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  • Le Dernier Homme (Cousin De Grainville)

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    Fiche du livre :

    Type : livre

    Auteur : Cousin de GRAINVILLE

    Parution : 1805

    Thème : le dernier homme, fins du monde, fins de l'humanité, l’entropie progresse…


    Sur l'auteur :

    (1746 - 1er  février 1805) Prêtre et grand vicaire. Arrêté et enfermé sous la Terreur. Libéré à condition qu'il se marie. Contracte un mariage de convention avec une cousine. Vivra à Amiens. rejeté du clergé. Quelques essais littéraires et des comédies sans succès. monte une école privée dont les parents reprennent leurs enfants , le sachant marié. Vit dans la pauvreté. Compose le "Dernier Homme" qui devait lui assurer la gloire. Imprimé grâce à Bernardin de Saint-Pierre.  Le manque de succès de son épopée le démoralise à un  point tel qu'il se suicide en se noyant dans la Somme. L'ouvrage a été remarqué, de manière posthume, par Nodier, puis exhumé par Lesser de Creuzé.


    Préambule :

    Le Dernier homme, ouvrage posthume par M. de Grainville (Cousin de Grainville), homme de lettres, chez Déterville Libraire, 1805, 2 tomes in-12 ème . couverture muette. roman d’expression française. (une 2 ème  éd. augmentée parue en 1811 et une troisième édition en 1976, librairie Slatkine)
    1 ère  parution : 1805
    le dernier homme – fins du monde, fins de l'humanité – l’entropie progresse…


    Synopsis :

    Dans les ruines de l’antique Palmyre, le narrateur rencontre un esprit céleste qui lui conte les destinées d’Omégare et de Sydérie, le dernier homme et la dernière femme.  Dans sa vision, il aperçoit l’ange Ituriel rencontrer un Adam vieilli à qui il fait voir une terre proche de sa fin. Adam en est stupéfait et attristé :
    " Il se lève promptement, et jette autour de lui ses regards avides. Le soleil commençait sa carrière. De quel étonnement le père des humains est frappé, lorsqu’il voit les plaines et les montagnes dépouillés de verdure, stériles et nues comme un rocher ; les arbres dégénérés et couverts d’une écorce blanchâtre, le soleil, dont la lumière était affaiblie, jeter sur ces objets un jour pâle et lugubre. Ce n’était point l’hiver et ses frimas qui répandaient cette horreur sur la nature. Jusque dans cette saison cruelle, elle conservait une beauté mâle, et cette vigueur qui promet une fécondité prochaine, mais la terre avait subi la commune destinée. Après avoir lutté pendant des siècles contre les efforts du temps et des hommes qui l’avaient épuisée, elle portait les tristes marques de sa caducité. "
    Puis, il l’emmène en terre de France auprès d’Omégare où il aura pour mission de lui annoncer  la fin de toutes choses puisqu’il est désormais interdit au dernier homme d’enfanter avec Sydérie, la dernière femme.  Adam, en la voyant, est tout ému :
    " Pendant cet entretien, le père des hommes avait jeté les yeux sur Syderie. Les charmes de sa figure, sa modeste retenue, ses cheveux blonds qui flottaient sur ses épaules, la noblesse de sa taille légère et majestueuse, lui rappelaient une épouse chérie dont il ignorait le sort dans le séjour des ombres. Eve avait, comme Syderie, la fraîcheur du printemps de l’âge, et surtout la même pudeur aimable et touchante, lorsqu’à son réveil Adam la vit à ses côtés pour la première fois. Cet heureux instant se retrace à sa pensée avec des douleurs vives. Il s’attendrit et verse des pleurs. "
    Omégare évoque son enfance en un passé lointain où déjà la terre était frappée à mort et où régnait la stérilité des femmes:
