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Livres

  1. Type: Livre Thème: épidémies Auteur: Arnould GALOPIN Parution: 1928
    Procas est un homme bleu. Non pas un Targui, mais un authentique malade congénital. Souffrant d’insuffisance artérielle chronique à cause d’un coeur rétréci, la moindre contrariété accentue chez lui la propension à la couleur bleue de la peau.  Or, des contrariétés, il en a beaucoup. Comme savant bactériologiste, sa seule ambition est de servir l’humanité. Il fait des communications magistrales à l’Académie des Sciences. Il est reconnu, adulé, poursuivi par les femmes. Sa maladie se fait toute discrète. En épousant Meg, une de ses plus ferventes "groupies", la déception n’en est que plus vive, quand il apprend, quelque temps après, qu’elle le trompe. Il en conçoit un choc si terrible que, de la tête au pied, la couleur bleue gagne, le coeur se rétrécissant. De crise d’épilepsie en crise d’épilepsie, atteint par un froid cadavérique, il devient objet de répulsion pour le reste de la société.
    " Qu’était cet être douloureux? D’où venait-il? Pourquoi, à son approche, détournait-on brusquement les yeux? Il fallait donc qu’il eût quelque chose d’effrayant, d’épouvantable ?... Oui... Il était laid, atrocement laid, d’une laideur qui dépassait tout ce que l’on peut imaginer, non point que sa figure fût ravagée de quelque lupus, labourée par un chancre répugnant ou couturée de plaies immondes...
    Elle n’avait subi aucune déformation, nul accident n’en avait bouleversé les lignes, mais ce qui la rendait ignoble, monstrueuse, c’était sa seule couleur... Elle était bleue, entièrement bleue, non point d’un bleu apoplectique tirant sur le violet lie-de-vin, mais de ce bleu cru, violent, presque éclatant, qui tient le lieu entre le bleu de Prusse et l’outremer. "
    Il lui faut dire adieu à sa vie scientifique, à renoncer à sa femme, à renoncer au monde, en déménageant dans un autre quartier de Paris, pour ne pas être reconnu. Son seul ami, le professeur Viardot meurt trop vite, le laissant seul sur terre.  Ses sorties nocturnes, à visage serré et recouvert pour s’approvisionner, éveillent l’animosité de la foule contre lui. Au départ on le conspue à cause de son apparence. Puis, un crime s’étant commis dans le quartier, l’hostilité se transforme en haine, attisée par trois sombres imbéciles qui jouent aux justiciers: Bézombes, Nestor le Boucher et Barouillet le politicien au petit pied.
    Sa vie est infernale. Constamment suivi, dénoncé -en dépit du fait que la police ne trouve rien chez lui-, il doit se procurer des vivres de plus en plus loin ou rester des journées entières cloîtré dans sa maison en proie à des crises à répétition. Il songe à se suicider. Mais, pour l’amour de la science, il continue ses travaux avec le modeste appareillage qu’il a pu sauver du désastre.  Il accueille un chien errant, le seul être qui lui fait confiance. Las, celui-ci est tué par le gros Nestor. Un soir,  en rentrant chez lui, il aperçoit son chien gisant dans le ruisseau, le crâne défoncé. C’en est trop pour cet être persécuté. Il en conçoit une haine terrible pour l’humanité et concocte par égard pour son ami canin une vengeance post-mortem.
    Grâce à la moelle du chien qui servira de support nourricier, il recherche le Bacillus murinus, le bacille du rat, qu’il avait déjà réussi à isoler dans ses recherches antérieures. Ce microbe, rare à l’état naturel, provoque la mort foudroyante du rat. Pourquoi pas des humains ? Il se met à la recherche de rats, en trouve, les utilise comme cobayes, isole le bacille et, par transvasement de cultures, en fait un engin de mort terrifiant qui délivre la mort en trois heures:
    " Quelle ne fut pas la joie de Procas lorsqu’il reconnut sur les rats qu’il venait de trouver morts, des lésions tout à fait semblables à celles qu’il avait observées dans l’Inde. Il fit sur ces bêtes divers prélèvements de sang, et, vingt-quatre heures après, il pouvait observer sur la gélose une strie blanchâtre avec des ramifications latérales très caractéristiques. Le doute n’était plus possible : il tenait enfin son Bacillus murinus ! Alors il prit une lamelle de verre, y déposa une goutte de culture, l’étala avec l’extrémité d’une pipette, colora la préparation avec une substance préparée par lui, et l’examina ensuite au microscope. Sur le champ de l’appareil il constata la présence de bacilles minces et courts... "
    Il prépare ainsi trois litres de ce bouillon mortel qu’il est décidé à verser dans le réservoir d’eau de Montsouris, déclenchant une épidémie sur l’ensemble de Paris :  
    " Procas attendait toujours. Il ne se souciait plus de la foule qui grondait sur son passage. Une idée l’obsédait: ce bacille sur lequel il avait compté, dont la nocivité lui avait paru évidente, aurait-il perdu de ses propriétés quand il s’était trouvé en contact avec une immense étendue d’eau? Le réservoir, il le savait, contenait, avec sa réserve, environ deux cent mille mètres cubes. Est-ce que cette masse ne renfermait pas un élément qu’il n’avait point prévu?
    Non, pourtant, son bacille devait anéantir tous les autres, car les expériences qu’il avaient faites sur cinq ou dix litres d’eau lui avaient suffisamment prouvé la virulence et la combativité de ses "colonies". Elles devaient être en train de se développer, mais n’étaient pas encore parvenues dans les canalisations. "
    Mais, ironie du sort, à peine eût-il lâché ses vilaines bêtes que le gros Nestor et Barouillet, ainsi que les habitants du quartier vinrent faire amende honorable en s’excusant pour s’être trompés: l’assassin du petit Claude vient d’être arrêté! Le savant ne put en entendre plus: il s’effondrera, terrassé, à leurs pieds tandis que des sirènes d’ambulance retentissaient un peu partout dans Paris.
    Un récit à intrigue linéaire, à trame plate, écrit en un  style qui se lit facilement, l’outrance étant dans le personnage et non dans la forme. Un personnage intéressant par ailleurs, entre le monstre de Frankenstein et Elephant Man. Les notations scientifiques précises de la préparation du Bacille déterminent l’effet de vraisemblance. Un humour s’y reflète constamment en filigrane: les coupables seront épargnés, les innocents frappés. Il est curieux de constater, au-delà des années et des pays, à quel point l’ouvrage de Galopin ressemble à celui de Frank Herbert avec "la Mort blanche": même haine de l’humanité, même démarche de persécuté, même résultat final. Un roman oublié qui ne le mérite pas.

  2. Type: livre Thème: menaces végétales, la cité foudroyée Auteur: ARCADIUS Parution: 1961
    Mathias , le chef tout puissant, a crée une formidable organisation sur une île retirée où il met au point " la bombe verte ", un rayon capable d’endormir le monde entier en le plongeant en léthargie. Richard Sardain et Albane, la journaliste enlevée, se retrouvent au pouvoir de Mathias qui manipule leur inconscient durant leur sommeil. C’est Ming (comme chez Flash Gordon), autre scientifique prisonnier, qui, devenu fou, fera exploser la bombe verte, plongeant le monde entier dans le sommeil. Les seuls êtres réveillés au monde resteront le groupe des ravisseurs. Ceux-ci, sous la conduite de Mathias, fuient leur île et s’installent à Paris, une  ville qui semble tout droit issue du conte de la Belle au Bois dormant:
    "A la hauteur du pont d’léna, ils s’arrêtèrent devant un spectacle extraordinaire. Un car étranger de luxe était stationné devant le trottoir. Les touristes avaient été figés à l’instant même où ils sortaient à descendre. Dans le couloir, deux ou trois personnes s’apprêtaient à descendre. L’un d’eux, ayant perdu l’équilibre alors même qu’il sautait à terre, gisait sur la chaussée sous les roues du véhicule. Dans sa chute, son appareil photographique s’était ouvert et la pellicule se déroulait dans le ruisseau.
