux Baisers», un géant à qui Skalter avait , quelque temps auparavant, enlevé un œil. Les mœurs brutales en cette nouvelle ère glaciaire sont monnaie courante  et Skalter sait qu’il lui faudra tuer Barre-Droite s’il veut écarter le danger qui le menace. Shurl le suivra dans son épopée, sur "la Danseuse ", le bateau à voiles de Skalter, lequel ne pourra cependant distancer celui de Barre-Droite, car :
    «La Garce aux Baisers  n’avait  rien d’éthéré. Sa masse se dressait à contre-jour, et le soleil était éblouissant entre ses patins larges et écartés ; Son ombre noire et pointue s’étirait en avant comme pour engloutir le petit bâtiment. Skalter observa les complexités du gréement, le sourire caverneux des crânes de baleines terrestres béant à sa proue.»
    Barre-Droite tuera Dimbo, capturera Skalter, le soumettant avec délectation à la torture du froid glacial avant de l’éliminer. Ce délai suffira à notre héros pour immobiliser les patins à glace du gigantesque navire à l’aide de poutres, le faisant basculer dans une crevasse et anéantissant du même coup l’équipage ennemi. Plus tard, il sera récupéré avec Shurl par ses concitoyens de Friesgat. Ainsi va la vie en cette période sauvage et glacée !
    "Le Naufrage de la Garce aux Baisers" est à la fois un hommage appuyé à Moorcok et un prolongement de son œuvre "le Navire des Glaces" qui avait fortement impressionné Keith Roberts. Une nouvelle réussie surtout à travers la peinture de la sauvagerie des mœurs dans un univers rude et glacé.

  6. Type: livre Thème: menaces cosmiques Auteur: Christiane FOURNIER Parution: 1941
    Franz, jeune homme d’une vingtaine d’années, parcourt les gorges du Verdon, une région qu’il affectionne, avec son ami Claude. Le soir venu, celui-ci disparaît alors que Franz , par hasard, découvre dans une cavité située sous un gros rocher un manuscrit en latin. Il s’agit d’une prophétie de l’illustre physicien Gassendi. Celui-ci prédit pour l’année 1954 (nous sommes en 1952) des bouleversements cataclysmiques sur la terre. Selon lui, la lune éclatera subitement en morceaux par l’activité  des taches solaires , ce qui ne sera pas sans influence sur notre globe : " Luna in permultos satteles distrahetur  (La lune se divisera en multiples fragments.) "
    Franz prend cette histoire très à cœur et confie le manuscrit à Nadège sa petite amie en lui faisant jurer de garder le secret. Mal lui en prend. Le lendemain, elle l’a déjà trahi en remettant le document entre les mains de Claude qui disparaît au Japon (!) emportant l’ultime preuve du cataclysme annoncé. Franz fait ce qu’il peut pour prévenir ses semblables. Il demande audience à l’Académie des Sciences à Paris et se fait proprement éjecter. Les gens de sa région le prennent pour un fou. Nadège même, sa tendre petite amie, le bat froid. Désespéré, il erre dans la montagne pour retrouver une preuve de ce qu’il annonce partout à corps et à cris. Rien n’y fait.  Si ce n’est qu’à l’heure dite, la lune disparaît du ciel et que tombent des bolides sur la terre. Les conséquences de la catastrophe sont terribles : la pesanteur augmente et surtout l’oxygène de l’air se raréfie. Les cardiaques, les vieillards, les enfants, les gens faibles meurent asphyxiés.
    Nadège , la pâle petite amie chlorotique de Franz, atteinte par le mal, fait amende honorable et regrette ses agissements. Pas bégueule, Franz l’installe sous une tente à oxygène, car, lui au moins avait prévu le manque d’oxygène. Claude, le grand absent du récit, lui renvoie d’urgence le manuscrit volé à partir du Japon. Que faire ? Les ouvriers et habitants de la Provence accordent unanimement leur confiance à Franz (n’avait-il pas pressenti l’événement avec justesse ?) quand celui-ci leur indique un moyen susceptible de les sauver.  Grâce à de l’eau jetée sur un bolide lunaire, il arrive à en extraire un corps radioactif, le lunarium, qui aura la propriété de régénérer l’oxygène terrestre. Hourrah ! le monde est sauvé ! Des fragments de bolide serviront de par le monde à réanimer toutes les populations qui se sentaient déjà condamnées. Franz, marié à Nadège (à sa place, on aurait hésité), sera adulé et riche mais n’aura pour toute ambition que de continuer ses chères expériences de chimie dans sa chère vallée de Haute Provence.