    " Lorsque je vis le jour, l’hymen depuis vingt ans n’était plus fécond. Les hommes avançant tristement vers le terme de leur course, sans être suivis d’une jeune postérité qui dut les remplacer, pensaient que la terre allait perdre en eux ses derniers habitants. Ma naissance fut un phénomène qui causa leur surprise et les transporta de leur joie : ils la célébrèrent par des fêtes. On dit que des femmes accoururent des extrémités de l’Europe pour voir l’homme enfant : c’est ainsi qu’elles me nommèrent. Mon père me prit dans ses bras, et s’écria : le genre humain vit encore ! ô Dieu ! dit-il en m’offrant à l’Eternel, est-ce une erreur qui m’abuse ? cet enfant sera le père d’une race nouvelle. Ce n’est point à moi que tu l’as donné, mais à la terre, mais au monde, dont il devient l’unique espérance ; conserve ses jours, il est à toi, je te consacre mon fils. "
    Pourtant, le génie de la terre, qui vit au plus profond du feu central, s’élève contre la décision divine car il ne veut pas mourir. Contactant Omégare, il le supplie de faire un enfant à Sydérie afin d’assurer sa descendance et de permettre le renouvellement de la vie :
    " Il n’est plus qu’une seule femme et toi qui pouvez aujourd’hui perpétuer la race des humains. Qu’elle périsse ou que tu meures, la terre va se dissoudre, rentrer dans le chaos , et je suis anéanti pour jamais. Le danger est extrême depuis que les hommes devenus stériles ne donnent plus à la mort de continuelles victimes, sa voracité n’est pas seulement une faim cruelle, elle se jette sur tous les êtres vivants. Cependant si tu pouvais échapper à ses coups, et t’unir par les liens de l’hyménée à la seule femme qui le rendra fécond, tu reculerais le moment de ma perte ; non que je mette un grand prix à quelques jours d’existence, je saurai mourir avec courage ; j’ai reçu des hommes cette leçon si difficile à donner. Mais je suis instruit que l’astre qui doit rallumer les soleils près de s’éteindre descendra bientôt sur notre sphère pour rendre à l’astre du jour sa chaleur et son premier éclat. Alors si la terre n’était pas détruite, elle se ranimerait aux feux nouveaux du soleil, elle se dépouillerait des vêtements de sa vieillesse pour reprendre sa robe brillante du printemps. "
    Il lui enjoint de gagner Rouen en Normandie pour rencontrer Idamas qui saura le guider. En cours de route, Omégare fait la connaissance de Policlète habitant une ville immense et vide. Avec Céphise sa compagne, ils se souvenaient de lui :
    " Quoi me dit Céphise, vous seriez cet enfant que j’ai vu : j’avais alors vingt ans. Heureux jours qui sont toujours présents à ma mémoire ! Ma mère me conduisit aux fêtes qu’on célébra pour votre naissance. Vous deviez être, disait-on, le sauveur du monde, la tige d’une race nouvelle."
    Omégare, poursuivant  son voyage vers Rouen, rencontre aussi Palémos, envoyé au-devant de lui par Idamas. Il lui dit que ce grand homme ne pouvait se résigner à voir la terre mourir, surtout en se rappelant sa grandeur passée, et qu’il s’était donné pour mission d’acheminer Omégare auprès de Sydérie, en une terre lointaine, à l’aide d’un immense navire aérien :
    " La capitale de la Normandie avait été longtemps un des lieux les plus célèbres d’où partaient les vaisseaux aériens. Il restait encore, dans les magasins nombreux de cette ville, des urnes pleines de ces esprits volatils qui, plus puissants que la voile et plus vite que les ailes des oiseaux, élevaient l’homme au-dessus des nuages. Idamas avait déjà transporté ces urnes sur la place. Déjà l’air subtil qu’elles renfermaient coulait à grands flots dans les flancs du globe qui s’agitait, impatient de s’élancer dans les airs. Je considérais d’un œil avide et curieux un spectacle si nouveau pour ma jeunesse. Le globe surtout fixa tous mes regards. Sur la poupe du vaisseau, ces mots étaient écrits en lettres d’or, «j’ai fait le tour du monde». Sur les côtés étaient peints divers événements dont l’imitation était si parfaite, que tous les personnages semblaient vivre et respirer. Ici l’on voyait de hardis navigateurs franchir les mers australes par la route des airs, descendre sur des montagnes inaccessibles, sur des plages où l’homme n’avait jamais imprimé ses pas, et terminer la conquête de l’univers. Là d’affreux