    Sur le trottoir, un jeune garçon offrait du feu à une femme ridiculement habillée d’une jaquette lie-de-vin. Le contenu d’un paquet de cigarettes jonchait le sol. La femme ne tenait plus rien entre ses doigts écartés. Plus loin, un vieil homme, vêtu à l’ancienne mode - chapeau melon et jaquette de soie noire semblait les regarder, méditatif, les jambes légèrement fléchies, les deux mains croisées sur le pommeau de sa canne. Richard s’approcha de lui on pouvait percevoir sa respiration lente. Mue par un réflexe irrépressible, Albane le secoua par l’épaule pour le réveiller. Le vieillard pivota sur lui-même et tomba, raide comme un mannequin, le nez contre le pavé. Son pince-nez se brisa et le chapeau melon alla rouler doucement jusqu’au milieu de la rue. "
    Ils déambulent dans les rues avec l’ivresse de la toute puissance. Quant à nos deux héros, enfin libres, ils se réfugient à Londres. Une conséquence inattendue de la Bombe verte est la prolifération extraordinaire de la végétation qui croît cent fois plus vite que la normale et encercle la totalité de la ville. Douée de mobilité, la végétation se montre très agressive envers l’homme :
    " La masse sombre d’une forêt avait envahi la rue, la cernant de tous côtés, menaçant les maisons de ses rameaux velus, de ses branches comme des reptiles, de ses lianes comme des tentacules. Elle attaquait la ville, bruissante comme une foule innombrable. Une herbe qui arrivait à mi-corps avait envahi les endroits non recouverts d’asphalte. Les arbres des avenues avaient crû de telle sorte que Konrad reconnaissait à peine le quartier. C’était devenu une féerie de cauchemar. Le toit d’une maison avait été embroché et soulevé par une branche. Des plantes grimpantes étaient montées à l’assaut des immeubles. Cette croissance accélérée, qui faisait palpiter cette végétation comme des plantes marines, minait les immeubles de minute en minute. Konrad vit la cariatide d’une maison voisine se détacher sous la poussée des bras innombrables et fouineurs du lierre. Elle hésita un instant,  puis basculant dans le vide, elle vint éclater contre le trottoir et la tête roula jusqu’à ses pieds dans un treillis d’algues qui jaillissait d’une bouche d’égout. "
    Le petit groupe humain resté à Paris décide de contre attaquer à l’aide du feu, en se frayant un chemin jusqu’à la tour Eiffel d’où ils pourront s’enfuir par la voie des airs. Pendant ce temps, Richard et Mathias mettent au point une formule pour se débarrasser de la végétation.
    Un roman acceptable pour l’époque dans le domaine français mais qui reprend tous les poncifs du thème. Pour du plus solide voir " les Triffides " de John Wyndham

  3. Type: livre Thème: menaces cosmiques Auteur: Antoine Marius REY-DUSSUEIL Parution: 1830
    Dans cet ouvrage (en deux volumes) seul un mince fragment du texte est consacré à la fin du monde proprement dite.
    L’auteur met en scène un moraliste le jeune Brémond qui s’entretient avec diverses personnalités significatives de la société française en 1830, ce qui sert de prétexte à une critique virulente du gouvernement Guizot. Peut-être est-ce par là, à travers un glissement sémantique, qui part de l’idée de « la fin d’une société » ou de la « fin d’un régime », qu’il en est venu à évoquer la comète de 1832, porteuse de catastrophe, ce qui n’émeut d’alleurs pas plus que cela ses contemporains. Avec beaucoup de sang-froid il décrit les conséquences d’une collision  de la comète avec la terre, un déluge universel censé noyer toutes les parties basses du monde :
    « Hâtez-vous, mes amis, car une fois la fin du monde venue, si l’un de vous réchappe à la catastrophe, les eaux auront enseveli les bases de ces immenses monts, et ce qui restera des Alpes, modeste îlot, élèvera sur le front de la mer quelques insignifiantes aiguilles. Le Mont-Blanc sera une autre butte Chaumont, et sur son sommet dépouillé de neiges on cultivera des laitues. »
    Brémond se retire donc  dans les Alpes, à « Chamouny »,  où déjà se pressent des cohortes apeurées. Il y découvre Sara, le grand amour de sa vie, une « quackeresse » psycho-rigide qui ignore ce jeune homme que l’amour abêtit. La comète et ses désagréments seront donc les bienvenus, Brémond s’imaginant représenter le futur couple primitif avec Sara  pour compagne :
    « Tout à coup un bruit épouvantable, un bruit de cent tonnerres répétés par d’innombrables échos, se fit entendre; le ciel, tout de feu, sembla s’ouvrir, comme pour laisser tomber les astres qui y sont attachés ; les Alpes émues s’agitaient avec un craquement terrible, jusques dans leurs bases ; des milliers d’ouragans se heurtaient dans l’air, et de longs mugissements s’échappaient des plus profondes entrailles de la terre…Que se passait-il dans cette tempête suprême ? Aucun être humain ne le pourrait dire ; il faudrait une voix de prophète inspiré par une pensée divine, car aucun être humain ne l’a pu voir. Quand le jeune homme revint à lui, il avait la face contre terre, les membres sanglans ; sa pensée était frappée d’un long et terrible engourdissement. Il se leva, hâletant ; il voulut porter ses regards vers la vallée, et ses regards rencontrèrent un Océan, dont les vagues immenses semblaient défier en hauteur ce qui restait des Alpes.  Et Sara !… Sara avait disparu.»
    En conclusion que reste-t-il aussi de notre thème dans cet ouvrage cité par Versins et dont le caractère mythique (car introuvable) a enflammé les imaginations ? En réalité fort peu de choses sinon une belle idée que les successeurs de Rey-Dussueil reprendront avec davantage de sérieux.

  4. Type: livre Thème: après la Bombe... , guerre des sexes, matriarcat Auteur: Anne-Marie SOULAC Parution: 1960
    Eve est une petite fille, née au village:  
    " Je suis née peu après l’an 2000 à la Maternité du village .Mon village! Quelques maisons au bord d’un petit lac, étiré entre des montagnes. "
    L’organisation de cette bourgade est extraordinaire. Certaines figures marquantes émergent d’entre les nombreuses femmes qui y résident en une sorte de communauté matriarcale: un homme, appelé simplement "l’Homme ", Sébastien, le protecteur d’Eve, Anna, sa mère nourricière. Parfois, d’autres ombres croisent le chemin d’Eve, bien au-delà de limites qu’elle n’a pas le droit de franchir ; d’autres femmes, en hélicoptère, des femmes encore qui vivent dans une base secrète.  Tandis que pour Eve la vie se déroule sans problèmes entre les airs de guitare de l’Homme et les chamailleries avec ses " soeurs ", il n’en est pas de même dans les terres extérieures. Ce qui est norme et habitude pour Eve est une exception dans ce monde.
    La société ancienne a disparu avec presque tous les hommes,  dans la terrible conflagration nucléaire qui a ravagé toute la planète.  Les hommes  survivants ayant perdu leur pouvoir procréateur, un collectif de savants, regroupés autour d’Hélènel’épouse du savant Reboul,  a pris en mains les destinées de l’humanité:
    " Les collines boisées où s’abritait la maison de Reboul s’étaient trouvées en dehors des zones détruites et contaminées. Le message de Reboul, radiodiffusé par tous les émetteurs intacts, avait réussi à rallier ce qui restait de grands savants. Ceux-ci, par une juste représentation des dangers présents et à venir engendrés par vingt-quatre heures de guerre atomique à outrance, étaient parvenus à mettre fin à ce déchaînement d’absurdité. Tous avaient suffisamment collaborés avec les forces armées de leur pays respectifs pour savoir à qui parler. Les quelques récalcitrants avaient été calmés par la force, et sur la planète meurtrie, à jamais défigurée, le Praesidium des savants avait établi son pouvoir, sous la haute direction de jean Reboul. Ainsi avait commencé le règne d’Hélène (...)
    Nous tous, les survivants de la Grande catastrophe, nous étions un peu comme des naufragés sur une île au sol incertain, promis aux convulsions, aux séismes et aux raz-de-marée. Ce n’était que par une organisation méticuleuse de toutes nos aptitudes et ressources que nous pouvions espérer traverser, dépasser même le temps des tempêtes.