    Une nouvelle gentillette qui n’a pas peur de friser le ridicule ni " l‘héneaurme ", dans la tradition des opuscules pour adolescents de l’immédiate après-guerre

  7. Type: livre Thème: l’entropie progresse... Auteur: Sébastien LAPAQUE Parution: 2004
    Le journal intime de Franck Dumoncel rapporte ces événements tragiques : le gouvernement, pour remplir les caisses d’un Etat mises à mal, a décidé la privatisation des lettres « inutiles » de l’alphabet.
    Sauf à en racheter les droits d’une manière temporaire ou définitive (beaucoup plus cher !), des phrases telles que : «un grizzly peroxydé zozote dans un blizzard moyenâgeux…» seront totalement interdites. Devant le succès remporté par l’initiative gouvernementale, toutes les lettres seront progressivement privatisées, jusqu’à la …***.
    Une idée neuve et poétique, une nouvelle percutante dans sa brièveté.

  8. Type: livre Thème: menaces climatiques Auteur: J.G. BALLARD Parution: 1962
    "Bientôt, il ferait trop chaud. Il était un peu plus de huit heures. Du balcon de l’hôtel, Kerans observait le soleil se lever derrière les bosquets touffus de gymnospermes géants qui envahissaient les toits des grands magasins abandonnés à quelque quatre cents mètres de là, sur la rive est de la lagune. (...) Le disque solaire ne formait plus une sphère aussi nette, mais une grande ellipse étalée qui, à l’orient, se déployait sur l’horizon, comme une boule de feu colossale; son reflet dans la lagune transformait la surface de plomb éteint en une carapace de cuivre éblouissant".
    Le soleil a changé de forme en devenant plus chaud. Les glaciers fondent. La transgression marine, inexorable, se produit partout. Les hommes meurent ou émigrent vers les pôles. Le reste de la planète est livré à une végétation de type secondaire, gymnospermes, prêles, fougères géantes, et des marécages où s’ébattent quantité d’iguanes:
    "Tout le long du ruisseau, perchés aux fenêtres des immeubles et des grands magasins, les iguanes les regardaient passer, secouant leur gueule dure et figée de manière raide et saccadée. Ils se lancèrent dans le sillage du canot, happant les insectes délogés des mauvaises herbes et des troncs d’arbre pourris, puis regaèrent, en traversant les fenêtres à la nage et escaladant les escaliers, leurs positions stratégiques, les uns sur les autres, en piles hautes de trois pieds. Ces lagunes et ces ruisseaux dans les immeubles à demi engloutis eussent été d’une étrange et irréelle beauté, sans ces reptiles; mais iguanes et basilics avaient dépouillé ce monde de tout caractère fantastique. Comme l’indiquaient leurs sièges dans ces salles de conseil provisoire, ils régnaient sur la cité. Une fois de plus, ils représentaient la vie de façon dominante. Kerans leva les yeux sur ces vieilles têtes impassibles et comprit la peur bizarre qu’elles suscitaient: elles évoquaient les scènes terrifiantes des jungles des premiers temps du paléogène, à l’époque où l ’ apparition des mammifères domina le règne des reptiles et il ressentit cette haine implacable qu’éprouvent les reésentants d’une espèce biologique envers ceux d’une autre qui leur a usurpé la place."
    Kérans reste dans les étages supérieurs de la ville morte. Il avait fait partie d’une expédition qui avait eu pour mission de décrire les nouvelles conditions de vie sur la planète terre. Il abandonnera ses compagnons afin de s’étudier lui-même dans le silence mouillé d’une ville engloutie. Les autres humains constitueront un obstacle à son désir de régression. Au moyen de puissantes autopompes, ils libèrent un quartier urbain soigneusement délimité de l’eau qui le recouvre. Un tel acte apparaît sacrilège à Kerans:
    "A une vingtaine de mètres sous le canot, une allée grise s’allongeait entre les immeubles, toute droite, reste de quelques grandes artères d’autrefois. Les carcasses bossues de voitures rouillées stationnaient toujours sur les bas-côtés. Un cercle de constructions intactes et par conséquent peu embourbées, entourait la plupart des lagunes, au centre de la ville. Dépouillés de toute végétation, Si ce n’est quelques massifs de touffes de sargasses, les rues et les magasins avaient été entièrement préservés; tout cela ressemblait à un tableau reflété par un lac, qui, on ne sait comment, avait perdu son modèle original. La ville elle-même avait disparu depuis longtemps; les constructions bâties sur acier des centres commerciaux et financiers avaient seules survécu à l’envahissement des eaux. Les maisons en brique et les usines à un étage avaient totalement disparu sous les tapis de vase. Aux seuls endroits où elles émergeaient, des forêts géantes d’un vert morne et incandescent, s’élevaient dans le ciel, étouffant les champs de blé qui recouvraient autrefois l’Europe tempérée et l’Amérique du Nord. Forêts impénétrables du Matto Grosso, atteignant parfois une centaine de mètres de haut, monde de cauchemar où rivalisaient dans leur retour précipité vers un passé paléolithique toutes les formes organiques; les seules voies de transit pour les unités militaires des Nations unies passaient par cette série de lagunes qui s’étaient accumuées sur les cités anciennes. Mais ces passages eux-mêmes étaient maintenant submergés, après avoir été obstrués par la vase."