tremblements de terre qui répandaient au loin la terreur, renversaient les villes sur leurs fondements écroulés. Des abîmes s’ouvraient de toutes parts pour engloutir les hommes ; mais ils fuyaient, dans les airs paisibles, la terre irritée. On voyait vers le centre le ciel obscurci par des légions de vaisseaux armés qui se faisaient la guerre. Rien n’était plus terrible que ce spectacle. Les oiseaux épouvantés avaient pris la fuite. Seuls maîtres du champ de bataille, les combattants s’approchaient les uns des autres armés de faux étincelantes pour couper la corde qui tenait les nacelles suspendues, ou, plus perfides, perçaient le globe par le secours de la flèche aiguë, ou du plomb rapide. Les soldats tombaient par milliers comme précipités du ciel par la foudre. Leur sang rougissait la douce verdure des arbres. Leurs membres épars et palpitants couvraient les campagnes et les toits du tranquille laboureur. "
    Avec Idamas et ses compagnons ils s’embarquent à destination du Brésil, chez les Américains, toujours à la recherche de Sydérie. Du haut des airs, Omégare put observer à loisir les bouleversements géographiques de l’antique Europe :
    " Il nous montre dans le nord la place où fut l’Angleterre, et que l’Océan avait engloutie. Sur la gauche, il nous fait remarquer l’ancienne Hibérie, où le fils d’Alcmène crut poser les dernières colonnes de la terre ; mais il peut à peine nous indiquer ces objets, qui ne font que paraître et s’évanouir. "
    Le temps s’allongeant dans le vaisseau aérien, Idamas en profite pour raconter au dernier homme l’histoire des siècles passés et notamment la lutte âpre et gigantesque de Philantor, l’homme qui voulut s’opposer à la décadence. Ce grand savant découvrit le moyen d’allonger la vie humaine et de rajeunir les vieillards. Mais il craignit, en révélant son secret, de livrer la terre à la surpopulation et l’anéantir à coup sûr :
    " L’espace de la vie humaine fut réglé par l’Eternel, sur la grandeur du globe et la fécondité de ses habitants ; que si cet ordre était troublé, si les hommes multipliaient leur jeunesse, la terre ne pourrait plus porter leurs enfants trop nombreux, qui s’égorgeraient pour le seul intérêt de vivre. "
    Lui seul absorbera le sérum de longévité. Il put ainsi combattre la décrépitude, après s’être longuement retiré dans son temple, dans l’île de la Sérénité. Le temps passe :
    " La terre parvenue à ce haut degré de gloire et de bonheur, éprouva le sort des hommes. Ont-ils atteint la perfection de l’esprit et du corps, le feu qui les animait s’affaiblit. Bientôt succèdent les glaces de la vieillesse et de la mort. Ainsi la terre couverte de la population la plus heureuse, redevenue un second Eden, commença par perdre sa fécondité. L’homme effrayé ne songea plus qu’à sauver sa demeure d’une ruine prochaine. Il porta si loin les efforts de l’art, qu’il sut rassembler la chaleur éparse dans les airs, la concentrer sur les terrains refroidis, qu’il sut ressusciter la vigueur des terres épuisées, et féconder la poussière. Cette lutte de l’art contre les ravages du temps et de la mort, eût peut-être prolongé les jours de la terre, si le plus terrible des événements n’eût pas découragé les hommes et rendu tous leurs efforts inutiles. "
    Les hommes mêmes retombent dans leurs ornières habituelles, l’agressivité et la haine refont leur apparition :
    " Les hommes tombèrent dans le découragement en voyant des champs baignés de leurs sueurs refuser de produire la ronce stérile ; les uns furieux brisaient les instruments de l’agriculture, les autres désespérés invoquaient la mort. Alors les hommes commencèrent à se regarder d’un œil ennemi. Les lois ne pouvaient plus arrêter le meurtre et le brigandage. On dit même que plusieurs chefs liés par des serments exécrables, formèrent le projet atroce d’exterminer une portion du genre humain ; les poignards étaient prêts ; la nuit qui devait couvrir de son ombre cet horrible massacre, était sur le point d’éclore. "