    Les quelques mâles actifs étaient employés au maximum ; les femmes non sélectionnées pour la reproduction constituaient la masse ouvrière. Ce qui n’empêchait point de leur faire procréer des doubles par parthénogenèse ; il fallait ne négliger aucune possibilité, le nombre des naissances était en régression permanente et croissante»
    Les femmes ont constitué une sorte de société utopique scientifique dans laquelle les enfants - tous du genre féminin - crées par parthénogenèse, sont conditionnés à l’aide de pilules chimiques, pour accomplir avec plaisir des tâches spécifiques: on y trouve les " Maternelles " qui s’occupent des accouchements, les " Organisatrices " qui planifient la structure sociale, les " Techniciennes ", sortes de prolétaires du régime:
    " Alors Stéphanie a soupiré: Tous ces gens dont tu parles, je ne peux plus les comprendre. Je ne vois dans ce que tu appelles bonheur, qu’une satisfaction animale. Si le mot existait encore, il ne pourrait signifier pour nous que sens de l’utilité, exaltation de faire partie d’une machinerie parfaitement réglée, dont rien ne peut troubler le fonctionnement. Oui, les créatures que tu as vues hier sont heureuses, crois-moi. Les plaisirs animaux qui donnaient le bonheur à Anna, elles n’en ont plus besoin. Une boîte de pilules leur ouvre encore plus sûrement les portes de l’extase que la gymnastique copulante pratiquée avec l’Homme, ou ses simulacres.(...)
    Les Organisatrices ont crée une Société dans laquelle chaque individu a sa valeur et la conserve. Il n’y a pas d’épaves, pas de déchets. Personne ne peut se sentir sacrifié, inférieur. (...) Les villages constituent une survivance regrettable qui ne durera plus très longtemps. "
    Les villages sont les lieux protégés de cet étrange univers post-cataclysmique, puisque au-delà des dernières terres habitées rôdent des monstres sans nom,  des mutants meurtriers.
    Eve découvre cette vérité progressivement, son insouciance se transformant en quête constante de savoir. Toujours protégée par Sébastien, fils d’Hélène, l’un des derniers leaders, elle transgresse tous les interdits, explore les environs du village, les fermes abandonnées, en solitaire :
    " Je ne sais combien de temps je suis restée immobile, figée par la peur. La vie se retirait de moi. Peut-être, après tout, suis-je morte ce matin-là d’avoir découvert que, seule, je n’étais qu’une ombre parmi les ombres, que mon sort n’était concevable que lié à celui des autres vivants, si étrangers qu’ils me parussent. "
    Elle fait aussi la connaissance de Stéphanie, une "Organisatrice " qui lui montre la réalité, celle d’un monde où les rares hommes qui restent ne sont que des étalons chargés de féconder quelques rares femmes " normales " dans ces lieux archaïques que constituent les villages. Alors, Eve se rebelle. Intelligente et sensible, elle prendra de plus en plus d’indépendance à l’égard du village et d’Anna. Lorsque Sébastien disparaît de sa vie - en se réservant la jeune fille pour plus tard-, Eve occupe sa demeure. Malgré le tassement technologique universel, il semble subsister des pôles d’excellence dont ferait partie l’exploration de l’espace. Sébastien avait rejoint ceux qui s’entraînent à un départ vers Mars. Eve l’attend longtemps. Lorsque il revient, elle apprendra de sa bouche l’horrible vérité: les Organisatrices, convaincues du cul de sac évolutif de leur société parthénogénétique, ont décidé de faire sauter tous les lieux où subsistait encore de la technologie avancée :
    " Rien n’avait fait prévoir la catastrophe. Brusquement tout avait sauté. Tous les centres, toutes les usines, toutes les cités, toutes les agglomérations, tous les lieux habités, où qu’ils fussent situés, avaient été anéantis en même temps. Les Nouvelles (comme elles s’étaient dénommées) avaient mis au point une méthode de destruction utilisant les réseaux de transmission d’énergie. Tout l’édifice de la civilisation s’était effondré sur ses habitants. "
    Les explosions ont déclenché un raz-de-marée et de nombreuses régions seront englouties sous les eaux.  En compagnie de Sébastien, d’Anna, de l’Homme et de quelques enfants, Eve abandonne le village. Se dirigeant vers l’intérieur des terres (région qui ressemble à la Provence), marchant de repères en repères, Eve recherche un endroit où la vie soit encore possible. En remontant vers Paris, elle se rend à l’évidence: il ne reste nulle part où aller, sinon de retourner au village:
    " La poussière brune changeait de visage sous mes yeux, révélant les ruines qu’elle masquait: les bribes de murs, les parois calcinées, les entassements de débris. Et sous les ruines, sous la poussière, les morts. La poussière ultime. (...)
    La première bombe était tombée sur Paris, sur la Tour Eiffel exactement; par hasard, ou parce qu’elle était si facile à repérer, dans sa boucle de la Seine. "
    En une sorte de voyage initiatique à rebours, où se mêlent l’onirique et le réel, le petit groupe décide de revenir au point de départ. Eve frôle les monstres:
    " Je ne sais si j’ai rêvé la suite, ou si je l’ai vraiment vécue; si je me suis trouvée tout à coup au milieu d’un tourbillon de formes aux faces grimaçantes qui cherchaient à me saisir entre leurs moignons atrophiés. Une odeur fade, écoeurante, de pourriture faisait monter en moi la nausée. Leurs yeux, luisants entre des paupières gonflées et suppurantes, guettaient chacun de mes gestes. (...) Un gémissement continu montait des ténèbres, puis des cris aigus, des sanglots. Une intolérable souffrance s’exhalait dans la nuit. Je sentis mon souffle se précipiter; les cris se faisaient plus lointains; les visages, les moignons s’estompaient. Je tombai comme une masse au fond d’un puits d’inconscience. "
    Sébastien, de plus en plus lointain, se détache finalement du groupe. Il veut voir ailleurs ce qui subsisterait encore. Eve sait maintenant que son rôle sera de diriger les destinées de la petite communauté d’enfants, et, avec l’Homme - devenu l’Adam primitif - d’envisager une nouvelle vie, une nouvelle société édifiée sur de nouvelles bases.
    Un récit cohérent, dense, sensible et original qui renouvelle quelques-uns des vieux thèmes hantant le roman -catastrophe: mutations radioactives, société dystopique, stérilité masculine, dangers du nucléaire, etc. L’empreinte de l’oeuvre d’Anne-Marie Soulac vaut surtout par la forme. Par le biais d’un roman à la première personne, en monologue intérieur, la romancière, appartenant au courant de la littérature générale, avec sa sensibilité féminine, s’essaye dans la veine littéraire de la science-fiction. Sans que jamais l’introspection ne soit pesante, elle rend crédible son héroïne et vraisemblable la destruction d’une société arrivée à bout de souffle, apportant en ce domaine l’originalité d’un style typiquement issu du roman psychologique à la française.

  5. Type: livre Thème: l’entropie progresse... Auteur: André SAGLIO Parution: 1904
    Le monde en fin de vie, orbitant autour d’un soleil rouge. Les derniers représentants de l’espèce humaine se sont réfugiés au sein de la terre, dans sa chaleur, qui s’amenuise régulièrement :
    « Or, un matin, comme le prodigieux astre de fer surgissait, Orgouzalam vit à la crête de la muraille à pic qui fermait la vallée devant lui un long scintillement sanglant, une miraculeuse frange de rubis qui suivait le caprice de la roche aussi loin que le regard pouvait aller. Il comprit que c’était la glace qui atteignit enfin, dans son implacable marche de destruction, le dernier refuge de l’humanité »
    Ogouzalam, le sage vieillard présidant aux destinées de son peuple, réunit celui-ci pour lui faire part de son  projet. Plutôt que de périr lentement et sans chaleur, en une lente consomption, ne vaudrait-il pas mieux faire refleurir brièvement mais intensément la nature en monopolisant en un seul coup toutes ses ressources volcaniques, quitte à subir une fin brutale et inexorable quant ces dernières seraient définitivement épuisées ? Lui, Orgouzalam, au cas où sa proposition serait acceptée, promettait à son peuple un euthanasie sans douleur et rapide. Le projet fut adopté et l’on vit une floraison extraordinaire de la nature et de l’espèce humaine :
    « Ce fut comme une folie d’activité qui secoua l’humanité figée depuis des siècles dans la morne attente de l’inévitable fin. Par toutes les galeries souterraines les êtres s’affairaient, fourmillaient si denses qu’on eût cru que subitement l’espèce avait décuplé. Une rumeur énorme de voix grondait à travers le labyrinthe des voûtes inondées de lumière électrique et se mêlait au fracas des machines roulant et frappant. »
    Cette renaissance fut brève. Bien que les hommes aient oublié la mort inexorable, Orgouzalam s’en souvenait, lui; il avait camouflé le mécanisme fatal sous un jouet, et appelant auprès de lui un petit enfant :
    « Sur ses menottes tendres, sur ses genoux, le petit erra, trébucha. La boule d’or attira son regard ; il s’en approcha avec des cris et des rires, étendit ses doigts tremblants, perdit l’équilibre et s’abattit de tout son faible poids sur le jouet. Une poussière d’étincelles fleurit un instant dans l’immensité, puis s’éteignit, et l’œil sanglant du soleil chercha vainement le monde. »
    Une nouvelle étonnante, baroque, désespérée d’un style puissant par un auteur tombé dans l’oubli, et jamais rééditée.