    Il finira par s’opposer au groupe et un seul désir subsistera dans sa tête: "aller vers le Sud et la chaleur intense et les lagunes submergées de l’Equateur."
    Peu à peu, une étrange métamorphose s’opère en lui. Il devient indolent, calme, étrange à nos yeux, comme l’iguane dont il prend progressivement les attitudes. Son psychisme se met à vibrer à l’unisson de la grande régression et se dirige successivement, traversant des strates de plus en plus profondes, vers son noyau primitif, l’archéo-cerveau ou cerveau reptilien. A la régression planétaire  répond la régression du héros. Elle n’est pas à considérer comme plongée autistique dans le monde de l’enfance mais quête douloureuse d’une identité propre. Bientôt le Monde englouti et l’homme Kérans, isolé en son moi primitif,  ne feront plus qu’un. Kérans ira se perdre au Sud.
    L’inimitable style de Ballard fait émerger des plages d’impression. Chaleur, humidité, touffeur et calme, puissance végétale sont les seuls états que le lecteur partage avec Kérans. Ballard, contrairement à de nombreux autres auteurs du genre, ne reste pas au niveau d’une description sensationnaliste. Pour lui, la catastrophe est prétexte à une approche phénoménologique des êtres. Coït de l’eau et du feu, le "Monde englouti" reste un chef-d’oeuvre du genre cataclysmique.
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  9. Type: livre Thème: épidémies, le dernier homme, fins du monde, fins de l'humanité Auteur: Jean-Pierre ANDREVON Parution: 2006
    les titres des nouvelles sont :
    De longues vacances en perspective
    Eau de boudin
    Le Zoo
    Une orange bleue vue d’en haut
    La Plaine aux éléphants
    Le Dernier homme dans Paris
    La Tigresse de Malaisie
    Dans la cave
    Area 267
    La Princesse des rats
    Le jeu avec Leelah
    La catastrophe qui décimera l’humanité, une épidémie violente intitulée le « PRISCA », clôt la pièce en sept jours.
    Le premier personnage à apparaître est le commandant Paul Sorvino, sélectionné pour la survie par l’armée, le PRISCA ayant déjà frappé de par le monde. Séparé de sa femme Isabel, il rejoindra la base Area 267 en Californie, où, avec une poignée de volontaires triés sur le volet, il sera mis en hibernation, seule méthode qui permettrait de dépasser la pandémie et de renaître en une époque où le virus aurait été vaincu. Sorvino, qui a ouvert le drame en prenant de longues vacances, le fermera également, réapparaissant dans la dernière nouvelle.
    « Eau de boudin » nous précipite au cœur de la catastrophe, à Paris. La petite Laurence, Lolo, se réveille un matin avec sa maman qui meurt devant elle, manifestant les symptômes d’une violente grippe. En voulant appeler du secours, elle se rendit compte des rues désertes, que le téléphone sonnait dans le vide et que partout résonnaient des sirènes d’ambulance. Le virus ESH (Processus Intercellulaire de Séparation), rebaptisé ultérieurement PRISCA, venait de fondre sur l’espèce humaine. Le lendemain, seul le silence attend Laurence, épargnée par le fléau par l’on se sait quel hasard. Laissant là sa mère morte, elle s’aventure dans les rues, livrées aux oiseaux lors d’une merveilleuse journée d’été.