    La lune elle-même, à l’agonie, disparaît du ciel :
    " La nature entière, les airs et les nuages, les plantes, les animaux et les hommes paraissaient enflammés. On crut qu’un nouveau soleil allait monter sur l’horizon, ou que le jour de l’embrasement universel était arrivé. C’étaient les approches de la lune qui causaient ce spectacle terrible. Elle se lève, sanglante, avec la forme d’une large bouche ouverte d’où jaillissaient sans cesse des torrents de feu.  A cette vue, les animaux épouvantés poussent des hurlements affreux, tous les peuples tremblants attendent la mort, et se jettent le visage contre terre "
    Heureusement, un autre grand homme, Ormus, de la race des conquérants, prend la suite de Philantor. Par une série de travaux gigantesques, il espère ralentir la décadence de la terre :
    " Les peuples croient aux paroles d’Ormus. A force de travaux, ils détournent le Rhône, la Seine, le Danube, le  Gange, l’Indus, le Tanaïs ; ils apprennent à tous les fleuves à couler dans des canaux creusés par leurs mains, et cultivent aussitôt la terre qu’ils ont abandonnée. Les moissons dorées revinrent égayer les yeux de l’homme, et les peuples comblèrent Ormus de leurs bénédictions. C’est alors qu’encouragés par ces témoignages de la reconnaissance publique, ce grand homme osa publier un projet plus vaste, et si hardi qu’il étonne encore mon esprit. Ce n’est point assez, leur dit-il, d’avoir changé les fleuves, les étangs, les lacs en des campagnes fertiles. Vous avez besoin de plus grandes ressources ; je vous ai promis un nouvel univers ; je viens vous le donner. Faites avec moi la conquête de l’Océan ; repoussons loin de nous ses ondes. (…)
    Combien de fois des princes n’ont-ils pas resserré le lit de la mer pour agrandir leurs Etats, sans que le ciel ait vengé cette usurpation. Ah ! bien loin de craindre son courroux, je pense au contraire qu’il va seconder nos efforts, et que c’est lui peut-être qui m’inspire ce projet, pour conserver le genre humain dont il ne veut pas la ruine. Enfin la terre vous appartient ; vous l’avez reçue de Dieu ; c’est un présent de sa main céleste ; vous pouvez pour vos besoins et vos plaisirs, abattre des montagnes, combler des vallées, creuser les entrailles du globe ; vous venez de changer le cours des fleuves. Chassez, si vous le pouvez, l’océan de son lit : il est comme les fleuves, sous votre domination, et créez-vous un monde nouveau sur les débris de l’ancien. "
    Pour échapper aux deux grands fléaux qui malgré tous ses efforts continuaient de menacer la vie, à savoir, la stérilité de plus en plus manifeste de l’espèce humaine et le refroidissement du soleil, Ormus se réfugie au Brésil dans la Cité du Soleil :
    " L’hymen devint stérile ; à peine une grande ville donnait le jour à dix enfants dans une année, les peuples commençaient à murmurer contre Ormus. Nous manquons de postérité, disaient-ils, les enfants qui doivent nous succéder ne seront point assez nombreux pour se nuire. Qu’avons-nous besoin d’un nouvel univers que nous ne pourrons pas peupler !(…) Ormus n’eut pas besoin d’apaiser ces murmures, l’événement le plus imprévu suspendit dans un instant tous les travaux, et les arrêta pour jamais. Le soleil donna tout-à-coup des signes de vieillesse, son front pâlit et ses rayons se refroidirent. Le nord de la terre craignit de périr, ses habitants se hâtèrent de quitter des climats dont la froidure augmentait de jour en jour, ils emportent leurs richesses, et courent à la zone torride se presser sous les regards du soleil. "
    Cest dans cette même cité qu’atterrissent enfin Omégare et Idamas. Acueillis froidement par Eupolis, Idamas dut lui expliquer le sens de la prophétie pour qu’Eupolis conduise les Français vers Aglaure, le chef de la nation brésilienne. Celui-ci se réjouit avec son peuple de l’attente que suscite la présence d’Omégare dans la Cité du Soleil.