  6. Type: livre Thème: archéologie du futur Auteur: André REUZE Parution: 1924
    Une équipe de savants ouest-africains est de retour à Tombouctou en 2924, après une expédition archéologique dans les ruines de Paris. Ils relatent par le menu leurs aventures en ce lieu hostile, inhabité, en une Europe désaffectée, retournée à l’état sauvage  par la faute de ses habitants. En mille ans, des guerres incessantes, des rivalités permanentes ont fait basculer le pôle de la civilisation vers les tropiques où les Noirs  ont repris le flambeau.
    Curieux de connaître les restes de cette grande cité que fut Paris, l’on constitue un groupe de chercheurs composé respectivement de Merkanty, archéologue d’origine franque, du prince de Fouta-Djalon, du célèbre naturaliste Benvenuto-Félix, du Dr Organdina, de Baba-Duran, l’ingénieur en chef et du Vicomte de Kassoulé-Toulouzène, sous la direction avisée de Travelling-Robinson, le chef de la mission.
    Pour parvenir au but, ils prennent la direction du Nord vers la Franquie en longeant la mer saharienne avec leur caravane d’autos-limaces. Sans problèmes, Ils arrivent en vue de l’Oued Seine :
    " Quel spectacle impressionnant et grandiose que celui de la Ville-Lumière éteinte sous la poussière des siècles ! Au nord, l’ancienne butte Montmartre, pulvérisée par le bombardement de 1950, recouvre entièrement les ruines. Ailleurs, quelques murailles informes s’élèvent encore de-ci, de-là au-dessus du sol ravagé. Seul, au sud, se dresse un morne mélancolique. Les anciens l’appelaient " montagne Sainte-Geneviève ". Rien ne montre mieux que ce qualificatif ridicule  l’exagération des septentrionaux. "
    Immédiatement, les ruines seront investies et des fouilles s’ouvrent en plusieurs points : l’Opéra, l’Hôtel des invalides et, en banlieue (afin de se documenter sur la faune). Ils installent leur quartier général à l’angle de la rue Drouot et du Boulevard des Italiens. Les critiques fusent envers les urbanistes parisiens de l’époque, dont les plans leur paraissent désordonnés :
    " Les édiles parisiens faisaient vraiment preuve d’un désordre extraordinaire. Que l’Institut n’ait pas été construit rue de la Gaîté, que la rue des Dames n’ait pas précédée immédiatement celle de la Fidélité, que la rue de la Paix n’ait pas fait suite à la rue de la Victoire, que le passage du Désir n’ait pas prolongé l’impasse Traînée, je l’admets encore, mais avez-vous remarqué que la rue Madame et la rue Monsieur n’aboutissaient pas à la rue du Rendez-vous ;  que la rue de Bellechasse se trouvait fort éloignée de la Butte-aux-Cailles, de l’impasse Canart et de la rue des Alouettes (…) "
    Ils mettent à jour plusieurs lieux dont ils déduisent (faussement) l’origine :
    " A chaque nouvelle porte que la foreuse rendait à la lumière, nous nous précipitions dans l’espoir de lire enfin une inscription vraiment franque, et les enseignes rongées, les plaques vermoulues nous révélaient le nom d’un Fritz Weissmann, d’un Zigriphidès ou d’un Politouski et Cie. Le prince de Fouta-Djallon me posa un soir la main sur l’épaule. Il avait l’air grave et inspiré : - Commandant, nos historiens sont des ânes. Bien avant l’anéantissement de la Ville-Lumière par les Germains, celle-ci ait été envahie par une horde barbare. Paris n’était plus Paris. "
    La vision des ruines les incite parfois à un brin de romantisme. Ils dégagent un cimetière pour chiens (" A Mirza, sa mémère inconsolable ") dont ils mettent la coutume d’embaumement en relation avec celle des anciens Egyptiens. Obligés de se pourvoir en viande fraîche et après avoir remarqué dans les environs des traces de " buffles ", ils envisagent une chasse. Le prince de Fouta-Djalon aperçoit:
    " … non pas un buffle, mais cinq, mais six, qui paissaient paisiblement l’herbe grise entre les rochers. Ils étaient d’assez forte taille, quoique bas sur pattes, et leurs robes différaient par la couleur, la plupart me semblant largement tachés de roux à la manière des chevaux savants que la foule ignorante allait applaudir dans les cirques chez les anciens. L’un d’eux , une femelle, se tenait à dix pas de nous. Cette bête avait senti le danger, car, immobile, tandis que son bufflon batifolait gracieusement autour d’elle avec l’insouciance du jeune âge, elle braquait vers nous des yeux fixes et stupides en reniflant avec force. "
    A défaut de buffle, ils viennent de tirer un veau, paisible ruminant, appartenant au troupeau de vaches gardée par une merveilleuse bergère blonde, à peine vêtue, et dont la grâce captive encore plus le cœur que son accent :
    " Ayant saisi le bufflon par une oreille, tandis que M. Benvenuto-Félix tirait sur l’autre, cette indigène, qui était vêtue à peu près comme les bergères d’Arcadie, hurlait :  -V’là qu’ils ont tué la Rouge, et ils voudraient encore me voler mon viau. Mais qué tas de sauvages… Ainsi nous fut révélée l’existence, en Europe occidentale, d’une race survivante. "
    Authentique descendante franque, barbare isolée dans ces ruines, la Vénus d’Asnières reste discrète quant à son origine et à son appartenance tribale. Elle sera adoptée par le groupe de savants qu’elle captive tour à tour avec sa gouaille:
    " - Mais qué qu’vous cherchez donc comme ça dans la terre? Y a seulement point eune faillie patate par ici. Le Prince de Fouta-Djallon, lui montrant des ossements et quelques pièces archéologiques intéressantes, essaya de lui faire comprendre le but de notre mission:
    « -Et c’est pour ça qu’vous êtes venus de si loin. Vous n’avez donc point grand’chose à faire chez vous !.»
    Parmi les plus assidus auprès   d’elle, le Vicomte de Kassoulé-Toulouzène se laisse emporter par son enthousiasme, même (et surtout) lorsqu’elle manifeste son désir de prendre un bain :
    " Devant le jardin des Tuileries, l’oued Seine à cette époque de l’année, s’étale en un assez large bassin se prêtant relativement bien à la natation. Nous décidâmes d’y prendre nos ébats. Ayant, le vicomte et moi, apporté nos maillots de soie, nous nous déshabillâmes dans les ruines du Louvre, abandonnant par un sentiment bien naturel notre jeune amie sur la rive. Quelle ne fut pas ma surprise en la rejoignant de constater que, son tour de cou galopant au bord de l’eau, elle achevait de se dévêtir en lançant son trotteur aux orties, de sorte qu’elle nous apparaissait dans la pure lumière matinale plus nue que la vérité, qu’on travestit généralement, et incroyablement blonde. "
    Les ruines exercent parfois une curieuse action sur l’âme humaine. En explorant les salles de la Chambre des Députés mises à jour, M. Benvenuto-Félix se mit soudain à prononcer un discours, se sentant possédé par une ardeur réformatrice. Ce qui prouva derechef aux autres que le malheureux avait bel et bien perdu la raison.Les fouilles avancent rapidement : conduites de gaz dans la rue de la Paix, exhaussement du Palais Bourdon, visite de l’Odéon, tout va bon train lorsqu’une crue inopinée de l’Oued Seine les contraint à interrompre leurs travaux. Enfin, une trouvaille sensationnelle vint récompenser leur ardeur : celle de la découverte d’un pensionnat de la rue Blondel, un authentique bordel, qui est assimilé à l’institut d’hydrothérapie d’un pensionnat pour jeunes filles par M. Baba-Duran. La Vénus d’Asnières y trouve toute une panoplie vestimentaire qui lui va à ravir bien que certaines pièces ou objets fussent fort curieux :
    " M.Baba-Duran m’entraîna dans une pièce voisine que nous n’avions pas visitée encore. C’était une petite chambre dont les murs, le plafond et la porte avaient été matelassés de surprenante façon. Aucun meuble, mais un banc garni de courroies de cuir, sorte de chevalet paraissant remonter à l’Inquisition et, dans un coin, rangés sur râtelier, des martinets, des verges de tous modèles. "
    Plus tard, des monuments étranges apparaissent. Progressivement se dégagent le cimetière de Montrouge avec ses statues, les ruines du Louvre, avec la traditionnelle vision de la  Vénus de Milo " bien abîmée ", la place de la Concorde et son obélisque brisé, ainsi que quelques traces de la Tour Eiffel. La vie des explorateurs se poursuivit ainsi, ponctuée par les discussions intellectuelles portant par exemple sur l’assimilation par la langue franque de quelques termes empruntés " aux aïeux nord africains " :
    " Les Francs, qui avaient emprunté à nos aïeux nord-africains de nombreuses expressions comme " Klebs, maboul, kif-kif, bono-besef et macache-bono " eurent le tort de ne pas créer dans leurs écoles des chaires de Sabir. Je maintiens que la langue poétique et particulièrement riche en images que nous rapportons est celle qui doit triompher dans nos universités ",
    ou par les différentes intrigues sentimentales autour de la personne de la " pastourelle ".Alors que plusieurs d’entre les explorateurs pensent lui demander sa main, elle manifeste une nette préférence envers la personne de Travelling-Robinson.