    Dans cette nouvelle, au lendemain de la catastrophe, Lolo rencontre Antoine et Bastien, le futur « Voyageur». Ils prennent possession d’une ville vide, les gens ayant préféré, dans l’ensemble, mourir chez eux :
    « Mais nous avons survécu. Il y a des survivants…
    -Combien ? Un sur cent ? Un sur mille ? Une épidémie ou une catastrophe qui extermine d’un seul coup tous les membres d’une même espèce, ça n’existe pas.  La peste ou la grippe espagnole n’y sont pas parvenues. Et malgré toutes les conneries qu’on raconte sur la comète tueuse et ce genre de blabla, même les dinosaures n’ont pas disparu en un clin d’œil. Il a fallu plusieurs centaines de milliers d’années. N’empêche qu’ils ont quand même disparu. Nous devons faire partie des privilégiés ayant développé un mécanisme immunologique à la souche primale. Mais que l’ESH mute, et nous serons bons pour la prochaine fournée… »
    Ils pourront se livrer à toutes les actions que donne une totale liberté, comme, par exemple, manger des glaces, ou se gaver de pâtisseries. Soudain l’idée traverse Lolo qu’ils pourraient faire une bonne action en libérant les bêtes emprisonnées au zoo de Vincennes.
    Bastien (de son vrai nom Sébastien Ledreu) est un jeune anthropologue, spécialisé dans la vie des baleines ; donc, cette idée lui convient immédiatement. Lolo, qui adore les éléphants, libère aussi les fauves. Ainsi, pourront-ils voir quelques jours plus tard, les bêtes prendre possession de la ville :
    « Ils virent aussi, cours Parmentier, les girafes au long cou brouter l’envers des platanes ; rue des Bonnes un python réticulé enroulé autour d’un réverbère ; le gros lion folâtrer avec sa poignée de lionnes en plein milieu du parking Salvador Allende… Ils entendirent au loin le choc aquatique des hippos qui plongeaient dans la rivière depuis la voie sur berge et la course éperdue d’un ongulé, sûrement traqué par un carnivore silencieux, sur les pavés des vieux quartiers. »
    Antoine quittera le couple. Bastien, jouant le rôle d’un grand frère (amoureux) s’occupera de Lolo dans la ville désertée.
    Dans la nouvelle suivante « une Orange bleue vue d’en haut», changement de perspective. Le surveillant humain d’un satellite militaire ayant pour mission de parer à une éventuelle attaque balistique, observe la terre de haut. Il dépend de la base de Vandenberg en Californie qui, après un long silence, l’avertit de passer en alerte rouge, les Chinois ayant envoyé des missiles nucléaires sur Taïpei, voudront sans doute anéantir le satellite :
    « Il est au-dessus du nord-ouest de la Chine, cette foutue putain de Chine sur laquelle se lève une aube de mauvaise augure, lorsque la voix de Vandenberg, reliée par le complexe MPSS (dans le jargon : Multi Purpose Satellit System) éclate dans son casque. Cette fois, c’est l’alerte rouge. Les Chinois ont bien décidé de jouer aux cons, un milliard quatre cents millions de cons, moins ceux que la pandémie a étendus pour le compte, un max il faut l’espérer. Les Chinois, c’est officiel, ont donné trente minutes aux Etats-Unis pour désactiver leurs NAOS… »
    L’observateur veille au grain. Il désintègre les missiles des Jaunes envoyés à son encontre mais n’a pu empêcher d’être atteint par les radiations, ce qui le condamne. Lorsque Vandenberg lui annonce que la pandémie du PRISCA a touché la Terre entière et que, dans ce cas, il importe de déclencher le feu nucléaire sur la Chine, Giordano hésite. Perdu pour perdu, l’homme livré à la destruction fait une fleur à la Chine, avant de rejoindre sa tendre Barbara en se suicidant : il anéantit la base de Vandenberg :
    « Lorsque, cent minutes (et des poussières) plus tard, il survole une fois de plus le Nouveau-Mexique qu’une météo exceptionnelle dégage entièrement, il peut observer sur l’écran de son VLT le champignon gris, au tronc noueux et au chapeau plat, qui oscille dans l’atmosphère lourde de poussière à dix kilomètres d’altitude. Le champignon est si grand qu’il peut même le voir à l’oeil nu, enraciné sur une ombre oblique plus grande que lui, qui s’étale en travers d’une plaine rousse ressemblant à s’y méprendre à la surface de Mars. Mars, il ne connaîtra jamais. Mais, au moins, Vandenberg n’emmerdera plus personne. Dites-moi merci, les Chinois. »
    Onze ans après la pandémie. Sébastien Ledreu et Laurence, devenue une spécialiste des éléphants, se sont déplacés, avec de nombreuses difficultés, en Afrique, au Burundi, sur les traces d’une harde prodigieuse de proboscidiens.
    A peine arrivés en dirigeable, et malgré l’intense chaleur due à l’effet de serre, ils se mettent en chasse en compagnie d’un guide africain, l’un des survivants. A l’approche de la harde, la vision de centaines de milliers d’éléphants est tellement intense que Laurence, subjuguée, disparaît dans le troupeau. En dépit d’une recherche désespérée, Sébastien reviendra seul en France, à Paris.