    De partout affluent les jeunes Américaines dans l’espoir d’être choisies par Omégare pour épouse. Le génie de la terre lui-même presse Idamas de dévoiler l’identité de la promise d’Omégare car le temps presse. C’est avec l’aide de la Nature, sous les traits d’une merveilleuse jeune fille, et celle d’Eve comme marraine, que Sydérie devient officiellement la jeune promise. Omégare est sous son charme, attendant avec impatience le jour où, le peuple du Brésil étant réuni, on lui accorderait Sydérie pour épouse. Ce jour arrivé, comme elle était resplendissante, au milieu des autres jeunes filles! :
    « Sydérie était la seule qui possédait la flamme des passions; elle ne pouvait la retenir cachée ; l’incarnat le plus vif colore ses joues ; elle pousse des soupirs involontaires ; sa respiration est forte et rapide, des éclairs jaillissent de ses longues paupières abaissées. »
    Son émotion est telle qu’à la vue d’Omégare, elle s’évanouit. Forestan, son père, qui descend de la race forte des Tupiques, la plus ancienne du globe à la vigueur originelle, s’élance à son secours. Ormus, exilé dans les ruines de Carthagène, sera pressenti pour bénir leur union. Eupolis part à sa recherche, il l’aperçoit :
    « Assis sur les restes d’un amphithéâtre. A ses pieds des colonnes brisées, des statues mutilées sont confusément éparses. A ses côtés et sur  sa tête, sont amoncelés, les uns sur les autres, d’énormes débris de rempart, de temples, de palais qui forment des masses effrayantes que l’œil ose à peine regarder. »
    Coup de théâtre : Ormus n’est pas d’accord pour sceller cette union car elle serait un prélude à la fin du monde. Passant outre la funeste interdiction, Omégare et Sydérie s’unissent, sans toutefois consommer. Devant le danger de voir tout périr, Eupolis donne un seul ordre : il faut éloigner Sydérie d’Omégare  qui sera enfermé dans une haute tour. Tandis qu’Ormus réclame la tête du dernier homme, Forestan fait s’enfuir le couple en direction de l’Europe où ils vivront dans une grotte en attendant des jours meilleurs. Mais toujours Sydérie se refuse à Omégare qui n’en comprend pas la raison. Elle est prête à mourir si le jeune homme la touche. Le trop-plein d’énergie dont fait preuve Omégare le force à adopter toutes les postures du jeune romantique à la Chateaubriand:
    « Dès que l’aurore éclaircissait les ombres de la nuit, je fuyais loin de ma demeure, je m’enfonçais dans les forêts, je gravissais les plus hautes montagnes ; je ne revenais qu’après que la fatigue m’avait épuisé. Ce fut par ces efforts magnanimes, que je domptais la plus terrible des passions. Ainsi la main qui veut soumettre un coursier rebelle, le lance sur les sillons que le soc de la charrue a profondément tracés ; il se consume en efforts laborieux, bientôt il blanchit le mors de son écume, la sueur ruisselle le long de ses membres affaiblis, et sa fougueuse ardeur s’amortit. »
    Finalement, l’ombre de Forestan viendra à son secours Il  inspire à Omégare des songes d’un futur fécond et heureux,  et à Sydérie, plus prosaïquement, des scènes peintes décrivant l’acte de chair :
    « Si ta pudeur n’ose lui répéter mes ordres, va dans le temple de ce palais ; tu trouveras deux tableaux sous l’autel qui regarde l’orient : expose-les à ses regards. A cette vue, il sentira ses désirs se rallumer, et les tiens lui seront connus. A ces mots, l’ombre de Forestan se précipite dans le sein de la terre, et disparaît. »
    Heureusement, Adam, envoyé in extremis par Dieu, sauve Omégar de la folie. L’entraînant loin de Sydérie, vers Paris, il lui raconte comment le génie de la terre, empruntant les oripeaux de tous les personnages précédents, a berné le couple. Dieu ne veut pas de postérité ; elle ne pourrait être qu’une caricature d’humanité dans un monde en perdition :
    « Au même instant Dieu permet que le tableau  de sa postérité se déploie à ses regards. Il découvre dans une plaine aride, sous un ciel ténébreux, ses enfants d’une forme hideuse, aussi cruels que difformes, se faisant une guerre atroce et perpétuelle ; il les voit assis autour de tables ensanglantées, couvertes des membres de leurs frères, dont ils se disputaient les lambeaux palpitants qu’ils dévoraient.»