    Un jour, elle disparut. Grande inquiétude chez les savants qui mettent tout en œuvre pour la retrouver. C’est ainsi qu’ils firent la connaissance de la tribu de la Vénus d’Asnières, dont le chef, Pierre-Marie le terrible paraît bien moins barbare qu’ils ne le supposaient. Le contact établi, Robinson apprit que la pastourelle, appartenant à ce groupe, avait pris son autonomie en quittant toute seule le clan. Eux-mêmes étaient les descendants forts vieux, d’un aïeul commun, Mathurin le Grand, qui a pu échapper à la catastrophe et profiter de la découverte du Dr. Voronoff :
    " La découverte du docteur Voronoff améliorée depuis par l’élevage rationel du singe, permettait d’allonger l’existence humaine de plusieurs siècles au besoin. Naturellement, le favoritisme s’en était vite mêlé. Des gens ayant de belles relations politiques faisaient jouer certaines influences pour obtenir le double ou le triple centennariat."
    Depuis, lui et ses descendants vécurent au Mont-Saint-Michel et de là ils ont essaimé en Bretagne puis en Ile de France. Un certain Alcide Loupin fit dissidence,  et ses affidés, les " Loups ", créèrent une nouvelle tribu antagoniste de la leur sur la côte du Cotentin. Par mégarde, au cours de cette période, Mathurin  le Grand apporta de curieux spécimens d’animaux de la côte d’Afrique :
    " Le capitaine avait choisi un rivage désert pour y débarquer. Mathurin le Grand ne se souciait pas de révéler au vieux monde la survivance de sa race. Les membres de l’expédition n’avaient jamais vu de singes, de sorte qu’ils commirent une erreur bien excusable. Parmi les différents spécimens qu’ils rapportèrent en Armorique figurait un sujet tout à fait remarquable dont les cris articulés semblaient s’apparenter à un langage. Et, quant au retour, Mathurin le Grand l’examina, il reconnut que ce singe n’était pas un singe mais un nègre. "
    Le nègre, appelé Loufoussou, s’installa plus au sud et engendra une tribu de métis qui entretint de bons rapports avec la tribu de Mathurin. La vie se perpétuait ainsi sans problème sur le sol de l’ancienne Europe et personne parmi les " barbares " n’enviait les explorateurs noirs. Pour entretenir leur amitié et avant que de rendre visite aux lointains cousins de la tribu de Loussoufou, la Vénus d’Asnières épousa le Vicomte de Kassoulé-Toulouzène. Celle-ci, retournée au sein de sa tribu, se maria juste par dépit puisque Travelling-Robinson n’était pas sensible à ses avances. Le temps des fouilles touchait à sa fin. L’expédition retourna à Tombouctou muni de trésors archéologiques inestimables et en compagnie de la pastourelle qui s’était déjà lassée du Vicomte.
    Tous furent particulièrement distingués par les sociétés savantes noires pour leur action d’éclat et Travelling-Robinson, sa femme l’ayant quitté, put enfin goûter la sérénité entre les bras de sa douce pastourelle.
    La " Vénus d’Asnières  ou dans les ruines de Paris " reste un roman curieux qui peut se lire à plusieurs niveaux. Basé sur la thématique des ruines, déjà fort prisée à l’époque de l’écrivain (voir " Archéopolis ", les " ruines de Paris en l’an 3000, " une exploration polaire aux ruines de Paris ", le récit de Reuze dévoile avec ironie et tendresse les efforts des savants pour reconstituer le passé ainsi que la difficulté à se rapprocher de la vérité historique.
    L’ironie, toute contemporaine, est constamment entretenue dans la trame du texte et les allusions à la vie politique, à la vie quotidienne, aux mœurs des parisiens de l’entre-deux guerres traversent l’ensemble de l’ouvrage. Quant au personnage de la Vénus, il agit comme un contrepoids sentimental apte à procurer cette légèreté de ton que demande le lecteur de l’époque. La naïveté de la pastourelle est également un bon procédé littéraire pour prendre " le point de vue de Sirius ". Bref, il s’agit d’un bon roman dont on ne peut que regretter l’excessive rareté.

  7. Type: livre Thème: guerres futures 2, péril jaune et guerre des races Auteur: André DU BIEF Parution: 2006
    Pierpoul et Gazly sont deux amis complices. Pigistes dans un journal, ils mènent une vie de vauriens débauchés et voleurs, se partageant leurs femmes et s’adonnant à l’homosexualité. Un tel comportement aboutira au crime le plus odieux : Pierpoul, avec l’assentiment de Gazly, assassinera la femme de ce dernier. Puis, ensemble, ils préparent le vol ultime censé les mettre hors du besoin, soit voler les diamants du muséum de Paris.
    Gazly, devenu immensément riche, s’achète une nouvelle réputation. Se lançant dans la haute finance, il fructifie son avoir au décuple. Les deux amis, tout en croquant la vie à pleines dents, fondent des écoles littéraires, réinventent les jeux de la Rome antique. Mais tout ceci lasse Gazly. Après avoir égorgé Pierpoul qui le bridait encore dans ses instincts, alors qu’à Paris rien ne le retient plus, il décide de vivre une vie de mercenaire en se lançant à la conquête du monde. Il ira en Chine pour y prospérer. Avec son argent, il embauche un millier d’hommes et de femmes, aventuriers comme lui, sans foi ni loi comme l’étaient les conquistadores de Pizarre,  dans le cadre de la « Société Française de Colonisation » :
    « Plus de mille hommes, engagés par « la Société Française de Colonisation », au capital de 500 millions, embarquaient trois mois après sur le Général-Mangin, à Marseille, à destination de Canton. »
    En cours de route, Gazly explique à ses complices comment ils se tailleront un empire, réaliseront leurs rêves de liberté absolue. Et cela commence dès maintenant :
    « Gazly trancha que ceux qui voulaient porter des vêtements n’avaient qu’à en porter, que ceux qui voulaient se montrer nus étaient libres et que ceux qui ne voulaient pas les voir n’avaient qu’à descendre dans leur cabine. Là-dessus on discuta toute la nuit et l’on dormit le jour suivant. Et chacun ayant convenu «qu’on n’était pas des bourgeois», le Général-Mangin fut un joyeux bateau où le pont à certaines heures se remplissait de couples enlacés. »
    Arrivés à destination, Gazly met ses forces au service du Kuan-Min-Tong et de son chef Wu-Tin-Fang, la Société Française de Colonisation transformant son nom en celui de « Bataillon Blanc ». L’objectif est la prise de Pékin. Parmi les acolytes de Gazly, une femme de tête, Berthe Germain, deviendra la maîtresse officielle du chef. Elle ne le restera pas longtemps. Capturée par les forces de Pi-Yun-Se, ennemi retors et puissant, Berthe sera vicieusement torturée à mort :
    « Elle sentit ses entrailles en flammes. Son corps se tordit, sa bouche écuma, ses poignets et ses chevilles se coupèrent aux liens qui les tenaient à terre et que le corps tendait dans dans ses suprêmes crispations. Le vieillard infernal saisit un yatagan et d’un coup sec fit sauter un sein. Le lambeau sanglant alla tomber dans un groupe de brutes qui se le déchirèrent. Puis, de la pointe, il fendit en quatre l’autre sein, comme une orange. Un dernier sursaut, le râle qui s’affaiblit. La fin est proche. Avec de longues pinces les aides tirèrent d’un coup brusque le bronze infâme où des chairs calcinés restèrent collées. L’homme au sabre enfila sa lame dans la plaie béante et d’un coup sec décousit de bas en haut le ventre palpitant qui s’ouvrit comme un fruit, laissant s’échapper les entrailles dans un flot de sang noir. »
    Gazly, fou de rage, fait bombarder le monument boudhiste du maître de Pékin, anéantit les tortionnaires et, écrasant l’infâme, devient le maître des Jaunes, puis le maître de toute la Chine sous le nom de T’ai-Tsu. Tout-puissant, il subventionne l’anarchisme mondial, puis, commençant par la Russie, déferle sur la France, en passant par l’Italie :
    «C’est alors que le plus formidable ouragan d’hommes de l’histoire s’abattit de l’Asie, commandé par T’ai-Tsu, et, avec l’aide des révolutionnaires européens, entreprit de réduire le bastion de la Civilisation capitaliste.»