    Des années plus tard, Sébastien déambule dans la jungle qu’est devenue la capitale de la France. Il a développé des aptitudes psy : il comprend intuitivement les animaux, leurs motivations, leur sensation de faim ou de plénitude. Ces animaux relâchés jadis, ont proliféré, transformant la ville en un nouveau paradis terrestre :
    « Ainsi vide et nue autour  de l’axe central  de l’obélisque de Louqsor dressé comme une aiguille incandescente pointée vers l’infini, la Concorde, épargnée par la marée végétale, ressemblait aux gravures du XIXème siècle, ou du XVIIIème, sauf que les fiacres et les promeneurs en gibus avaient été remplacés ce jour-là par sept girafes musardant, et un pangolin solitaire qui se hâtait en diagonale, sa cuirasse de mailles luisant au soleil, vers l’ancien  ministère de la Marine. »
    Du crocodile se prélassant sur les quais de la Seine, au bison refusant avec obstination de lui céder la priorité sur le Pont Royal, Sébastien participe de la vie frémissante, étant accepté par tous les animaux.
    Il dormira avec une panthère à ses côtés, goûtera l’étrangeté rousseauiste  (tenant autant de Jean Jacques que du douanier) d’une terre où subsistent encore les fantômes des femmes qu’il a aimées jadis. Mais son don le quitte peu à peu, l’obligeant à la prudence, puis à l’abandon de la ville.
    Sebastien n’est pas le seul à rechercher un contact humain. Anne de Cloarec, une autre survivante, explore la région d’Albi, sur les traces d’un homme qui pourrait encore lui faire un enfant. Sa trajectoire l’amène d’Albi à Castres, puis, après une pause dans une ferme, elle remonte vers le Larzac où elle rencontre Sammy Vermelat, un vieil homme sale et crasseux au pénis flasque, incapable de la féconder, malgré de multiples tentatives.
    Elle reprend donc sa route, vit quelque temps avec une consoeur, Malika, son antithèse. Malika ne veut pas d’enfants, il lui est indifférent que l’espèce humaine s’éteigne. Enfin, un message d’un certain Pierre, fixé à un arbre, prouve que cet homme est encore en vie. Elle erre à sa suite dans Montpellier, Nîmes, Avignon, Arles, puis dans Marseille, à moitié sous les eaux.
    C’est dans les Causses qu’elle fera la rencontre tant attendue. Pierre disparaîtra au petit matin, la laissant enceinte. Le destin d’Anne sera semblable à celui du «  tigre de Malaisie » qui s’est éteint parce que les derniers représentants de l’espèce, trop peu nombreux sur un territoire trop grand, n’auront pu se rejoindre.
    « Dans la cave » relate l’abominable histoire d’une fillette qui deviendra « la Princesse des rats ». Enterrée sous un grand magasin – donc sans problème de ravitaillement - avec sa mère, la petite fille parcourra le chemin inverse de l’évolution :
    « Lorsque la princesse se blottissait contre elle, elle avait l’impression que sa maman était de plus en plus maigre, qu’elle fondait, que ses bras  et ses jambes étaient de plus en plus semblables à des morceaux de bois sec.(…)
    Maman vomit de plus en plus souvent. La nuit, elle l’entendait gémir, tandis qu’elle se tordait sur sa couchette comme un ver de terre coupé en deux. Le jour, elle la voyait palper son ventre creux, elle voyait les mains brunes aux doigts crevassés tâter la peau de son ventre, comme s’ils voulaient s’y enfoncer pour y chercher quelque chose, peut-être la cause de son mal. – Quelle saloperie… Quelle saloperie ! répétait-elle. »
    Restée seule après la mort de l’adulte, avec pour toute culture quelques magazines montrant le monde humain, elle entrera en empathie avec les rats dont elle deviendra la déesse tutélaire. Elle les protège, leur ouvre des boîtes de conserve, et observe, à travers un soupirail infranchissable, l’extérieur inaccessible, les premiers flocons d’un hiver à venir.
    Dans l’univers clos de la cave, il se passe peu de choses. L’arrivée d’une louve , qui cherche un endroit sûr pour accoucher, bouscule l’ordre établi. La présence de la petite fille est acceptée. Plus tard, la louve partie à la chasse et les louveteaux au chaud dans la cave, les rats les tuent, les uns après les autres. La louve, au désespoir de la princesse, emmène son dernier rejeton pour le soustraire au danger et disparaît de son univers.