    D’ailleurs, les prémisses deviennent de plus en plus évidentes :
    « Déjà des présages terribles l’annoncent. Du fond des cavernes et des antres, il sort des sons lamentables et plaintifs : on entend dans les airs des voix nombreuses qui gémissent ; toutes les feuilles des forêts s’agitent d’elles-mêmes ; les animaux épouvantés poussent des hurlements, prennent la fuite et se jettent dans des précipices. Les cloches ébranlées par une force inconnue, répandent au loin les accents lugubres de la mort : on dirait qu’elles sonnent le trépas du genre humain. Les montagnes s’ouvrent et vomissent des tourbillons de flamme et de fumée. Les flots de l’océan deviennent livides, et sans être soulevés par les vents et les tempêtes, ils mugissent, ils se brisent avec fureur contre les rivages, en roulant des cadavres. Toutes les comètes qui, depuis la création, avaient effrayé les hommes, se rapprochent de la terre et rougissent le ciel de leurs chevelures épouvantables ; le soleil pleure, son disque est couvert de larmes de sang. »
    La ville de Paris elle-même s’est effondrée et a disparu de la surface de la terre, seule subsiste la statue de l’empereur Napoléon:
    « Paris n’était plus : la Seine ne coulait point au milieu de ses murs ; ses jardins, ses temples, son Louvre ont disparu. D’un si grand nombre d’édifices qui couvraient son sein, il n’y reste pas une chétive cabane où puisse reposer un être vivant. Ce lieu n’est qu’un désert, un vaste champ de poussière, le séjour de la mort et du silence. Omégare jette les yeux sur cette triste étendue, et n’y voyant que des cendres entassées, il dit tout ému : Sont-ce là les restes de cette ville superbe dont les moindres mouvements agitaient les deux Mondes ? Je n’y trouve pas une ruine, une seule pierre sur laquelle je puisse verser mes larmes ; et moi je craindrais de voir périr la terre, ce tombeau de l’homme et de ses établissements !
    Tandis qu’il marche enseveli dans ces pensées, il découvre au loin une statue échappée à ses regards. Omégare se demande par quel prodige elle survit entière à tant de monuments plus durables qu’elle, et dont les ruines même ont péri. La route qu’il suivait le conduisait à ses pieds ; il s’en approche, il la contemple ; il juge, aux divers attributs qui la décorent, qu’elle représente un ancien souverain des Français. »

    Le dernier jour de la terre vient de débuter. Omégare cessera de lutter contre la volonté de Dieu. Le sort de Sydérie, séparé de son amour, n’est pas plus enviable. Bien que tentant de retrouver sa trace à Paris, elle connaîtra bientôt sa dernière heure. Dieu, pour adoucir sa peine lui fera voir en une ultime vision , comme pour Omégare, le jugement dernier :
    « Il voit que Syderie ne survivra point à la fuite d’Omégare, et que la seule femme féconde parmi les hommes va périr. Libre de ses promesses et des lois qu’il s’imposa, Dieu donne le premier signal de la résurrection des morts. Les cieux y répondent par des cris d’allégresse ; les enfers en frémissent ; ses habitants s’enfoncent dans les flammes pour s’y cacher. Des anges placés aux pieds du trône de Dieu, sonnent les trompettes du dernier jour, dont les éclats sont entendus jusqu’aux limites de l’univers.