    Alors que des grèves sauvages éclatent spontanément dans toute l’Europe, les forces prolétariennes de T’ai-Tsu réduisent les dernières poches de résistance capitaliste en Europe :
    «Depuis longtemps les communications télégraphiques et téléphoniques étaient rompues. Les chemins de fer, après une période fantaisiste, avaient cessé tout trafic. Dans les villes où l’industrie qui n’était pas d’utilité immédiate était paralysée, la misère s’était installée. Les ouvriers organisaient des expéditions, dites «punitives», dans les campagnes, contre les paysans qui boycottaient les grands centres. »
    De retour à Paris, alors qu’il pourrait accéder au range de leader mondial des forces de gauche, Gazly est soudain pris d’un délire mystique. Abandonnant son titre de Président pour son ancien nom, il s’installe  dans les Pyrénées, près de Massabielle (la grotte de Lourdes) afin d’y finir sa vie en contemplatif  mystique Dans la région règne le plus grand désordre, la ville de Bordeaux étant mise à sac par des ouvriers. Les Bordelais, connaissant son passé, le supplient d’intervenir. Gazly, se sentant fléchir, mènera à bien sa dernière mission, devenant le «protecteu » et le «légiste» de la « République du Béarn ».
    C’est un dernier fait-divers qui provoquera sa chute. Sauvant une jeune paysanne  prise dans une rixe, il sera accusé de viol sur sa personne, injustement condamné à mort. Lorsque les jurés entendant le récit de sa vie, ils seront frappés de terreur et n’oseront signer l’ordre d’exécution. Gazly, mortellement fatigué de la vie affichera tout son mépris à l’égard des hommes :
    «J’ai commis bien des crimes et vous l’ignoriez, et le sachant vous êtes frappés de répulsion. Mais, j’ai aussi fait s’entretuer des millions d’hommes, j’ai peut-être anéanti toute la civilisation occidentale, et vous le saviez, et vous m’honoriez avec crainte et c’est moi, le Fauteur, que vous êtes encore venus chercher pour vous sauver. Si j’avais voulu je vous jetais, vous aussi, à la conquête du monde et je reconstruisais avec vous ce que j’avais détruit avec d’autres. Je n’ai pas voulu : cela ne m’intéresse plus. J’ai sans doute achevé ma tâche, puisque Dieu m’a retiré le désir. »
    Il sera amené à se suicider au moment même où l’Amérique entrera dans la danse en pacifiant d’une façon sanglante  le territoire européen.
    «Le Destructeur» est un ouvrage original, oscillant constamment entre le genre pornographique et le roman politique ou conjectural. L’on ne peut être indifférent au destin extraordinaire de Gazly,  personnage de la démesure qui explore toutes les facettes d’une vie dont il combat la médiocrité par l’excès, faisant sienne la proposition d’André Breton , «il y a lieu d’établir une hiérarchie dans la pourriture», qu’il pousse aux limites de cette dernière, dût-il en mourir.

  8. Type: livre Thème: guerre des sexes, matriarcat Auteur: Alexandre TORQUET Parution: 1997
    L’action se déroule à Tbilissi, en Georgie. Klevchine, agent du KGB, découvre sur le mont Kazbek la momie en très bon état d’une guerrière identifiée comme une amazone datant de 5000 ans. La femme (une princesse) a dû être surprise par le froid et mourir rapidement. Le docteur Diomka qui l’examine, découvre en elle un embryon parfaitement conservée et peut-être viable. D’où son idée qui consisterait à implanter cet embryon dans l’utérus d’une femme d’aujourd’hui.
    Svekta Bagratouni, la femme de Klevchine est stérile. Voilà une excellente occasion pour tenter l’essai. Svekta deviendra mère porteuse d’un enfant de sexe féminin, du nom de Daria, censé être la vraie fille de la momie amazone que l’on baptise Mzekhala. A la naissance de Daria, Svekta qui milite pour la promotion des femmes, est arrêtée et envoyée en camp de travail forcé. Daria sera élevée dans ce camp. Durant de longues années, les deux femmes seront soumises à un labeur inhumain au fond de la mine, et Svekta en concevra une haine indicible à l’égard de tous les mâles, haine qu’elle fait partager à Daria :
    " …les wagonnets qu’elle devait pousser étaient lourds, les galeries obscures et les gardiens brutaux. Alors, chaque soir après le travail, les deux femmes la réconfortaient, la baignaient, la massaient. Et puis, pour la consoler, elles lui racontaient la découverte de cette princesse d’autrefois dans un glacier, en lui expliquant que cette princesse était sa vraie mère. Elles lui promettaient un avenir féerique. Héritière d’une famille régnante, elle aurait une destinée hors du commun lors de la grande révolution des femmes. "
    Guillaume Lenk appartient à la Croix Rouge suisse. Il se trouve à Tbilissi pour y travailler dans l’humanitaire et incidemment y retrouver Alice, son ancienne compagne qui l’a quittée avec ses deux enfants. Alice adhère la «Womyn’s Promotion» qui a édifié un camp près de Tbilissi, le camp de Gombori :
    " Sur les murs de toutes les cités du monde on pouvait lire le slogan de ce mouvement : PEACE AND LOVE. La paix et l’amour, mais entre femmes. Quant aux hommes, la WP les rejetait au point d’avoir remplacé par un " y " le " e " de " women ". Ses adeptes pratiquaient l’entraide, recueillaient les alcooliques, les prostituées, les femmes battues ou abandonnées. Elles avaient ouvert plusieurs villages dans des pays en guerre ou en difficulté et regroupaient là des veuves, des orphelines, des femmes et des filles seules, à l’exclusion absolue de tout élément mâle. "
    Ce village, exclusivement féminin, est établi sous la direction de Nan Potters, assistée de Svekta qui deviendra la voix de la libération des femmes :
    " Ici même, en URSS, les femmes travaillent quatre vingt heures par semaine, dorment quatre heures par nuit, reçoivent la moitié du salaire que reçoivent les hommes, sont astreintes à de durs travaux sur les routes ou dans les champs .Elles doivent porter tous les fardeaux, tous les soucis sur leurs épaules, sont à la fois la mère de leurs enfants et celle d’un mari infantilisé. Epuisées, à bout de forces, elles n’ont que l’avortement pour moyen de contraception. Elles n’ont jamais accès aux postes de responsabilité et leur sexe ne leur vaut que du mépris. "
    Mzekhala représente pour elles le parfait symbole de la révolte. Lorsque les amis de Guillaume sont assassinés, celui-ci, protégé par Alice,  trouve refuge au camp de Gombori, malgré les réticences des femmes. A Gombori, on y enseigne la haine des mâles et leur éradication :
    " Il s’apprête à regagner son lit lorsque deux enfants de six ans l’aperçoivent. Elles le désignent du doigt et, aussitôt, une meute de filles se masse contre le grillage, vociférant, grimaçant, crachant et tirant la langue en le regardant. L’institutrice rit en contemplant la scène. "
    On y a installé un centre de procréation assisté où seules survivent les filles. Guillaume,  étant le seul à connaître l’endroit où Mzekhala a été entreposé par Diomka, devient un élément précieux pour les féministes qui désirent par-dessus tout se réapproprier leur symbole :
    " Mzekhala était là, éclairée par quatre chandelles, prête à bondir, le poing prêt à frapper, la bouche prête à mordre ou à vomir des insultes.(…) Elle incarnait un cauchemar de vengeance imméritée, venue du fond des âges "
    Les autorités russes s’inquiètent de ce qui se trame à Gombori et entreprennent, sous le commandement de Klevchine, une opération "récupération" au village : Guillaume est à tort soupçonné d’avoir trempé dans l’assassinat de ses amis, alors qu’il est de notoriété publique que c’était à cause de l’action de la mafia russe. Il est caché par les femmes puis accompagnera Daria à Londres dans le cadre d’une action de propagande, et surtout pour donner la preuve au monde entier par des tests génétiques que Daria est bien en parenté avec la momie. Les discours féministes de Daria mettent le feu aux poudres. Elle s’aliène les ligues fascisantes  et masculines. Expulsé d’Angleterre, le couple rejoint à nouveau Gombori où se pratique dorénavant le clonage d’embryons féminins. Afin de stimuler l’ardeur révolutionnaire des femmes qui avaient tendance à s’endormir, Svekta fait tirer sur le village par les "Monitrices", les sections d’assaut des féministes, prétextant une attaque de la mafia (et de mâles extrémistes).