    Retour à Area 267. Le commandant Paul Sorvino vit dans son monde virtuel, entouré de robots à ses soins. Sorvino tue le temps dans des jeux virtuels. Il se bat contre des tyrannosaures, des lions ou des éléphants, s’invente des combats, affronte ses clones, fait l’amour à des femmes de rêve, concrétisées pour que des automates puissent récupérer sa semence.
    Ancienne recrue de la SSDA (Service Scientifique des Armées), le commandant Sorvino se lasse de cette vie jusqu’à ce que, mystérieusement, la machinerie semble se détraquer. Un jour, il se réveille dans son bloc d ‘hibernation avec, à ses côtés, ses compagnons, tous morts du PISCRA.
    Il restera l’unique survivant des cinquante autres bases disséminées sur le continent américain, établies dans le même but : dépasser l’échéance fatale pour l’humanité. Enfin, les portes de l’abri s’ouvrent sur le monde réel :
    « Je suis le Pr. Saul Weinbaum. Vous pouvez me considérer comme le capitaine de ce bateau. Parce que nous sommes tous dans une arche, vous en avez conscience, n’est-ce-pas ? Vous vous trouvez à l’abri dans ce que l’on appelle dans notre jargon une Unité Autonome de survie prolongée. Il en existe un certain nombre disséminées dans le pays. Une cinquantaine, à ce que je crois savoir. Et même quelques autres ailleurs. Top secret ! Les bunkers de ce genre ont été conçus au milieu du siècle dernier, en prévision d’un conflit nucléaire avec les Russes »
    Il sera projeté hors de sa matrice, sommé de refaire le chemin de la vie aidé par quelques artefacts technologiques comme la voiture solaire ou le couteau magnétique. Il entreprend la traversée des USA vers l’Est.
    Quatre cosmonautes, Milena, Patricia, Isaac et Dayrush, chacun spécialiste en son domaine, se relèvent de leur sommeil prolongé dans leur engin spatial, quarante ans après la pandémie. Se rappelant qu’ils devaient constituer le noyau d’une colonie d’intrépides explorateurs interstellaires, ils constatent qu’ils n’ont pas bougé de leur orbite, avec une vue sur la terre où les reliefs sont subtilement transformés.
    Que s’est-il passé ? Pour le savoir, ils regagnent le sol avec leur « shuttle ». Se décidant à atterrir à Paris – une destination qui en vaut une autre-, ils posent brutalement leur engin sur l’esplanade des Invalides inondé, provoquant la mort de Patricia.
    Les trois survivants s’organisent, visitant une ville tropicale, submergée par les eaux, se servant du shuttle comme radeau, voguant dans des avenues transformées en autant de canaux. Ils éliront domicile dans un appartement de Montmartre qu’ils aménagent. Milena, enceinte d’Isaac, découvre bientôt que l’appartement est envahi par les rats qui, par milliers, s’enhardissent jusqu’à les attaquer. Repoussés avec des armes à feu puis à l’aide d’un lance-flammes bricolé, les rats battent en retraite, commandés, semble-t-il, par un être mystérieux, une sorte de rat immense :
    « La flamme fusa, déployant ses tentacules rouge et or dans la cage d’escalier, où ils s’éparpillèrent en volutes avant de s’écraser sur les murs qu’ils marbrèrent d’ombres brunes.
    Trois secondes, pas davantage. Mais, cette fois, le résultat fut à la hauteur : des dizaines de rongeurs brûlés jusqu’à l’os, globes oculaires fondus, se tordant entre les crocs de l’agonie en dégringolant les marches, poussés par ceux qui arrivaient derrière et n’avaient pas encore compris.
    Cris suraigus, prenante odeur de viande rôtie, de poils racornis. L’avalanche se tassa, le temps pour les astronautes d’atteindre le second étage. WOOOOOUSHHH! Une deuxième décharge prit de front les premiers rangs apparus à l’angle de l’escalier, Milena poussa un cri en décrochant de son épaule un gros gris qui, tombé d’on ne savait où, y avait atterri toutes griffes dehors. Un coup de crosse réduisit son crâne en grumeaux. »
    La dernière bataille sera décisive en provoquant la mort de Milena, puis la disparition de Dayshu parti à la recherche d’armes. Isaac reste seul avec, en face de lui, une marée de rats, qui, curieusement, ne l’attaquent pas. Il capture leur chef qui n’est autre que la « Princesse des rats ». Avec patience, il lui fera regagner , échelon après échelon, le stade de l’humanité,  dans son appartement de Montmartre. La Princesse, ayant à nouveau accédé au statut de femme, dira adieux à ses fidèles compagnons pour suivre Isaac dans sa conquête d’un monde vide.