    Aussitôt les corps qui recèlent des substances de l’homme, se hâtent de les rendre. Au nord, la glace se rompt pour leur donner un passage. Sous les tropiques, l’océan bouillonne et les vomit sur ses rives. Ils sortent des tombeaux qui s’ouvrent, des arbres qui se fendent, des rochers qui se brisent, des édifices qui s’écroulent. La terre est un volcan immense d’où, par un nombre infini de bouches, s’élancent des ossements et des cendres.
    A l’aspect des tombeaux ouverts, des ossements sortis des entrailles de la terre, des cendres humaines éparses dans les airs, Omégare est oppressé de terreur ; ses cheveux se hérissent, il s’arrête ; il craint de fouler aux pieds la poussière qui lui paraît vivante. Soulevé sans cesse par les mouvements onduleux de la terre, comme s’il voguait sur les flots, et  se soutenant à peine, il s’appuie contre un arbre, le serre dans ses bras, ferme ses yeux et se résigne à la mort, ainsi que des navigateurs qui, ne pouvant plus combattre la tempête, et livrant leurs voiles à la furie des aquilons, pâles et tremblants, attendent le flot qui va les submerger ou les briser contre les rochers.
    Trois heures suffisent pour l’éruption des dépouilles humaines, tant elle est violente et rapide ! sitôt que Dieu, qui sait le nombre des atomes de l’univers, et dont les regards percent les replis les plus déliés de la nature, voit que la terre a rendu les cendres des hommes, il veut qu’elle se repose. Aussitôt l’océan rappelle sur ses rivages, ses flots débordés et furieux : les vents prennent la fuite, se précipitent les uns sur les autres, et rentrent en grondant dans leurs cavernes. Un morne silence succède à cette tempête universelle ; Omégare y renaît, Omégare ose y descendre, et s’interroger sur lui-même et ses intentions. Fier des réponses qu’il en reçoit, il regarde le ciel avec assurance. Le souvenir d’un Dieu qui règle l’univers, le console. Que les anges sonnent la trompette qui doit réveiller les morts ; que la terre s’écroule, que le soleil et les astres s’éteignent, ses regards en soutiendront le spectacle avec courage ; Omégare est digne d’assister au dernier jour de la terre. »
    Pourtant, le génie de la terre, toujours à la recherche du couple, ne désarme pas. Il tente encore, dans ses cavernes, de barrer la route à la fatalité, grâce à la science :
    « Il était au centre de la terre dans ses ateliers qu’il creusa de ses mains, et qui joignent les deux pôles. Ce vaste laboratoire est l’abrégé de l’univers ; il y rassembla les instruments des arts, diverses machines dont lui seul connaît l’usage, tous les genres de corps qui couvrent la surface de la terre, ou qu’elle cache dans son sein ; là, sur des tablettes innombrables, il avait rangé des vases d’airain, où lui-même renferma les sucs et les semences des plantes, les esprits volatils des animaux. C’est dans ces lieux que l’infatigable génie combinait, depuis la création, les éléments de tous les corps, qu’il interrogeait la nature, et la forçait à lui répondre. C’est de ces cavernes que sortirent ces découvertes précieuses dont le hasard et l’esprit humain  s’attribuèrent l’honneur, et qui furent des présents du génie. Enfin, c’est là que dans un million de fournaises, il nourrissait des feux continuels dont la chaleur repoussait le froid mortel qui s’avançait de jour en jour jusqu’au centre du monde. »
    Cependant, même lui sera vaincu par la mort qui s’approche. En un dernier mouvement, il fera voler la terre en éclats:
    « La mort ne répond qu’en avançant sur lui : soudain le génie agite ses flambeaux dans sa caverne qui s’enflamme ; l’explosion en est si terrible, que la terre ébranlée, recule sur son orbite. Ses entrailles se déchirent, elle soulève les Alpes, les Pyrénées, et lance ces énormes masses jusques dans les hautes régions de l’atmosphère. »
    Si nous nous sommes si longuement penché sur l’œuvre de Cousin de Grainville c’est parce qu’elle est inclassable et originale. Apparentée au romantisme, dont on retrouve la quasi-totalité des thèmes – puissance de l’amour, mouvements du cœur, sentiments d’horreur et d’honneur, poésie des ruines, thématique de l’antique , etc.,  les descriptions novatrices sont si nombreuses qu’elles font exploser un cadre trop étroit.