    L’exemple de Gombori fait tache  d’huile. Partout dans le monde surgissent des contestations ; les femmes, bien que surveillées de près, s’arment. A Gombori, afin de survivre économiquement  et éviter la tutelle russe, les femmes vendent du caviar génétiquement modifié. Lorsqu’une explosion se produit soudain à Tbilissi, au moment où, une nouvelle fois le village est fouillé par la milice,les Monitrices vont porter la révolution en ville même. L’hôtel de ville est pris d’assaut.
    L’U.F.G. (Union des Femmes de Géorgie) prend le pouvoir. Rejetée de la présidence à Tbilissi, Daria prétend mettre la main sur Gombori. Elle se heurte à Alice qui représente la tendance modérée, qu’elle déstabilise. Après un affrontement verbal dont Daria sort vainqueur, avec pour argument la présentation de jeunes asexués crées génétiquement et destinés à devenir l’esclave des femmes, Alice et Guillaume sont définitivement chassés du village. Le couple se réfugie chez Diomka tandis que l’organisation du camp se transforme en véritable dictature.
    Svekta se rend compte que Daria va trop loin : les femmes du camp courent à leur perte. Gombori est un échec. Svekta brûle ce qu’elle a adoré : elle aide Guillaume et Alice à s’enfuir de Géorgie, en compagnie de leurs enfants. Poursuivis par les Monitrices, Svekta reste à l’arrière-garde et se sacrifie pour que le couple puisse se sauver. Quant à Klevchine qui n’arrive pas à surmonter son échec, il se suicide. En compagnie des plus modérées des féministes fugitives, Guillaume et Alice, toujours avec l’aide de la Womyn’s Lib, fondent un nouveau village, à Markakert, à la frontière de la Géorgie.
    Le "Matin des femmes" est un récit novateur à deux titres. Premièrement, l’auteur, généticien de renom, articule la thématique du roman sur la science qu’il connaît bien et dénonce l’exploitation de la femme dans le monde, notamment dans les pays de l’Est. Deuxièmement, en se servant du présupposé de l’amazone, il ancre historiquement le sens de la révolte des femmes et de la lutte des sexes   

  9. Type: livre Thème: le dernier homme, Adam et Eve revisités Auteur: Albert VIVIES Parution: 1924
    Le narrateur est d’un type biologique particulier. Quand sa mère, une Française de Paris, s’est trouvée seule survivante de l’avion qui s’était écrasé au cœur de l’Afrique, elle a pu survivre en étant recueillie par une tribu de gorilles.
    Devenant l’objet du mâle dominant, elle s’est trouvée enceinte de ses œuvres. Le narrateur est son fils, produit d’un gorille et d’une humaine. Elevé comme ses frères et sœurs dans la sauvagerie, il a néanmoins acquis, à travers l’éducation active de sa mère, des réflexes purement humains et la logique de pensée qui caractérisent notre espèce.
    Encore jeune, lui, ainsi que sa mère, n’eurent aucune conscience qu’ils restaient les seuls survivants humains de ce globe. En effet, un vent d’apocalypse composé de l’ensemble des miasmes produits par des charniers guerriers, a soufflé la mort sur le monde, tuant instantanément la totalité des êtres humains.
    A ses quinze ans, sa mère meurt,  terrassée par une fièvre maligne. Resté seul de sa race il va s’appliquer à se chercher une compagne humaine, suivant en cela les ultimes recommandations de sa mère. Sa fuite fut difficile. Talonné par son père-gorille qui brûlait du désir de se venger de l’avorton, il fut obligé de le tuer. En sortant de la grande forêt, tout en suivant les bordures des déserts et en longeant les diverses côtes, il se retrouva en Egypte au bout d’un très long temps, s’attendant à y rencontrer ses semblables. Une terrible déception le guettait : des rives du Nil aux pyramides de Gizeh, personne, ou plutôt :
    « Pas à pas, j’arrivais à la mer promise, trébuchant sur les tas, dans la plaine, d’ossements desséchés ; des crânes, patinés par le vent du désert, grimaçaient au soleil ; des monceaux de squelettes plaquaient leurs blanches ondulations sur la terre durcie, vestiges des charniers où se brisèrent les chocs des cohortes humaines. »
    Se repérant sur un atlas, il entra en terre de Canaan puis, guidé sans doute par l’Esprit universel, il continua sa route vers la terre de France, en traversant l’Italie, espérant découvrir à Paris, sa patrie, la femme avec laquelle il pourrait perpétuer le genre humain. Il arriva dans une capitale déserte de vie mais peuplée de squelettes. Sa première visite fut pour les trésors de la Bibliothèque nationale où il méditera sur les restes humains :
    « Aussi endurci que je fusse contre les évocations, après quatorze années de pèlerinage dans le fantastique ossuaire qu’était devenu le monde, ancien domaine de l’homme, une stupeur respectueuse m’arrêta quand, sur un lit aux draps dentelés par les mites, je trouvai deux squelettes allongés côte à côte. Toute mon hérédité reflua vers mes tempes qui se mirent à trembler. Qui étaient ces deux-là ? mes grands-parents peut-être ? Je tombai à genoux. Pourquoi ce geste auguste ? Retour miraculeux du formidable aimant qui relie les générations. La chaîne se renouait. »
    Une évocation indispensable de la belle histoire française, liée à la grandeur de l’empereur Napoléon, lui fait comprendre à quel point il ressemble à ce dernier.  Enfin, las de chercher une femme introuvable, il s’établira en une petite maison avec jardin,  proche de l’avenue des Champs Elysées où il fera pousser mélancoliquement des fleurs.
    Pourtant, il n’abandonne pas l’exploration de la ville, poussant de la gare d’Austerlitz à la chapelle de la Salpêtrière où –chose inouïe !- il aperçut des traces de pas étrangères. Enfin, l’avait-il trouvé,  sa femme !:
    « La silhouette grandit ; elle marche toute droite ; mes mains s’agitent ; je me mets à trembler. O merveille ! Les formes se précisent ; c’est une femme ; ma vue prend une étrange acuité ; « elle » porte des vêtements, car il fait froid, mais la marche accuse le dessin voluptueux ; les épaules étroites ; les hanches qui débordent ; les ondulations lentes des fesses qui louvoient ; les cheveux sont épars et flottent librement. (…) Un frisson sinueux court dans mes vertèbres; mes artères sont gonflées d’un grandissant tumulte ; un voile de sang injecte mes prunelles ; mes tempes battent à se rompre ; les nerfs de mon cou se tendent comme des cordes ; ma mâchoire se rétracte, découvrant mes canines ; un peu de bave monte à mes gencives rouges ; les ailes de mon nez palpitent en saccades. C’est le rut qui rue, c’est la bête en folie »
    Domptant à grand’peine sa part animale, il procédera à un contact en douceur, vainquant le gorille en lui et se soumettant au génie de la féminité.
    Geneviève – c’est son nom – devenue son amie, évoque brièvement son passé, comment, en ayant essayé le narcotique de son père médecin, elle fut épargnée par la catastrophe universelle et comment, seule depuis trente ans, elle avait survécu, à moitié folle en arpentant la grande ville silencieuse.