    Dans la dernière nouvelle « le Jeu avec Leelah », le commandant Sorvino, couturé de cicatrices, a atteint la ville de New York. Il y fait la rencontre d’une troublante jeune noire, une Masaï, sensible et esthète, sans qu’il puisse dire si cette dernière est d’origine terrestre ou extraterrestre car elle semble en liaison avec « l’Oeil », un artefact lumineux suspendu dans le ciel qui, finalement, disparaîtra.
    Leelah lui laisse le temps de sortir de ses fantasmes avant de lui faire comprendre qu’elle deviendrait dorénavant son unique réalité. Seuls, comme quelques autres rares couples de par le monde, ils auront à vivre sur une terre qui ne leur appartient plus.
    Enfin, l’odyssée de Sébastien devenu « le Voyageur » ponctue chaque nouvelle, comme en interlude. Après la disparition de Laurence, il a pris la route du sud, témoin obligé de la disparition rapide des objets liés à l’activité humaine. Après une pause dans une commune de type utopique, il fera la rencontre de « la Folle de Valence », une vieille femme bloquée à un stade régressif de sa vie qui refuse la réalité actuelle. Elle « joue » à la télévision, vit dans les détritus, et répète à l’infini les diverses phases de la catastrophe. Peu à peu, les rencontres s’espacent. Autour de lui, les animaux abondent, sans peur.
    Il éprouve des sentiments de plénitude et de bonheur en s’endormant à ciel ouvert, dans ce monde neuf. Le temps chronologique a disparu, remplacé par la durée vécue et l’intensité des sensations. Subissant un énorme orage sur le chemin d’Avignon, il évitera prudemment trois lionnes apparues brusquement devant son cheval. Pour se sécher, il s’abrite dans une ferme déserte mais ne peut éviter le début d’une pneumonie qui le conduira à la mort, terme définitif de son long voyage.
    « Le Monde enfin » est un ouvrage étonnant qui, dans notre domaine, n’a aucun équivalent sauf, peut-être « Demain les Chiens » de Clifford Simak. Il s’agit d’une tentative (réussie) de mettre «en abyme » une série de nouvelles s’établissant autour d’un même thème, la fin de l’espèce humaine et la résurrection d’un monde débarrassé de l’homme.
    Chaque nouvelle peut se lire séparément mais, enfilées comme des perles sur un même fil, elles forment un ensemble gagnant en cohérence au long de l’ouvrage. Le fil conducteur rythmant la vie du roman se concrétise dans la personne du « Voyageur », un vieil homme solitaire dont nous apprendrons l’origine peu à peu, qui, à cheval, et parce que plus rien ne le retient nulle part, pérégrine de Paris vers le sud de la France, sur les traces d’une (imaginaire) compagne, car il est l’un des rares rescapés de la grande extinction :
    « Le cavalier était un homme long et sec, qui se tenait voûté au-dessus de l’encolure de sa monture. Son visage et ses bras nus étaient bronzés mais, autrement, il portait bien son âge, c’est-à-dire plutôt mal. Son crâne était protégé du soleil par un chapeau de paille tressée, à large bord,  effrangé par l’usure et par places crevé ou rongé par des bêtes. Une ganse de cuir agrafée par un petit clou rouillé tordu en épingle à cheveux ceinturait la base du chapeau.
    Sous le chapeau, le crâne du cavalier était complètement chauve, tavelé de taches de son. Une couronne de cheveux d’un blanc jaunâtre, aux mèches emmêlées par la crasse, enveloppait ses tempes et, rejetés derrière ses épaules, pendait jusqu’à ses omoplates, nouée en catogan par un fragment de cuir provenant d’une laisse. »
    Solitaire, savourant la vie nouvelle qui jaillit de partout, il connaîtra une mort paisible au bout de son voyage d’ordre initiatique, signant de manière irréfutable la défaite définitive de l’humanité dans un monde dont il a été dépossédé :
    « Au bout d’un mois, le crâne comme le tronc se montraient nets de toute trace de viande. Le squelette était encore très blanc, trop neuf encore pour avoir eu le temps de jaunir au vent, à la pluie, au soleil, au temps. Le crâne avait roulé à quelques mètres du tronc, la mâchoire désarticulée mordait la terre de ses mauvaises dents, du plantain avait poussé en travers des orbites.
    Ainsi reposait le professeur Sébastien Ledreu, autrefois chercheur en paléontologie détaché au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Au printemps suivant, la végétation vivace recouvrait complètement le squelette qui n’eut plus, au cours des années, qu’à s’imprimer peu à peu dans la terre, comme une signature. »
    Bien que toutes les nouvelles ne soient pas inédites (comme par exemple « la Nuit des bêtes » qui a paru antérieurement dans une collection pour enfants), l’on sent que le projet d’ensemble a longtemps été caressé  par l’auteur, affiné au fur et à mesure.