    En premier lieu, le thème central, celui du dernier homme, dont c’est la première apparition en littérature (si l’on écarte « le Dernier jour du monde », écrit en 1689  et paru chez Louis Rouillard le fils à Paris, plus proche de l’apologétique que du roman). La révolte vaine d’Omégare contre son terrible destin, son impossibilité à vaincre le puissant ennemi – Dieu !- qui a juré la perte de l’humanité, imprègnent l’ensemble de l’œuvre.
    Le personnage de Sydérie n’en est pas moins touchant, dont la fragilité est vouée à la destruction. Bien que toute une pléiade de figures allégoriques ou symboliques – le Génie de la terre, l’ange Ituriel, la Nature, Adam, etc..- ou inouïes – Polémos, Idamas, Philantor- suggèrent un attirail romantique aujourd’hui désuet, elles ne sauraient cacher l’originalité profonde de thèmes repris maintes et maintes fois dans le champ de la science-fiction moderne.
    En vrac : la terre creuse (le génie et ses feux), la ville utopique (la cité du Soleil), la science modelant les paysages ( l’action d’Ormus), le changement de climat et l’orogenèse (modification des paysages de l’Europe, engloutissement de l’Angleterre), les dangers de la surpopulation, le dépérissement du potentiel génétique des peuples et les mutations (les descendants d’Omégare), la disparition des villes (Paris en ruines), les transports aériens en d’immenses vaisseaux (départ vers le Brésil), l’hibernation et l’immortalité provisoire (Philantor dans le temple de la Sérénité), l’entropie finale et le refroidissement de la terre.
    Trop originale pour l’époque, l’œuvre a eu peu de succès du vivant de l’auteur, aujourd’hui encore peu connue et difficile à trouver (un exemplaire subsiste à la Bibliothèque nationale). Pourtant ses épigones, surtout au  XIXème siècle, ne se privèrent pas de le copier, sans jamais l’égaler.
    Et en premier lieu « le Dernier Homme » de Creuzé de Lesser  qui avoue sa dette envers Cousin de Grainville, dans son poème dramatique,  et celui de Mary Shelley, dont la puissante personnalité domine le roman. Mais que dire  d’Elise Gagne, qui avec « Omégar ou le dernier homme », une « prosopopée dramatique de la fin des temps » lénifiante,  ne reconnaît pas ce qu’elle doit à son  précurseur. De même « Mada ou le dernier homme » du baron d’Aiguy,  « le Dernier homme » de Reboul, ou « la Divine Epopée » de Soumet  se veulent originaux alors qu’ils ne sont que des copies, souvent proches du plagiat. Jamais elles n’atteignent la puissance de l’œuvre originale, engoncées qu’elles sont dans un fatras poético-religieux, moralisateur et suranné, basé sur l’apocalypse de Saint Jean.
    Elles se donnent toutes une mission de dénonciation et de prophétisme que l’on ne retrouve pas dans le récit de Grainville, pur jeu littéraire. Le seul qui échappe quelque peu à la critique est le roman – bien maladroit par ailleurs- de Camille Flammarion « la Fin du Monde » dans lequel Omégar  le héros, se réincarne sur Jupiter selon les principes  du spirite Alain Kardec.
    Aujourd’hui le thème du dernier homme a fait florès. On ne compte plus les ouvrages qui le pérennisent (ou plutôt nous avons essayé de les recenser dans ce dictionnaire) jusqu’au dernier en date à ce jour, « le Monde enfin » de Jean-Pierre Andrevon. Cousin de Grainville, en deux éditions celle de 1805 et celle posthume – l’auteur s’étant entre temps suicidé ne pouvant supporter son infortune– de 1811, fonde une thématique anticipatrice dont la nouveauté, à elle seule,  imposerait l’urgence d’une réédition.


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