    Aujourd’hui elle habite au muséum d’Histoire naturelle, dans un coin du Jardin des Plantes. Ne souhaitant pas de rapport sexuel prématuré, elle soumet donc le jeune homme-gorille a un rituel d’attente en lui fixant un rendez-vous dangereux, où, menacé d’être dévoré par des loups, il sera sauvé par l’éléphant domestique de Geneviève et réconforté entre des fleurs et du vin, dans son petit chez-soi. Ainsi se trouva-t-elle finalement enceinte,  accomplissant malgré tout « la Reprise » :
    « Dans les compétitions que les hommes organisaient jadis entre eux, courses desquelles il était beau de sortir vainqueur, il arrivait qu’ils se groupaient par équipes se relayant à volonté ; et lorsque dans un groupement de coureurs solidaires, l’un, en ligne, faiblissait, il se voyait remplacer par un camarade frais, je veux dire non fatigué, c’était la reprise ; les hommes ne sont plus , l’humanité a faibli par sa faute et son opiniâtreté à se détruire, je reste pourtant, et mon idéal est d’opérer une miraculeuse Reprise, car il faut que la course continue, l’Homme ne saurait mourir. »
    Un ouvrage curieux et nombriliste où l’auteur, se servant du prétexte cataclysmique, se livre à une série de réflexions à propos de la littérature, la peinture, la sculpture, privilégiant des tableaux artistiquement travaillés à la mode «romantique-kitsch » fin de siècle. Un récit en décalage à cause d’un style contourné et précieux travaillé par un auteur en représentation permanente devant le miroir des lettres.

  10. Type: livre Thème: menaces idéologiques Auteur: Albert BESSIERES Parution: 1929
    Curieux récit que "l’Agonie de Cosmopolis". Il s’agit bien de la fin d’un monde, mais d’un monde à part, celui de l’entre-deux guerres et de la Démocratie chrétienne avec la prise de pouvoir en France par un gouvernement communiste. Cosmopolis, c’est Marseille et l’Etang de Berre, région totalement industrialisée dans un futur hypothétique proche. Le lecteur y fait la connaissance d’affameurs ploutocrates, Godseels et Bassano, des fourreurs multimillionnaires. Sans scrupules et sans respect pour la vie humaine, ils exploitent les ouvriers harassés et malades:
    «Je m’affirme partisan du plus fort, là où je ne puis l’être moi-même... La dernière faute, la plus récente fut de permettre au monde ouvrier de s’organiser. Le mal une fois fait, nous avons essayé de museler l’ogre, en ne tolérant que les groupements qui se moquaient de l’ordre social. Ne pouvant vaincre de force, nous avons manoeuvré, cassant les reins aux faibles , aux syndicats des curés et des pasteurs protestants... opportunisme louable , mais dangereux. Nous comptions sans les mâchoires de l’ogre fortifiées par nous. Le voici qui rompt sa muselière ; le grabuge commence, gare à la casse, Godseels... la peau humaine est fragile..."
    Heureusement, Lucile, la femme de Godseels, et sa fille Ida, sont différentes. En véritables "anges de la miséricorde", elles s’emploient à soigner les victimes aux visages rongés par le cancer dû au travail prolongé près des cuves d’acide :
    «Ils pénétrèrent dans le taudis... Sur un sol boueux de terre battue, un grabat où une forme cadavérique râlait, expectorant ses poumons. Un gamin de six ans à moitié nu, allait du grabat à un berceau où se lamentaient deux enfants, distribuant les tisanes préparées, le matin, par le père.» « (...)
    Au lit voisin, c’est une jeune arabe emmaillotée de toile , de la tête aux pieds, voilée, invisible. La bête lui a dévoré les seins, puis le visage. A travers le suaire, un sifflement douloureux monte, descend comme le vent méchant d’une houle.... un peu plus loin, une vieille italienne pleure à sanglots convulsifs; elle n’a plus de jambes et le monstre tenace lui ronge le bassin... Elle joint, tord ses mains nouées, rabotées par les acides où, depuis des années, elle plongeait peaux de lapins, de taupes , de zibelines et de chats sauvages , dans les ateliers homicides de Godseels.»
    Elles sont  rejointes dans leur vocation par Christian, le médecin des pauvres , que la jeune Ida aimerait bien aimer si cela ne la détournait pas de sa bonne inclination. A côté de ces héros, taillés à l’emporte-pièce, et de quelques "bons ouvriers", tout dégoulinant de bons sentiments, se dressent les "bandits", tous pervertis par les idées sinistres et anti-cléricales d’Anatole France. Il s’agit d’une part des capitaines d’industrie dont l’argent est le seul dieu , anti-chrétiens, cela va de soi, et de l’autre des "métèques", les Noirs, les Chinois et les Arabes, représentant des forces du mal, communistes et anarchistes.
    Si-Hassen, l’Arabe, qui a fait ses études en France, devient le chef incontesté des révolutionnaires. En compagnie du Juif Michely et du Grec Wolf, il fomente la révolte qui  aboutira à la chute de Cosmopolis. Il tue, assoiffé de haine, en compagnie de Doucèn, la jeune maîtresse arabe qu’il a arrachée à Godseels, tous ceux qui tombent sous sa main, en une mise en scène théâtrale et abominable :
    «Soudain , les hauts-parleurs installés à tous les carrefours, reliés à l’acropole de Notre-Dame de Miséricorde , où Si-Hassen , chef du Conseil du peuple et de la tchéka , tient son quartier général, assisté de Doucèn, apportent le communiqué quotidien: "Aujourd’hui, à dix-huit heures, exécution , sur la colline, de cent cinquante contre-révolutionnaires.  Le service d’ordre sera assuré par deux cents Annamites , deux cents Sénégalais de la première centurie rouge et la deuxième escadrille rouge , commandée par Tchang-Kai-Chek. La liste des condamnés sera affichée, une heure avant l’exécution, au quartier général... On filmera l’exécution.»
    Mais il se trompe de cible. Au lieu de s’en prendre aux vrais capitalistes et autres "vipères lubriques", il assassine les prêtres, les gentils ouvriers, les bons ingénieurs, les vrais chrétiens qui acquièrent de ce fait le statut de martyrs.  Après avoir mis Cosmopolis à feu et à sang en compagnie du chinois I-Chang, Si-Hassen sera à son tour puni de ses idées impies et immolé sur l’autel de la révolution anarchiste. Quant à Wolf et Michely, ils périront brûlés vifs dans l’incendie qui ravage la cité de Marseille, véritable Nuit de Walpurgis, entraîné par leur soif inextinguible d’argent :
    «Des millions de tonnes d’essence, de pétrole, roulent vers l’Etang de Bolmon, l’Etang de Berre, vers Marseille par le canal du Rove, vers Port-de-Bouc, et la pleine mer par le défilé de Caronte. L’immense nappe de feu avance, dans des tourbillons de fumée noire et rouge, submergeant tout .  La précieuse conque, où dort la mer intérieure, n’est plus qu’un cratère hurlant, plein de flammes jusqu’aux bords.
    Les vaisseaux ancrés dans les ports, les flottilles de pêche flambent, éclatent, mêlent leurs détonations à celles des usines, docks et poudrières gorgés de matière inflammables et d’explosifs. Une pluie de pierres, de cendres, de liquides corrosifs tombe du ciel, mêlée à des blocs de cuivre, d’acier, de fonte, arrachée aux vaisseaux et aux réservoirs dynamités".
    Apuré par cette fin du monde communiste, le christianisme triomphera: «(Le prêtre) songe à Lucien Belin, à ce groupe de jeunes ouvriers catholiques, qui seront là , demain ; qui réchaufferont sa vieillesse prématurée à la flamme de leurs jeunes enthousiasmes... Le froment de mille vies , ils le portent dans leur coeur. Un goéland monte de l’Etang de Berre, le frôle de son aile ... Et il sent, en son âme, une grande aile palpiter, l’emporter , lui aussi, vers les cités renaissantes de l’Etang; une large joie vivante monte dans son coeur rajeuni , renouvelée tous les matins : l’invincible optimisme, l’indestructible espérance qui, depuis vingt siècles , à travers toutes les calamités , toutes les agonies , garde l’Eglise toujours jeune. "
    L’Agonie de Cosmopolis est un ouvrage apologétique, un brûlot contre les athées et incroyants de toute sorte installés dans les idées anti-cléricales d’Anatole France (L’auteur lui en veut beaucoup!) Il dresse dos à dos communistes et métèques, le parti de l’étranger qui sape les fondations de la France, fille aînée de l’Eglise. En un style d’une grande férocité, en un délire paroxystique, l’auteur charrie toutes les idées haineuses, racistes et xénophobes qui traînent dans la mentalité de l’époque. Continuateur de Lamennais et du christianisme social, Bessières lutte pour l’instauration d’une société ouvrière menée paternellement par des chrétiens riches et éclairés. Un roman singulier qui détonne par sa virulence dans l’ensemble des oeuvres-catastrophe de l’entre-deux guerres.