    La permanence dans le thème lui a permis de polir chaque nouvelle, de la travailler ou retravailler formellement, d’en ciseler la matière verbale pour en faire des récits qui ressortent de manière unique dans le domaine. « La Princesse des rats », à travers la description insoutenable de son mode de vie, en constitue un bon exemple.
    La bonne connaissance des ressorts du fantastique littéraire, du découpage cinématographique alliée à sa culture scientifique , font de Jean-Pierre Andrevon , avec plus de cent soixante ouvrages à son actif, l’un des plus brillants représentants de la science-fiction française.

  10. Type: livre Thème: épidémies Auteur: Ladislaus FRENCZ Parution: 1946
    Peu de temps après la deuxième guerre mondiale, grâce à la S.D.N., l’Europe resurgit de ses ruines. Raoul Sizeran, ingénieur français à la C.E.F.F. (Compagnie Européenne de Fonçage et de Forage), avec son compagnon, le Belge Bert Van Lindhout et le contremaître polonais Franz Lydik, roulait vers sa destination en Hongrie, dans la vallée de la Tisa, un affluent du Danube. Le premier, heureux d’intervenir sur le terrain européen. Le second, encore jeune, pensant sans arrêt à sa « Moeder » (sa mère) restée à Bruxelles. Le troisième enfin, content de vivre, à condition qu’il puisse tirer sur sa pipe de façon continue.
    Soudain un choc d’une grande violence déporta le car, évitant l’accident mortel d’extrême justesse. Un événement improbable venait de se produire, un météore de quelques centaines de kilogrammes s’était abattu non loin d’eux. Revenus de leur surprise, les trois compagnons allèrent contempler l’objet extraterrestre encore brûlant, qu’ils soupçonnaient être radioactif. Ils pensèrent immédiatement à faire mettre en place un cordon de sécurité en avertissant les autorités du village proche de Torbagy. Cette réaction rapide ne put pourtant empêcher deux jeunes, Emeric et Ida de s’approprier en secret un fragment du météore.
    Pendant que Sizeran se propose d’envoyer un échantillon de la roche  pour analyse à son ami américain Edward-Boy Lister, à Vienne,  Les autorités hongroises dépêchent sur les lieux des militaires encerclant le village par un cordon sanitaire infranchissable. Mais il est déjà trop tard. Emeric et Ida, le soir venu, sont dans un piteux état :
    « Sur un lit sommaire, deux petites formes que la lampe illumina crûment. Sizeran éprouva une stupeur affreuse. Ce garçonnet… cette fillette… Comment dire ? Ils faisaient penser à ces momies égyptiennes qu’après tant de siècles, on retire des pyramides, et qui ne sont plus que la caricature d’êtres humains. Les yeux étaient creusés, la chair s’affaissait sur les os. Une respiration haletante et sourde s’échappait d’entre des lèvres aussi grises que si elles avaient été modelées dans la poussière du chemin. »
    Quelques heures après, les parents des deux enfants décèdent à leur tour. Le fragment de météorite était le siège d’une contamination mortelle, foudroyante et mystérieuse, responsable de la maladie que l’on baptisa « maladie du squelette mou », sans doute d’origine microbienne. Comment faire pour acheminer un fragment vers Vienne sans être bloqué par les autorités ? Les trois hommes eurent une idée. Pendant que le Français se chargerait de voler le fragment déposé dans la maison des infectés, le Belge négocia avec les journalistes présents leur évacuation en échange des photos du météore. Grâce aux poings du solide contremaître qui neutralisèrent les sentinelles, les trois compagnons purent s’envoler vers Vienne avec le précieux fragment.
    Dans son laboratoire,Edward-Boy prouva, qu’effectivement, le facteur de transmission du mal était ce fameux « Microbe X ». Il découvrit, de justesse, un antidote avant qu’un espion infiltré ne mette la main sur l’échantillon pour que son pays puisse créer, à partir de celui-là, une arme bactériologique susceptible de contaminer la planète. Ce péril écarté – l’espion étant abattu sine die - , le chimiste donna des ordres pour que le météore soit désintégré par la toute nouvelle arme atomique, rien ne devant subsister qui pourrait remettre en question la paix dans le monde.
    Un récit d’un fascicule populaire, écrit en lettres si fines qu’il faut une loupe pour le déchiffrer, chantre de la réconciliation européenne. La brièveté du récit ne permit pas à l’auteur de développer des idées, souvent intéressantes, pour que la lecture en soit suffisamment prenante.